Méthodologie générale
3. Résultats 1 Données comportementales
4.1. L’impact de la tâche réalisée sur l’implication des mécanismes comparatifs
4.2.2. Les durées courtes se traduisent par un traitement comparatif différentiable des durées longues
En plus de l’analyse des réponses données par les participants, l’étude du temps de réaction révèle un effet de la durée particulièrement intéressant, laissant penser que les participants répondent différemment selon la longueur de la durée. De cet examen, le point le plus important à retenir est qu’à partir de 800 ms, le temps de réponse à la fin du stimulus diminue à mesure que la durée est longue. Cet effet concorde avec ce qui a été observé dans les premières études et avec la notion de fonction de hasard (Nobre et al., 2007). Pour rappel, ce concept désigne la faculté à coder la probabilité qu’un évènement se produise sachant qu’il ne s’est pas encore produit. Plus le temps avance, plus l’évènement a de chances de survenir, ce qui permet d’augmenter l’anticipation et la préparation de la réponse manifestée par une réponse d’autant plus rapide à la fin du stimulus que celuici était long. Il est intéressant de souligner qu’un tel gain comportemental était déjà observable en réponse à la durée 800 ms. Pourtant, il s’agit de la durée moyenne de la distribution des durées présentées. Il aurait été logique que les temps de réaction commencent à diminuer pour les durées dépassant celleci, c’estàdire à partir de 1000 ms. Cependant, dans la tâche de bissection, il a été vu dans la section précédente que le point d’égalité subjective (718 ms), qui constitue le critère pour classer une durée comme courte ou longue, était plus proche de la moyenne géométrique des durées présentées, c’estàdire 676 ms. Dans ce paradigme, quand la durée 800 ms est présentée, la fin du stimulus sous tendant cet intervalle intervient après que le point de bissection ait été passé. Par conséquent, l’encodage de la probabilité de fin du stimulus à l’aide d’une fonction de hasard a pu commencer avant son extinction, permettant une diminution du temps de réponse relativement à la condition où le stimulus dure 600 ms.
Si cette explication permet d’expliquer la baisse du temps de réaction dès 800 ms dans la tâche de bissection, elle n’explique pas pour autant le même effet observé dans la tâche de généralisation. Cette observation ne semble pas avoir d’interprétation évidente. Une explication potentielle peut être proposée en rapportant les temps de réaction aux réponses des participants : les temps de réaction commencent à diminuer lorsque la fréquence de réponses « oui, c’est le standard » augmente de manière conséquente (près de 40% pour
Chapitre 4 : Activités frontales et pariétales dans des protocoles de généralisation et de bissection 600 ms, près de 80% pour 800 ms, puis reste élevé pour les durées longues). Il est donc envisageable que les participants répondent plus rapidement « oui, c’est le standard » que lorsqu’ils disent que ce n’est pas le cas. Dans une analyse complémentaire (Annexe 3) comparant le temps de réaction entre la réponse « oui c’est le standard » et la réponse « non, ce n’est pas le standard », cette interprétation a pu être confortée en mettant en évidence un temps de réponse plus élevé dans le second cas pour chaque durée. Ce résultat indique que les participants n’accordent pas la même valeur à la réponse « oui c’est le standard » qu’à l’alternative. Autrement dit, les deux réponses possibles possèdent un seuil décisionnel différent : il est nécessaire d’avoir moins d’évidence temporelle accumulée pour répondre « oui » que pour répondre « non ». Cela n’est pas prévu dans les modèles récents de la dynamique décisionnelle, qui prévoient un seuil de décision équivalent pour les deux réponses à donner dans une tâche de bissection temporelle (Balcı & Simen, 2014). Il est possible de conclure de cette observation que dans la généralisation temporelle, les participants semblent davantage se préparer à répondre que la durée est le standard plutôt qu’à dire que celleci est différente.
D’un point de vue descriptif, les temps de réaction à la fin du stimulus étaient plus élevés lorsque la durée était 600 ms que 200 ms. Cet effet pourrait être provoqué par la position de ces deux durées dans la distribution des durées possibles de l’expérience : 200 ms était la plus courte et pouvait à ce titre faire l’objet d’une discrimination plus rapide que 600 ms, située plus au milieu de la distribution et étant donc plus difficile à distinguer des autres durées. Nous ne développerons cependant pas ce point étant donné que l’effet n’était pas significatif.
