2. Les aires neuronales interagissant avec le circuit central 1 Les durées courtes et les durées longues
2.2.2. Implication dans la perception du temps
Des études neuropsychologiques ont permis de montrer la dépendance de la perception du temps visàvis de l’intégrité du cortex préfrontal (Harrington, Haaland, & Knight, 1998; Mangels, Ivry, & Shimizu, 1998). Ces expériences ont mis en évidence que des patients présentant une lésion préfrontale avaient plus de difficultés à discriminer deux durées supérieures à la seconde que des sujets sains. Toutefois, ces auteurs ont aussi mis en exergue la même difficulté dans une tâche de discrimination de fréquences de tonalités : lorsque l’intervalle entre les deux tonalités augmentait, les participants avaient plus de mal à différencier les sons. De plus, dans une expérience additionnelle, les auteurs ont montré que les patients préfrontaux avaient du mal à initier par euxmêmes des stratégies permettant de traiter plus efficacement des durées longues. En effet, lorsque la durée était découpée en une série de tonalités, les performances étaient améliorées uniquement chez les sujets préfrontaux lorsqu’on leur donnait explicitement comme consigne de compter les tonalités pour aider à différencier les durées. L’ensemble de ces résultats confirment bien l’importance du cortex préfrontal dans la perception du temps, mais cette étude met aussi en exergue que cette région soustend plutôt des fonctions de mémoire de travail nécessaires pour traiter les durées.
Les données de neuroimagerie ont aussi apporté des informations sur le rôle du cortex préfrontal. Dans ce cadre, une série d’expériences a permis de montrer que les étapes d’encodage et de comparaison d’une durée sont associées à des aires cérébrales différentes (Coull, Nazarian, & Vidal, 2008; Harrington et al., 2004; Harrington, Zimbelman, Hinton, & Rao, 2010; Rao et al., 2001). Ce type de protocole a permis de pointer l’implication d’aires
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cérébrales soustendant les fonctions cognitives de haut niveau dans l’estimation temporelle. Pour dissocier les étapes de traitement, les auteurs demandent aux participants de discriminer une paire de durées et enregistrent des séquences IRMf en réponse à la première durée (encodage) et à la seconde durée (comparaison).
De cette manière, Rao et al. (2001) ont demandé à leurs participants de déterminer si, dans une paire d’intervalles délimités par deux tonalités, le deuxième intervalle était plus court ou plus long que le premier. Deux tâches contrôles ont été utilisées. Dans une tâche de discrimination de tonalités, les participants devaient indiquer si la dernière tonalité était d’une fréquence plus ou moins élevée que les trois premières. Dans la deuxième tâche contrôle, les sujets devaient simplement appuyer sur un bouton suite à la présentation des deux intervalles fixes, délimités par deux tonalités identiques. Les auteurs ont pointé une activation particulière du cortex préfrontal dorsolatéral (DLPFC) droit durant la phase de comparaison des durées, ce qui concorde avec le rôle attribué à cette région dans la manipulation de l’information en mémoire de travail. Toutefois, une activation similaire était retrouvée dans le DLPFC gauche lors de la discrimination de tonalités comparativement à la tâche contrôle, ce qui met en évidence à la fois un caractère général à l’activation préfrontale (implication dans la décision) et spécifique du fait de la latéralisation de l’activation en fonction de la caractéristique traitée.
