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La lecture impossible, les dictionnaires, texte et textile

La “versluierte Betekenis”, la signification “voilée” est abordée par Boshoff sous la forme d’une quête pour élaborer des glyphes qui soient lisibles uniquement par ceux en possession d’une clef. Le mémoire de 1984 est témoin de la recherche graphique de telles signes, alors que les textes accompagnant de Projet de l’Alphabet Aveugle, en se basant sur les racines étymologiques du mot “crypte”,

cherchent à en construire une philosophie “hermétique”. Boshoff explore entre 1981 et 1994 toutes les utilisations possibles de tels textes illisibles, à savoir la résistance politique, les activités intimes et privées ou religieuses, les projets d’un créateur ou la sauvegarde de savoirs rares et mystérieux. Dans les commentaires ultérieurs, à

partir de 1994 et THE WRITING THAT FELL OFF THE WALL, qui est présenté comme une critique des “valeurs” coloniales, la même idée d’hermétisme se traduit par des remarques sur la “disqualification” du texte88. Boshoff admet avoir tout d’abord voulu jouer des “tours de cirque” au texte, avant de le déclarer inutile, “prêt pour la

88

Comme par exemple dans l’entretien avec Paul Jorgensen et Charity Ellis, donné le 12 janvier 1998, publié sur le site web onepeople.com. Une version éditée est publiée dans Jubilat five p.54 Boshoff: “… I’ve worked with disqualifying the text a great deal. To try to dislocate the text, to show how expectations of text and scripture are unrealistic. I have performed circus tricks with cryptic texts” … “to myself the thoughts I had about the text were far more important to me than the text. Unfortunately the text is retired. The text is something that gets people to stop growing, to stop thinking. It sets a paradigm that is impossible to move away from. If you believe it and you adhere to it and you never grow beyond that, then the text is a dictator. It dictates to us. At first [the text] was supposedly the clouded peripheral vision of people who thought that it was important, but no one sees that. They think it’s a be all and end all. In the same way that I tried to uproot the sense of authority of people at school . . . the text became something of a challenge to be uprooted rather than to be enslaved to. The worst thing that could have happened was the invention of the book. I love books; it’s a paradox because the inconubula, the cradle, the books of Gutenberg, started something very bad. It was necessary and very bad. It was necessary to preserve knowledge, but it was very bad because it left no alternative, no deviation. It was written and what was THE WRITING THAT FELL OFF THE WALL (1997)

retraite”, et de vouloir “undermine”, saper son autorité, en démontrant que ce qui y est exprimé change tout le temps, comme cela arrive au cours d’une conversation dont nul ne peut prédire le dénouement. L’énoncé ne doit jamais être figé

en doctrine. La “disqualification” d’un texte peut être obtenue par de nombreuses techniques. Il peut s’agir d’un texte illisible, crypté, comme dans BANGBOEK ou le 370 DAY PROJECT, d’un texte déchiré, découpé comme dans STICKS AND STONES ou SDROW FO NWODKAERB, d’un texte rendu illisible par le fractionnement et la superposition de lettres ou la soustraction des marqueurs grammaticaux comme dans KYKAFRIKAANS, ou d’un texte illisible en raison de sa trop grande difficulté ou de son trop gros volume comme dans les dictionnaires.

L’attitude de Boshoff évolue, à partir d’une conviction affiliée aux pratiques des années 70, vers un penchant plus clairement “contemporain”. KYKAFRIKAANS est subversif comme les expérimentations des artistes Dada, des jeux de mots d’un Marcel

Duchamp89 et du Lettrisme. PRISON SENTENCES ou LE PROJET DE 370 JOURS

pourrait être comparé à un “Schreiben ohne Worte” par Hanne Darboven90. Ce dernier travail est une tentative pure d’encodage qui exclut la possibilité d’un déchiffrement de la part du spectateur91 et se limite à l’ambition de guider ou de reconstituer le “voir” du spectateur92 ; cette ambition se retrouve également chez Joseph Kosuth93. Les œuvres

written was the law and that enslaved people. So in my concrete poetry I dealt specifically with the Bible -- that it’s words are not supposed to be upheld as tenants. You will find that the concrete poetry I wrote in the seventies mostly deals with biblical text, but for example, they would be a subversion of the text. [Attempts] to get the text monomaically one on one, the dual, a fight . . . the text becomes that.” … “There’s a verse in the Gospels that tells us that the spirit is like the wind. It blows where it wants to go and I think that’s what the text should do . . . be left to be, do it’s thing, come and go like the waves in the sea, it’s a current, an energy. So I have many other concrete poetry that dealt with the way the wind would blow the text, the way that the text changes all the time in conversation, in the house. Completely unpredictable. I wanted that disqualification of the text.”

