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Le demi-échec de l’innovation participative en termes d’innovation de service

application limitée des concepts du marketing et de l’ingénierie de la conception

IV. Les alternatives aux processus d’innovation formalisés

IV.1. Le demi-échec de l’innovation participative en termes d’innovation de service

Dans les modèles de type science push et need pull, le développement du nouveau produit ou du nouveau service demeure l’apanage de services de conception centraux. De son côté, l’ingénierie de la conception donne une activité de conception limitée aux producteurs dans la mesure où la séparation entre la conception et la production est physiquement inévitable. Mais encore une fois, cette séparation entre la conception et la production trouve moins de justification dans les activités de service.

Dans les services industrialisés de masse, le réseau de distribution constitue souvent la force des entreprises. Ce sont d’ailleurs des entreprises ayant un réseau de distribution et d’agences relativement important qui sont à la base des exemples de Béatrice Lallé (1990), de Norbert Alter39 ou de Christophe Everaere (1997a) : services bancaires et EDF-GDF Services. Un fort

réseau de distribution implique un réseau d’employés au contact avec une multitude de clients : cela représente autant d’initiatives et d’innovations possibles que d’interfaces. La spécificité de la relation entre le client et le personnel pose les questions de l’innovation locale et de la participation des front office et back office locaux au développement de l’offre de services.

C’est dans cette optique que le management a développé les systèmes d’innovation participative : « la mobilisation générale que suppose les systèmes d’innovation participative contraste avec les choix fait par les entreprises manufacturières de concentrer leurs activités de conception dans des départements spécialisés. La règle générale n’est pas la séparation des tâches de conception mais leur dissémination. »40 Il convient cependant de définir ce que l’on entend par « innovation

participative » dans la mesure où l’innovation issue de ce processus peut parfois porter davantage sur l’organisation des moyens de production que sur l’offre. Il s’agit de distinguer, que ce soit dans l’industrie ou dans les services, l’innovation induite développée par les dirigeants via la R&D de l’innovation autonome développée par les salariés [Durieux (2000b)]. Le développement d’un pilotage de l’innovation autonome dans l’industrie, i.e. du système d’idée au niveau de l’exécutant, puise son origine dans le développement du kaizen dans l’industrie japonaise. Ces boîtes à idées ont également fait florès chez les constructeurs automobiles français avant que ce concept ne soit largement diffusé dans plusieurs grandes entreprises au travers des politiques d’innovation

39Alter N., op. cit., pp.34-37.

40Interview de Michel Callon dans : Azencot S., Gagnepain C., « L’innovation dans les services », Qualité en

participative. Plusieurs questions se posent quant à la production de l’innovation locale : peut-elle être suscitée et soutenue par une structure ad hoc ou doit-elle être le fruit d’un processus aléatoire ? Quelle est la nature de cette innovation ? Touche-t-elle à l’offre de services ?

« Une entreprise de services devient vraiment innovante dès lors qu’elle fait un effort de rigueur pour saisir les innovations qui se produisent de façon décentralisée, pour les stimuler, les standardiser et les diffuser en son sein. » [Callon (1999), p.21] Dans les grandes entreprises, afin de saisir et de diffuser les innovations qui se produisent, Michel Callon (1999) recommande la création d’un département ou d’une fonction innovation « de telle sorte que toutes les innovations nées sur le terrain soient exploitées » [Callon (1999), p.21]. De nombreuses entreprises ont effectivement créé des structures ad hoc pour piloter des programmes d’innovation participative, que ce soit au sein d’une direction de l’innovation ou d’une direction de la qualité, que ce soit à La Poste, chez EDF-GDF [Durieux (2000a et 2000b), Everaere (1997a)], chez Accor [Montalivet (2001)], ou encore à la SODEXO [Kempf (2003)].

Chez EDF-GDF, la mission innovation, officialisée le 17 avril 1991, a pour rôle d’aider au développement d’innovations conçues par les agents, sur le terrain. Son objectif est de mettre en place une politique d’encouragement à l’innovation participative dans le but de valoriser les ressources humaines [Durieux (2000b)]. Cette structure centrale a pour missions d’expertiser, de contribuer à un éventuel développement complémentaire et de diffuser les idées. La mission innovation est représentée dans chaque direction et dans chacun des centres par un correspondant. Ce correspondant, désigné par la direction, est chargé de stimuler au niveau de chaque centre, l’émergence et la promotion des idées et des réalisations nouvelles. Un Comité national de l’innovation se réunit trois à quatre fois par an pour décerner des labels : rejet, intérêt local ou national, produit fini ou non.

