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Des innovations de service théoriquement régulées par le principe de spécialité

La Poste, un terrain de recherche privilégié : quel compromis entre prescriptocratie et innovation ?

I. Une entreprise de services à la croisée d’une longue tradition d’innovations et d’un héritage bureaucratique

I.2. Un héritage de service public innovant

I.2.3. Des innovations de service théoriquement régulées par le principe de spécialité

Que ce soient la poste automobile rurale, les opérations de polyvalence ou le courrier électronique, chacune de ces trois initiatives entre dans le champ des prérogatives de l’opérateur et reste en conformité avec le principe de spécialité, propre aux entreprises du secteur public. Ce principe impose pourtant de manière formelle les marchés sur lesquels La Poste a le droit de se développer. En effet, ce principe qui s’applique aux établissements publics signifie que la personne morale, dont la création a été justifiée par la mission qui lui a été dévolue, n’a pas compétence générale au-delà de cette mission. Il limite théoriquement l’étendue des services que La Poste peut offrir et, indirectement, les innovations de service que La Poste et son personnel peuvent développer. L’établissement public n’a donc pas la pleine liberté d’entreprendre des activités extérieures à sa mission, sauf si elles répondent à une double condition :

1. ces activités annexes doivent être techniquement et commercialement le complément normal de sa mission statutaire principale ;

2. ces activités doivent être d’intérêt général et directement utiles à l’établissement public comme autant de moyens mis au service de la réalisation de son objet principal.

Si même l’application du principe de spécialité, conformément à un avis du Conseil d’État75, a

obligé EDF à se démettre d’activités qui ne relevaient pas de ses missions et prérogatives officielles définies dans ses statuts, son importance n’en doit pas moins être relativisée et atténuée. Grégoire Calley (2001) explique que le principe de spécialité a un caractère faiblement contraignant dans la mesure où il fait l’objet d’interprétations extensives et où les pouvoirs publics ont tendance à définir eux-mêmes largement les missions confiées à l’opérateur. Les statuts de La Poste en sont la meilleure preuve, ne serait-ce lorsque l’on cherche à comprendre comment la poste automobile rurale, les opérations de polyvalence et le courrier électronique peuvent implicitement être incluses dans les missions confiées à l’opérateur.

En ce qui concerne l’activité de poste automobile rurale, quand bien même cette activité n’existerait plus aujourd’hui, elle pourrait largement être autorisée par l’interprétation lato sensu de l’article 6 de la loi du 2 juillet 1990 dans la mesure où La Poste contribuerait à l’aménagement du territoire : la prestation offerte par La Poste devrait alors pallier l’absence d’initiatives publiques ou privées dans ce domaine.

Les opérations de polyvalence, à la fois pour la réalisation de services publics et pour la vente de produits tiers dans les zones rurales, trouvent leur fondement à la fois dans l’article 6 de la loi du 2 juillet 1990 et l’article 22 du cahier des charges :

74Interview de M. David, responsable commerce électronique de La Poste dans : Lettre des cadres, La Poste, 22 avril

1999.

75Avis « Diversification des activités d’EDF/GDF », Conseil d’État, Section des travaux publics, n°356.089, 7 juillet

1. « La Poste peut exercer, selon des modalités prévues par son cahier des charges, des activités de prestation de service pour le compte de tiers lorsque ces activités sont compatibles avec l’exercice des missions énoncées à l’article 2 de la présente loi et permettent à La Poste de contribuer à l’aménagement du territoire »76;

2. « dans le but d’offrir aux usagers un large éventail de prestations annexes à ses prestations propres, d’assurer la polyvalence de son réseau et d’en garantir le développement, La Poste peut, soit dans son domaine d’activité, soit hors de son domaine d’activité, (…) conclure avec d’autres partenaires des accords de distribution ou de prestations de service. »77

Là encore, le maître mot est l’aménagement du territoire et justifie que, dans des zones rurales, La Poste sorte de ses activités officielles du courrier et des services financiers.

Enfin, les activités liées à l’Internet présentent plusieurs configurations possibles. Concernant le développement de la messagerie électronique, André Darrigrand et Sylvie Pelissier (1997) ne manquent pas de souligner que, dans l’article 2 de la loi du 2 juillet 199078, l’expression du

courrier « “sous toutes ses formes” montre qu’il n’y a pas de limitation à une forme traditionnelle de courrier et que ce service inclut également les formes nouvelles telles que le courrier électronique » [Darrigrand et Pelissier (1997), p.31]. De la même manière peut se justifier tout échange de données informatisées. L’activité de bornes Internet et Multimédia est justifiée par la contribution à l’aménagement du territoire de La Poste. Les activités de commerce électronique assurent une complémentarité avec les activités de la branche colis et logistique et représentent techniquement et commercialement le complément normal de sa mission statutaire principale. Enfin, toutes ces activités liées à l’Internet peuvent également être justifiées par l’article 4 de la loi du 2 juillet 1990 : « La Poste et France Télécom concourent à promouvoir et à développer l’innovation et la recherche dans leur secteur d’activité. »79

En définitive, même si les capacités d’innovation de service semblent limitées par les statuts de l’opérateur, la loi reste sujette à interprétation et peut permettre à La Poste de se développer sur certains secteurs. Cela n’empêche pas, non plus, La Poste de développer des innovations de service qui sont propres à ses deux missions principales que sont le courrier et les services financiers. Peut-être également le principe de spécialité pourrait-il être transformé en revendication pour que La Poste puisse pleinement assurer les missions qui lui sont confiées ? « La spécialité n’incarne donc pas seulement une limite à ne pas excéder ; elle se transforme quelquefois en une sorte de revendication qu’il conviendrait de faire valoir aux autorités de tutelle, l’important pour La Poste résidant alors moins dans le souci de transgresser les frontières de la spécialité que dans celui de ne pouvoir occuper pleinement la sphère d’activités ouverte par ce droit. » [Calley (2001), p.342]

Si La Poste parvient ainsi à s’affranchir de ses contraintes statutaires pour innover, existe-t-il d’autres freins possibles à l’innovation dans cette entreprise publique ?

76Extrait de l’article 6 de la loi n°90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des

télécommunications, Journal officiel de la République française, n°157, 8 juillet 1990, p.8069.

77Article 22 du décret n°90-1214 du 29 décembre 1990 relatif au cahier des charges de La Poste et au code des

postes et télécommunications, Journal officiel de la République française, n°303, 30 décembre 1990, p.16583.

78Loi n°90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications,

Journal officiel de la République française, n°157, 8 juillet 1990, pp.8069-8075.

79Article 4 de la loi n°90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des

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