89 Une crtique récente par Willem van Rensburg cherche à mettre en avant cet aspect du travail de Boshoff. Boshoff choisit ce texte pour accompagner son œvre DADA TABLE sur son site web.

http://www.willemboshoff.com/documents/artworks/DADA_TABLE.htm (consulté le 22-1-2012) 90 Voir Elke Bippus, 2003. Serielle Verfahren, p.106.

91

Elke Bippus, 2003. p.118 “Prozesse Verstehen und Missverstehen sind nicht einbezogen”. 92 Elke Bippus, 2003. p.111 “.. lenken des (re-) konstruierte Sehen der Beobachter”.

SDROW FO NWODKAERB (2004)

comme BANGBOEK, ABAMFUSA LAWULA ou KRING VAN KENNIS montrent une préoccupation presque exagérée94 pour le décryptage par le spectateur. Boshoff imagine

des scénarios très élaborés autour de la découverte du contenu par le spectateur/lecteur, et crée des situations dans lesquelles le spectateur est confronté à son manque de

compréhension. Plus récemment, les

dictionnaires “illisibles” en raison du volume d’informations, auquel Boshoff confronte son spectateur/lecteur, montrent une “dissolution” de la signification95, qui coïncide avec le passage à l’adoption du format liste96, peut-être par abandon, conscient ou non, ou peut-être par “boulimie”, par laquelle l’artiste s’immerge dans des “choses qu’il vaut la peine de savoir”, et qui sont glanées dans les savoirs des mondes occidentaux, dans celui des alchimistes, dans les sagesses africaines et même dans la divination.

Ces savoirs que Boshoff poursuit jusqu’au point de “dissolution” ne sont aucunement chaotiques. Boshoff progresse avec beaucoup de méthode. Il organise les collectabilia sous forme de liste, ou de dictionnaire97 plus exactement. Au fil des années, Boshoff en a écrit un grand nombre, de sorte que leur mention nécessite une liste :

93

Thomas Dreher, “Aktions- und Konzept Kunst”, http://dreher.netzliteratur.net/1_Aktions-u.Konzeptkunst.html, (consulté le 10-1-2009), et également “Zero + Not” 1985-1986

http://dreher.netzliteratur.net/3_Konzeptkunst_Kosuth.html (consulté le 10-1-2009); mais également le texte de Sylvia Lavin, de 1991. “Speaking Stones Silently”, dans ExLibris, J.F.Champollion (Figgeac) une

Installation permanente. pp.16-22.

94 Cette idée est, entre autres, proposée par Ivan Vladislavi!, 2005.

95 Okwui Enwezor dans le texte pour Points of Origin et repris par Allyson Purpura dans Inscribing

Meaning (2007).

96 Ivan Vladislavi!, 2005. p.28 Remarques sur KYKAFRIKAANS “lists rather than lyrics, brief dictionaries”.

97 Boshoff met son activité d’“écrivain de dictionnaires” en valeur dès le court paragraphe par lequel il présente son activité artistique dans son CV. Voir KG Introduction. Il répète la remarque dans ses textes pour le catalogue Licked (2003) et pour Sted//Place (2004) en introduction à son texte “Negotiating the English Labyrith”.

Dictionary of Colour98, Dictionary of Morphology99, Dictionary of ologies and -isms100, Dictionary of Beasts and Demons, Dictionary of Obscure Financial Terms et Dictionary of Winds101; Places Mother Might not

Approve of et Dictionary of Manias and Phobias et Unmentionabilia102; Red Names103, Dictionary of perplexing English104, Beyond the Epiglottis105, Boshoff travaille activement en vue d’une publication

OH NO! DICTIONARY... et plus récemment106 “What

every Druid should Know”.