L’inspection visuelle des potentiels évoqués dans les deux tâches et en fonction de la durée a révélé la présence d’une P3a uniquement après des durées courtes (de 200 ms à 800 ms), tandis que la PSW n’était présente qu’en réponse à des durées longues (de 800 ms à 1400 ms. L’évocation de la P3a restreinte aux durées courtes concorde avec les deux précédentes études rapportées dans cette thèse, lesquelles avaient révélées cette composante uniquement lorsque la durée cible était plus courte que la durée standard dans un paradigme d’oddball temporel. La restriction de la P3a à ces durées n’est pas surprenante dans la mesure où cette composante reflète une capture automatique de l’attention dans le cadre de la détection d’un stimulus nouveau (Kimura et al., 2008). Comme il avait été
reporté dans la discussion des études précédentes, lorsque la durée est plus courte que la durée de référence, c’est la fin prématurée du stimulus qui permet de dire que sa durée est plus courte. La capture de l’attention qui se fait de manière automatique est donc nécessairement induite de manière exogène, par l’extinction du stimulus. À l’inverse, lorsque la durée est plus longue que la durée critère (durée standard dans l’oddball et la généralisation, point d’égalité subjective dans la bissection), c’est un évènement endogène qui provoque la détection d’une différence de durées : l’attention n’est alors pas capturée automatiquement, mais est cognitivement dirigée par un mécanisme interne de détection, ce qui explique l’absence de P3a lorsque les durées sont plus longues que la durée critère. La survenue de la PSW pour les durées supérieures à 600 ms uniquement est également concordante avec les deux premières études. Ce résultat conforte l’idée que la PSW reflète un mécanisme d’accumulation d’évidence sensorielle dans le cadre de la comparaison temporelle et qu’il n’est mis en place que lorsque les durées sont suffisamment longues.
Les potentiels évoqués par la fin de la durée que sont la LPCt, la P3a et la P3b, étaient modulés par la durée présentée. Globalement, il ressort que les durées 200 ms, 400 ms et dans une moindre mesure 600 ms, entraîneraient davantage d’activation cérébrale, sous la forme d’une augmentation d’amplitude de ces trois composantes, comparativement aux durées plus longues. La signification de cet effet global s’explique par un autre effet : à l’extinction du stimulus, la LPCt est plus tardive en réponse à 200 ms et 400 ms que pour les autres durées. Cette manifestation électrophysiologique est à mettre en lien avec la sensibilité de la perception du temps avec le contexte global (Bausenhart & Dyjas, 2014) et local (Wiener & Thompson, 2015; Wiener et al., 2014) de la tâche, comme l’adaptation du traitement temporel aux durées qui sont présentées dans l’expérience. Dans un bloc d’essais, si les durées sont supérieures à la seconde, le traitement de durées proches d’une seconde mobilisera davantage les régions associées au traitement des durées longues, tandis que l’inverse est observé avec des durées inférieures à la seconde (Murai & Yotsumoto, 2016). Dans notre étude, les participants sont habitués à percevoir sept durées différentes, allant de 200 ms à 1400 ms. Cinq durées sur sept sont supérieures à 400 ms, ce qui représente environ 71% des essais. Le cerveau s’adapte probablement à ce contexte en générant une attente de durée suffisamment longue à chaque essai. Mais lorsque la durée est 200 ms ou 400 ms, un effet de surprise apparaît et l’extinction prématurée du stimulus
Chapitre 4 : Activités frontales et pariétales dans des protocoles de généralisation et de bissection amène le cerveau à prendre une décision sans avoir anticipé la fin du stimulus, provoquant un retard dans la prise de décision indexée par la LPCt. Il est à noter que ce retard ne semble pas avoir de conséquences sur les temps de réaction, puisqu’ils sont plus courts pour 200 ms et 400 ms par rapport à 600 ms. Cela concorde avec l’idée que des processus sont bien présents entre la prise de décision et l’exécution de la réponse, et que la dynamique de ces processus intermédiaires peut compenser le retard de la prise de décision.
À la lumière du retard de la prise de décision observé sur la LPCt et de l’identification de sa source fonctionnelle, c’estàdire un effet de surprise, la compréhension de l’augmentation de l’amplitude de la LPCt, de la P3a et de la P3b pour les durées les plus courtes peut s’expliquer à l’aide du recrutement de ressources attentionnelles. En effet, il a été montré que la P3b, reflétant la mise à jour de la mémoire de travail, est d’autant plus ample dans un paradigme oddball que la cible est rare, c’estàdire qu’elle provoque un effet de surprise plus grand (DuncanJohnson & Donchin, 1977). De plus, lorsque la tâche d’oddball est mise en concurrence avec une tâche interférente, l’amplitude de la P300 en réponse à la cible diminue (Polich, 2007), ce qui indique que cet indice est sensible à la quantité de ressources attentionnelles allouée à la tâche pour effectuer l’opération de mémoire de travail. Il est également à noter que dans une étude précédente, il a été mis en lumière une augmentation de l’amplitude de plusieurs composantes des potentiels évoqués lorsque la difficulté de la discrimination temporelle était plus importante, ce qui a déjà été mis en lien avec une augmentation de la quantité de ressources attentionnelles nécessaires pour effectuer la discrimination temporelle plus difficile (Paul et al., 2011). En prenant ensemble ces résultats, il peut en être déduit que l’amplitude renforcée de la LPCt, de la P3a et de la P3b observée en réponse aux durées les plus courtes de cette étude peut être provoquée par un surplus de ressources attentionnelles allouées au traitement tardif de ces durées. Ce phénomène pourrait permettre d’approfondir le traitement de la durée puisque contrairement aux durées plus longues, le jugement de la durée pourrait avoir été trop court pendant le stimulus qui la soustend. Par conséquent, la prise de décision et les opérations attentionnelles et de mémoire de travail, soustendues par la LPCt, la P3a et la P3b permettraient de compenser un traitement temporel qui n’a pas pu avoir lieu pendant des durées aussi courtes.