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Un échec face à l’hermétisme entre conception et exécution dans une organisation hiérarchique et fonctionnelle

application limitée des concepts du marketing et de l’ingénierie de la conception

II. La formalisation des logiques d’innovation dans un processus de conception

II.2. Du management par projet à l’ingénierie concourante

II.2.1. Un échec face à l’hermétisme entre conception et exécution dans une organisation hiérarchique et fonctionnelle

Selon la théorie néo-classique, la « création de technologies se fait principalement en dehors de la sphère économique, et l’innovation opérée par les firmes n’est que le processus par lequel ces technologies sont ensuite adoptées et diffusées » [Cohendet (2003), p.383]. Le processus d’innovation est linéaire et va de la recherche en amont au marché en aval, à travers une série de phases successives bien délimitées (recherche fondamentale, recherche appliquée, développement, mise au point de produits nouveaux, commercialisation, diffusion), sans la moindre boucle de rétroaction. Le processus est séquentiel puisque l’output de chaque phase est l’input de la phase suivante. La firme ne serait donc qu’une « boite noire technologique qui combine des facteurs de production achetés sur un marché » [Cohendet (2003), p.385]. Pour Faïz Gallouj (1995), cette théorie néoclassique repose sur une double hypothèse de non interaction.

1. D’une part, la non interaction entre la R&D et la production : « il s’agirait là de deux activités indépendantes dont la première précèderait l’autre, et qui mettraient en jeu des acteurs différents » [Gallouj (1995), p.112].

2. D’autre part, la non interaction entre l’innovation et l’utilisation : « le client, dont la finalité serait d’adopter et de consommer l’innovation, n’aurait aucun rôle à jouer dans son élaboration » [Gallouj (1995), p.112].

La théorie néo-classique a largement alimenté les modèles de première génération, essentiellement fonctionnels, dont les inconvénients ont déjà été évoqués.

La théorie évolutionniste adopte une autre perspective : le processus d’innovation et la constitution de technologies sont davantage liés. « Le modèle d’innovation est essentiellement interactif entre les différentes phases. La qualité du maillage entre les différentes phases, la nature des réseaux entre les différents acteurs, l’interaction des processus d’apprentissage mis en œuvre par les différentes firmes, l’intensité du processus de rétroactions positives constituent alors les principaux déterminants de la richesse du processus d’innovation. » [Cohendet (2003), p.384] En réalité, comme l’écrit Christian Navarre (1992), la bataille dans l’industrie n’est plus aujourd’hui de savoir qui va le mieux produire mais qui va le mieux concevoir. Les modèles woolardien, taylorien, fordien, sloanien, toyotien et hondien – qui cherchent à organiser les acteurs de production et à optimiser le processus de production – sont largement éprouvés. Certes, ces méthodes ne sont pas universelles et dépendent de facteurs de contingence que l’on peut deviner dans la grille des systèmes de production d’Armand Hatchuel et Jean-Claude Sardas (1992). Mais la compétition aujourd’hui se fait moins sur le mode de production choisi que sur le processus de conception.

Pourtant, l’organisation de la conception dans l’industrie souffre d’un lourd héritage. L’ensemble des modèles présentés marque bien la distinction entre production et conception. Un peu comme l’organisation scientifique du travail qui décompose la production entre des unités élémentaires35,

l’activité de la firme est elle aussi découpée entre le bureau des études qui conçoit les produits, le bureau des méthodes qui conçoit le processus de production, la production, le marketing et la distribution. D’un point de vue historique, le bureau des études a longtemps dominé la conception des produits (entre 1880 et 1975), avant de laisser la place à l’organisation par projet [Hatchuel (2000a)].

L’organisation scientifique du travail a transmis une organisation du travail qui s’appuie fortement sur le principe de la division du travail, notamment entre la conception et l’exécution, et qui possède une forte dimension hiérarchisée et centralisée. Il est vrai que l’émergence progressive d’organisations conçues pour la production de masse de produits faiblement différenciés vendus sur des marchés non segmentés n’a pas remis en cause cette division du travail. Comme l’explique Luc Boyer et Noël Equilbey (1990), les « usines développant intégration verticale des activités et division du travail » se son multipliées, réalisant ainsi une « rupture totale du monde de l’entreprise avec ceux de la manufacture et de l’artisanat » [Boyer et Equilbey (1990), p.129]. C’est dans ce contexte que l’activité de conception a été organisée avec la création des bureaux d’études internes aux entreprises, chargés, entre autres, de l’appropriation de l’innovation technologique. Pour améliorer le processus de conception, une approche systématique a été adoptée, favorisant ainsi le développement de modèles normatifs (AFNOR X50-127 en France) et de méthodes prescriptives de conception à l’instar du modèle de Gerhard Pahl et Wolfgang Beitz (1977). C’est ainsi que l’ingénierie de la conception s’est initialement développée à partir de ces modèles que le marketing qualifie de modèles de première génération [Royer (2002), Pras et Le Nagard-Assayag (2003)].

Toutefois, l’utilisation de ces méthodes systématiques n’a pas eu l’effet de rationalisation escompté [Culverhouse (1995)]. L’une des raisons se retrouve dans les critiques énoncées par le courant de psychologie cognitive ergonomique : « la séparation formelle que ces organisations introduisent entre l’analyse du problème (phase amont) d’une part, et la prise de décision et l’action (phase aval) d’autre part, est en contradiction avec l’interdépendance qui existe entre les deux phases de génération et d’évaluation de solutions » [Darses et al. (2001), p.13]. C’est justement pour réduire cet hermétisme entre les phases que sont apparues des courants de

35Les unités élémentaires permettent « de définir avec précision les contours des tâches “rationalisées” à effectuer en

excluant systématiquement les initiatives des opérateurs (…) qui perturbent (…) le déroulement optimal des opérations » [Alter (1995), p.78].

rationalisation de la conception : avec la gestion par projet d’abord, l’ingénierie concourante ensuite, l’ingénierie intégrée enfin, il s’agit d’écraser la structure linéaire et séquentielle du processus de conception et de favoriser la conception simultanée et intégrée des produits et de leurs méthodes et procédés de fabrication.

II.2.2. Coordonner les acteurs de l’innovation : le management par projet et ses

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