Dans une étude princeps, une composante positive frontopolaire a été mise en évidence après la présentation d’une durée nécessitant une réponse (Paul, Le Dantec, Bernard, Lalonde, & Rebaï, 2003). Il s’agit de la Late Positive Component of timing (LPCt) (Figure 22). Les auteurs ont demandé à des sujets de réaliser une tâche de discrimination de paires de durées pouvant être 100/200 ms, 300/600 ms ou 1000/2000 ms. L’ordre de présentation des durées était aussi manipulé et les sujets devaient déterminer si la deuxième durée était plus courte ou plus longue que la première. La LPCt était évoquée uniquement après la deuxième durée quand une décision était requise. De plus, cet indice covariait avec les performances comportementales : une LPCt plus ample était associée à de meilleures performances. Ces deux constatations ont amené les auteurs à conclure que la LPCt soustend une activité neuronale liée aux mécanismes décisionnels portant sur des durées. Plus précisément, étant donné que la VCN reflète l’assemblage de réseaux neuronaux et que les ondes positives tardives reflètent le désassemblage de ces réseaux (TimsitBerthier & Gérono, 1998), Paul et al. ont proposé que la LPCt reflète l’inhibition
neuronale de réseaux correspondant aux choix incorrects. Elle serait donc associée au filtrage de l’information non pertinente. Figure 22: Signal frontopolaire observé par Paul et al. (2003) en réponse à la durée 2 s dans la condition où la paire de durées à discriminer est 12 s. Une composante positive, la LPCt, est évoquée peu après la fin de la durée. Une étude ultérieure a cherché à déterminer si la LPCt était un indice de la décision spécifique aux durées ou commun à d’autres types de décisions perceptives (Gontier et al., 2008). Une tâche de discrimination temporelle et une autre portant sur la discrimination de formes ont été administrées aux participants. Dans les deux cas, la structure de la tâche consistait à présenter une paire de stimuli (temporels ou formes) et le sujet devait indiquer si la deuxième durée était plus courte ou plus longue que la première durée dans la tâche temporelle ou si le deuxième cercle était plus petit ou plus grand que le premier dans la tâche de discrimination de formes. La LPCt était présente en réponse au deuxième stimulus dans les deux tâches. Cependant, la composante covariait avec les performances comportementales dans la tâche temporelle, mais pas dans la tâche de discrimination de formes. De plus, la LPCt apparaissait avant la fin de la stimulation dans la tâche non temporelle. Les auteurs en déduisent que cette composante reflète des mécanismes décisionnels généraux qui ne sont donc pas spécifiques à la discrimination temporelle.
Une autre étude a été menée en ayant recours à une tâche dont une modélisation précédente a révélé qu’elle manipulait spécifiquement les mécanismes décisionnels (Paul et al., 2011). Le paradigme était une réplication de l’expérience de Ferrara, Lejeune & Wearden (1997) avec des stimuli visuels qui soustendaient les durées plutôt que des stimuli auditifs. Les participants devaient faire une tâche de généralisation temporelle dans une condition
Chapitre 3 : Les potentiels évoqués dans la perception du temps
facile et dans une condition difficile. La durée standard était de 600 ms et c’est l’espacement des durées dans la distribution des intervalles utilisés qui différenciait les conditions. Dans la condition facile, la distribution des durées consistait en des intervalles séparés de 150 ms centrés sur la durée standard. Dans la condition difficile, les durées n’étaient séparées que de 75 ms. Les auteurs ont retrouvé le résultat de Ferrara, Lejeune & Wearden (1997), à savoir que les deux conditions entraînent une diminution globale de réponses « oui, c’est la durée standard » dans la condition difficile. D’après la modélisation, cet effet est dû à une modification spécifique du seuil de décision qui est plus élevé lorsque la tâche est difficile. Sur le plan électrophysiologique, la LPCt était plus ample dans la condition difficile que dans la condition facile, ce qui confirme que la composante reflète bien des mécanismes décisionnels. Cependant, l’amplitude de la P1 et de la VCN montrait le même effet, ce qui indique que la condition difficile mobilise davantage de ressources attentionnelles. Le signal cérébral lié à la stimulation entrante est amplifié dans l’optique d’améliorer le traitement temporel ultérieur. Par conséquent, le processus décisionnel est basé sur une activation cérébrale en aval. Cela montre également que contrairement à ce que la modélisation comportementale suggère, la manipulation de la difficulté de la tâche module les mécanismes décisionnels, mais aussi attentionnels.
4. Conclusion
Les potentiels évoqués ont fourni un ensemble de résultats permettant de mieux comprendre la perception du temps. La VCN a été la composante la plus étudiée. Apparaissant pendant une durée à estimer, elle a été associée à la fois à l’encodage, à la mémoire et à la décision portée sur le temps. Toutefois, la portée fonctionnelle de cette onde a été remise en question par des travaux suggérant qu’elle reflèterait des processus sensibles au temps et non des processus de perception du temps en tant que tel. Une autre composante, la LPCt, est liée à des étapes tardives du traitement temporel, puisqu’elle apparaît après une durée nécessitant une réponse et varie en fonction des performances des participants. Enfin, une P300 tardive, étant donc associée à des étapes survenant lors de la décision, a été observée dans des protocoles de discrimination de durées, mais n’a à notre connaissance pas fait l’objet d’une investigation dédiée dans le cadre de la perception du temps. Si l’ensemble des composantes évoquées ayant été utilisées pour étudier la discrimination de durées n’a pas été abordé dans ce chapitre, il s’avère que la présence de
trois composantes distinctes dans le traitement temporel conforte l’idée que celuici ne se résume pas à un simple mécanisme d’horloge interne et implique un ensemble de fonctions cognitives additionnelles.