D’un point de vue plus fonctionnel, le DLPFC droit a été associé à un processus de surveillance des entrées sensorielles en fonction des entrées temporellement attendues. Dans un paradigme de période de préparation à intervalle fixe ou variable, les participants doivent répondre le plus vite possible à un stimulus impératif précédé d’un stimulus avertisseur. Lorsque la durée entre les deux stimuli (période de préparation) est variable, le temps de réaction en réponse au stimulus avertisseur est d’autant plus rapide que l’intervalle séparant les deux stimulations est grand (Los, 2010). Cet effet est connu pour être la manifestation de l’implémentation de la fonction de hasard (Nobre, Correa, & Coull, 2007), qui détermine la probabilité qu’un évènement (le stimulus impératif) survienne sachant qu’il n’a pas encore eu lieu. Cette probabilité augmente à mesure que le temps passe et nécessite de surveiller les entrées sensorielles pour améliorer au mieux la préparation motrice en réponse à l’évènement. La diminution du temps de réaction lors de l’allongement de la période de préparation est corrélée avec l’activité du DLPFC droit,
indiquant que cette aire est impliquée dans la mise à jour continue des attentes concernant la survenue du stimulus impératif en fonction du temps écoulé depuis le stimulus avertisseur (Vallesi, McIntosh, Shallice, & Stuss, 2009). Si cette région est sensible à la période de préparation, il s’agit dans ce cas d’une sensibilité implicite au temps entre deux stimuli (Coull & Nobre, 2008). Toutefois, il a été proposé que des régions sensibles implicitement au temps puissent être recrutées dans l’estimation explicite des durées (MacDonald & Meck, 2004). Ainsi, le DLPFC droit serait activé dans l’optique de mettre à jour les représentations temporelles en fonction du temps. À mesure que l’intervalle s’écoule, le cortex préfrontal utiliserait les signaux sensoriels pour déterminer si la durée est terminée et pour mettre à jour en temps réel la comparaison entre la durée en cours et la durée de référence mémorisée (Coull et al., 2011).
Des enregistrements intracérébraux de neurones unitaires du cortex préfrontal chez le singe concordent avec l’idée que ces cellules puissent encoder le temps (Genovesio & Tsujimoto, 2014). Dans une étude (Genovesio, Tsujimoto, & Wise, 2009), les neurones préfrontaux ont été enregistrés pendant que l’animal faisait une tâche de discrimination temporelle. Deux stimuli de durée variable étaient présentés de manière séquentielle : un carré rouge et un cercle bleu. Après le second stimulus, un écran faisant apparaître les deux stimuli incitait le singe à indiquer lequel avait eu la durée la plus longue. Les auteurs ont observé que des souspopulations de neurones préfrontaux codaient la durée relative des deux stimulations de différentes manières. Ainsi, certaines cellules déchargeaient selon que le premier ou le second stimulus durait le plus longtemps, selon que le stimulus rouge ou le stimulus bleu a duré le plus longtemps et, plus rarement, en fonction de la différence entre les deux durées. Ces résultats indiquent que les neurones préfrontaux sont impliqués dans la comparaison puisqu’ils déchargent différemment en fonction de la différence (basée sur une comparaison) entre les deux durées. Ce type de travaux amène à penser que le cortex préfrontal joue un rôle spécifique dans le traitement temporel, notamment dans l’étape de comparaison.
Toutefois, d’autres auteurs ont proposé une explication fonctionnelle alternative à l’activité préfrontale durant une tâche de discrimination temporelle (Radua, Pozo, Gómez, GuillenGrima, & Ortuño, 2014). En effectuant une métaanalyse portant sur les données de la neuroimagerie à propos de la discrimination temporelle d’une part, et portant sur les aires
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recrutées lorsqu’un effort cognitif est nécessaire d’autre part, il a été montré que la perception du temps et les fonctions exécutives partageraient les mêmes bases anatomiques (Radua et al., 2014). Ils ont inclus dans leur analyse 89 articles ; 54 portant sur des effets de difficulté de la tâche et manipulant donc l’effort cognitif à fournir pour effectuer la tâche et 35 portant sur la perception du temps. Un groupe de régions, dont le DLPFC, davantage activé en condition difficile dans une tâche non temporelle était aussi retrouvé dans les activations associées à la perception du temps. Selon les auteurs, il est possible que les régions retrouvées dans la perception du temps et dans l’effort cognitif soustendent des fonctions communes telles que maintenir l’attention dans le temps, maintenir l’information en mémoire de travail, prendre une décision ou préparer une réponse motrice. Par conséquent, si l’activité préfrontale soustend des processus spécifiques au traitement temporel tels que la comparaison de durées, les populations neuronales de cette région sont aussi recrutées à la fois lorsqu’il est nécessaire de porter une décision sur des durées et lorsqu’il faut faire un effort cognitif. Autrement dit, dans une tâche de perception du temps, le cortex préfrontal pourrait soustendre des fonctions spécifiques et des fonctions cognitives plus générales.