Pour chacun de ces dictionnaires, Boshoff a fait une vaste recherche de tous les mots “difficiles”, et donc peu utilisés, appartenant au champ sémantique des notions mentionnées dans le titre : la couleur, la morphologie, des notions psychologiques, et ainsi de suite. Boshoff prétend suivre une démarche rigoureuse et systématique107. Grâce à une utilisation très libre de la langue, Boshoff parvient, dans de courts paragraphes (quatre à cinq lignes à peine), à donner une définition valable de chacun des mots qu’il a sélectionnés. Dans ces quelques lignes, il évoque l’origine sémantique du mot en question, et explique sa signification scientifique de même que ses utilisations courantes

98 Dictionary of Colour, 1977, va de pair avec l’œuvre SKYNBORD 1977

99 Dictionary of Morphology se matérialise sous forme de BLIND ALPHABET PROJECT 1994 100

Dictionary of -ologies and -isms donne KRING VAN KENNIS et WRITING IN THE SAND en 2000

101

Dictionary of Obscure Financial Terms et Dictionary of Winds - établies pour WINDFALL 2001 et

WINDWOORDE 2008 102

Places Mother Might not Approve of, Dictionary of Manias and Phobias et Unmentionabilia les trois

seront repris par le OH NO! DICTIONARY (Boshoff édite des gravures en 2010)

103

Red Names fera partie des listes des GARDENS OF WORDS à partir de 1982

104

Dictionary of perplexing English que Boshoff considère “complèt” en 1999 “Complete a Dictionary of perplexing English after more than ten years, with research done from 200

dictionaries including the 25 volumes of the Oxford English dictionary” 105 Beyond the Epiglottis, a dictionary with extraordinary terms of rhetoric (commencé en 2000, ce dictionnaire sert comme texte de base pour SDROW FO NWODKAERB en 2004)

106 Cette liste ne comporte uniquement que les noms et les dates utilisés officiellement par Boshoff, j’ai également trouvé mention des références suivantes utilisées lors d’entretiens: “psychological terms”; “the eye and vision” (BAP?), “Gods and Godesses”. Le INDEX OF (B)REACHINGS est également un dictionnaire mais Boshoff ne s’y réfère pas en tant que tel, l’essentiel de l’index est repris par What every

druid should know.

107 Il insiste par exemple de faire l’énumération des dictionnaires qu’il a lus pour établir ses listes de mots, voir entre autres l’entretien avec Jorgensen et Ellis, 1998. p.64 ; ailleurs, dans l’entretien avec Warren Siebrits (2007) p.15, il attire l’attention sur les livres et les dictionnaires dont il fait collection.

OH NO! PRINTS “Dromomania”

ou métaphoriques108. Il parvient à “faire vivre” le mot, en ajoutant des anecdotes, des mots apparentés ou des paronymes, qui pourraient amener à de fausses conclusions concernant la signification du mot. Boshoff dit avoir voulu leur donner un visage109. Pour la plupart, ces courts paragraphes sont écrits sur un ton amusé, parfois franchement drôle, auquel un écrivain ne peut aboutir que grâce à une très bonne connaissance de son sujet.

Même s’il déclare le Dictionary of perplexing English complet en 1999, ce dernier reste le dictionnaire principal, car la plupart des definienda des autres recherches trouvent également leur place dans la collection des “mots qui laissent perplexes”. Pour expliquer l’origine de ce dictionnaire, Boshoff revient volontiers sur cet épisode de sa biographie110 : la rivalité entre l’Anglais et l’Afrikaans dans la salle des profs de l’école

108 Voici la liste des précisions que Boshoff souhaite donner (BAP, 1994, p.46):

“‘descriptive essays’ calculated to fit onto the standard-sized sheet of Braille-printed aluminium. Their purpose is to adminiculate, that is to aid and support in an understanding of meanings behind shapes and their abtruse words = adminiculate essays

The meaning of the key-word is declared

Their function as nouns, adjectives, verbs or adverbs is either stated or is clear from the way they are described

The etymological history of the terms is discussed

The field or science where the words are normally used is indicated, for example: mountaineering, botany, physiology

Examples of the kind of shapes, structures, and textures the words might be used for, is indicated Antonyms orantonymous applications in morphology are suggested for the terms

When the subject under discussion is less familiar, more information regarding its nature, history, whereabouts etc. will be given

Anecdotal explanations or highlights are used.