D’une manière générale, l’idée voit le jour dans un centre, au travers de l’identification d’un problème par un ou plusieurs innovateurs. Selon la note « méthode » [Durieux (2000a)], chaque directeur de centre est libre de choisir de mettre en place ou non une structure à même de prendre en charge les innovations émises par les agents. L’idée est d’abord évaluée localement par le promoteur Innovation puis par le comité de direction, d’après l’avis d’experts locaux et éventuellement du groupe d’appui et d’assistance qui émet un avis sur la conformité et la faisabilité. La décision est ensuite prise de développer ou non l’idée au niveau local sous la direction d’un chef de projet. Globalement la durée moyenne de traitement d’un dossier que constate Florence Durieux (2000a) est de 381 jours. À l’issue de l’attribution du label, la mission Innovation octroie une prime à l’innovateur d’un montant égal à celle déjà perçue lors de la reconnaissance au niveau local, accompagnée d’une lettre de félicitations de la direction d’EDF- GDF Services.

Florence Durieux (2000a et 2000b) détaille le processus d’innovation chez EDF-GDF sans véritablement préciser la nature ni le contenu des innovations produites : dans quelles proportions le système d’innovation participative permet-il de développer des innovations de service ? Christophe Everaere (1997a) apporte une réponse à cette question en indiquant que, dans les centres EDF où il existe une structure dédiée à l’innovation, seuls 12% des innovations sont tournées vers la clientèle : « contrairement à leur vocation formelle, les structures dédiées à l’innovation en général ne favorisent pas l’innovation de service en particulier, voire peuvent dans une certaine mesure les décourager » [Everaere (1997a), p.41]. Christophe Everaere trouve une raison historique à ce demi-échec du système d’innovation participative : la mission « innovation » créée en 1991 succédait au Réseau régionale d’innovation technologique. Historiquement, le rôle était, à travers le développement de la technologie, de simplifier le travail quotidien, d’améliorer les procédures, de diminuer une contrainte ou d’améliorer la sécurité. L’innovation traitée dans le cadre des structures dédiées a pour finalité première de réduire une peine, une gêne, un effort ou un risque. « Celle tournée vers le client ajoute à la peine. » [Everaere (1997a), p.41]. Christophe Everaere ne remet pourtant pas en cause la nécessité de formaliser et de structurer une démarche

d’encouragement à l’innovation, « mais il convient de recourir à une sémantique précise si l’entreprise souhaite faire éclore autre chose que des astuces à dominante technologique » [Everaere (1997a), p.42].

L’exemple d’EDF-GDF Services est, à ce jour, le seul qui bénéficie d’une véritable analyse critique, indépendante et académique. À l’inverse, les systèmes d’innovation participative d’Accor ou de la Sodexo bénéficient de communications externes qui ne contredisent pas la politique générale et qui louent leurs mérites. Chaque entreprise a ses particularités, notamment l’utilisation du réseau Internet/Intranet pour diffuser les idées avec Innov@ccor. Même si les formes d’innovations participatives et de matérialisation des idées des salariés peuvent diverger d’une entreprise à l’autre, elles s’accordent généralement sur un processus structuré de management des idées qui passe par la voix hiérarchique, qui fait l’objet de récompense ou de reconnaissance, et qui doit s’inscrire dans la culture de l’entreprise.

Les entreprises s’accordent dans une certaine mesure sur la structure du système. En revanche, elles ne communiquent guère de manière analytique sur les résultats et la nature des innovations produites. Isaac Getz (2000) propose cependant une analyse plus globale des politiques d’innovations participatives, qui, même si elle ne distingue pas le produit du service, confirme les résultats constatés par Christophe Everaere. Les principales conclusions de ses travaux sont les suivantes :

1- le système d’idées ne touche pas toujours tous les niveaux et les projets sont souvent des idées bien localisées d’amélioration matérielles ; il ne s’agit pas de développer de nouveaux produits ou de nouvelles prestations ;

2- le système d’idées est également plus approprié pour de petites innovations incrémentales que pour des innovations de rupture qui nécessitent des ressources ou des engagements plus importants ;

3- le système d’incitation financière n’est pas toujours très efficace et diminuerait la motivation des employés à émettre beaucoup d’idées créatives ; il inciterait surtout la multiplication de petites idées répétitives.

Les résultats d’Isaac Getz (2000) ne semblent donc pas très prometteurs sur l’intérêt d’un système d’innovation participative quant au développement de l’offre de services. Une des justifications avancées par Christophe Everaere (1997a) est la spécificité des services : leur intangibilité, leur imprévisibilité, leur non matérialité rendraient plus difficile de faire transiter une innovation de service par un canal de valorisation et d’encouragement.

Le système d’innovation participative est le premier moyen identifié dans la littérature qui accorde une place plus importante au client, au personnel en contact ou au personnel en back office local dans la conception d’un service et dans les logiques d’innovation. Mais cet outil de gestion apparaît comme un demi-échec qu’une étude du système d’innovation participative de La Poste devra infirmer ou confirmer.

IV.2. Les suggestions prometteuses des demi-produits et de l’innovation

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