The object made in wood for THE BLIND ALPHABET PROJECT is described and identified. For the objects with moveable parts, explanations of how to operate them are given.

The date on which the object was made is stated

The common names of the wood are given with the botanical genus and the species stated in brackets. 109

Boshoff écrit un court texte pour présenter le dictionnaire: Notes for SDROW FO NWODKAERB (en vue d’établir le catalogue pour Nonpussed): “The dictionary contains 18,000 entries of words that are defunct or too ‘difficult’ for even the most erudite English speakers. The aim was to give these ‘perplexing’ English words from the Oxford English Dictionary (O.E.D.) a simple explanation – a face, so to speak. It was indeed necessary to read the entire O.E.D. to be as inclusive as possible. A number of artworks with selected themes were made from this larger DICTIONARY OF PERPLEXING ENGLISH, the idea being that translations in the eleven official languages of South Africa or even in Braille would then be placed in such contexts and places as to break the ice between the English intelligentsia and those of different (disenfranchised) linguistic persuasion.”

110 Lors de la présentation de son travail pour l’exposition Ampersand au sein de la Daimler Collection à Berlin en 2010, Boshoff évoque une fois de plus ses confrontations et ses ambitions concernant la langue anglaise. Dans le mémoire de 1984, il avait par contre avancé une explication sur un ton hautement neutre et scientifique : VLV, 1984. p.60 BLOKKIESRAAISEL - kennis oor die Engelse taalgebruik,

Boy’s High à Johannesburg. La prise de conscience de ce décalage entre lui et les autres l’ouvre sur une des réalités les plus tristes de la condition humaine : tout mot énoncé est toujours sujet à une volonté de compréhension et de négociation concernant sa signification. Le fait que les mots existent présuppose que nous sommes obligés d’agir pour qu’un autre puisse se faire une idée de notre intimité. Cette prise de conscience implique une part de deuil111qui est accentué dans les situations bilingues112, qui soulève nécessairement le problème de la traduction. Ce même dilemme se retrouve dans la polysémie d’un mot ou ses conations basées sur les compréhensions subjectives liées à un passé individuel.

Tous les mots des collections de Boshoff sont certes “difficiles”, mais l’artiste, en cherchant un titre pour cette collection, s’est arrêté sur le mot “perplexité”. Il souligne le fait que les mots ont en réalité ceci en commun que leur utilisation est difficile113, rare, mais qu’ils sont surtout des mots qui provoquent une certaine perplexité114. Ivan Vladislavi!115 a montré le potentiel du choix de son titre: il n’est pas possible d’avoir un dictionnaire de “mots qui laissent perplexe”, car chaque utilisateur apporte un champ de connaissance qui lui est propre. Ce qui intrigue l’un est tout à fait banal pour l’autre. Le

111 Paul Ricœr a formulé cette pensée dans Sur la traduction, pp.46-49 (2004). Le Dictionary of perplexing

English peut en ce sens être vu comme une façon d’entamer le deuil de la guerre des boers contre les

Anglais qui jusqu’à aujourd’hui a été négligé - nous y reviendrons en conclusion à cette troisième partie. 112 En ce sens, voir également le texte de Erwin Mortier, 2006. “Koffie met Koek in die diepte van die ruimte. Over taalpijn.” publié dans le catalogue Pijn, la douleur, Pain, Museum Dr Guislain, Gent. pp.147-152. (qui rappelle le mot “tandpijn” rage de dent, rage de langue, alors?). L’artiste belge Thierry de Cordier aurait pu illustrer cette douleur de bilinguisme dans un autre contexte que celui de l'Afrique du Sud. 113 Voir par exemple le tapuscrit du BLIND ALPHABET PROJECT p.31 Note 86 où Boshoff fait référence à soi-même en tant que “...the artist whose collection of interesting and abstruse words that are not

normally used, and that do not occur in Braille dictionaries, is to be placed on ‘building blocks’ for a ‘Blind Wall’ sculpture, thus turning it into an exercise of cryptic encyclopaedism.” Ici Boshoff présente le

dictionnaire comme un travail préparatif pour le “Blind wall”, il veut à la base en venir à un autre utilisation de ce dictionnaire.

114 Dans le “Artist’s Statement” que Boshoff écrit en 2001 pour le BLIND ALPHABET PROJECT (archives numériques, il inclut cette version du texte dans les “Scrapbooks” qu'il rend disponible aux chercheurs avant la mise en place de son site web en 2004), Boshoff explique comment il en vient à l’écriture des dictionnaires, (voir également KG, Introduction). Dans ce texte Boshoff avoue son intention de “laisser perplexe” les autres, il décrit ses propres sentiments d’infériorité, qui l’incitent à vouloir se venger ou à attirer l’attention de ceux qui semblent se considérer comme supérieurs. Le texte explicatif publié sur le site web de Boshoff en 2011 est une version retravaillée du texte de 2001. Boshoff y décrit les étapes successives qui ont donné lieu aux dictionnaires, mais il donne moins d’importance à l’ambition de ridiculiser celui qui se sentait supérieur. Voir

http://www.willemboshoff.com/documents/artworks/blind_alphabet.htm (consulté le 24-11-2011) 115

Ivan Vladislavi!, 2005. p.52 choisit de parler de sa propre rencontre avec les dictionnaires pour mettre en valeur le caractère subjectif de la “Perplexité”.

Dictionary of perplexing English est un dictionnaire qui ne laisse perplexe qu’une seule personne : l’auteur Willem Boshoff lui-même, car il s’agit d’un dictionnaire dont la pertinence de l’utilisation est très restreinte et subjective. Une telle liste de mots, peut elle être même désignée par le mot “dictionnaire”?116 Il s’agit d’un dictionnaire avec une haute charge fictive, à l’instar de la liste des “proofreading errors” erreurs de langue décelées par le correcteur d’épreuves établie par un certain “Aubrey Tearle” dans une fiction de Ivan Vladislavi!117, ou l’encyclopédie établie par une société secrète d’astronomes, de biologues, d’ingénieurs, de métaphysiciens, de poètes, de chimistes, d’algébristes pour le

pays de Tlön dans The Anglo-American Cyclopoedia Tome XLVIe et dans une nouvelle

de Jorge Louis Borgès, “Tlön Uqbar Orbis Tertius”, contenue dans l’anthologie Fictions. L’encyclopédie inventée montre le paradoxe de ce que nous tenons pour subjectif ou universellement connu. Le narrateur Borgès et ses amis s’efforcent de retrouver des références de ce pays appelé Tlön, qui est “une région de l’Irak ou de l’Asie Mineure”, dont il ne trouve aucune indication, et qui doit donc être une pure invention des écrivains de l’encyclopédie. Pourtant, dans les textes de l’encyclopédie, on trouve une description complète de la géologie, de la topographie, de la faune et de la flore, des coutumes et de la littérature, de la numismatique, de la pharmacologie et de l’archéologie de ce pays... “tout cela [étant] articulé, [de manière] cohérent[e,] sans aucune visible intention doctrinale ou parodique”118. Borgès termine sur cette observation : “Il y a dix ans il suffisait de n’importe quelle symétrie ayant l’apparence d’ordre - le matérialisme dialectique, l’antisémitisme, le nazisme - pour ébaubir les hommes. Comment ne pas se soumettre à Tlön, à la minutieuse et vaste évidence d’une planète ordonnée? (....) Tlön est peut-être un labyrinthe, mais un labyrinthe ourdi par des hommes et destiné à être déchiffré par les hommes”. Progressivement, l’univers de Tlön commence à remplacer

116 Cette question est posée par Carrol Clarkson, dans une communication pour le “International

Association of Philosophy and Literature annual conference” Freiburg, Allemagne, 5-10 juin 2006 avec le titre “Willem Boshoff: Art of the Dictionary”. Je reviendrai sur ce texte.