Méthodologie générale
3. Résultats 1 Données comportementales
4.2. Résultats électrophysiologiques – Discrimination temporelle dans l’oddball temporel
4.2.1. Des mécanismes décisionnels différents en fonction de la durée
Les données électrophysiologiques ont mis en exergue la présence d’une LPCt sur les électrodes frontopolaires lorsque les participants étaient confrontés aux deux durées cibles.
Chapitre 2 : Effet de la durée et de la spécificité temporelle des activités frontales et pariétales dans l’étape décisionnelle de la perception du temps Son apparition spécifiquement après la fin de la durée renforce l’idée que l’onde reflète des mécanismes décisionnels associés à des intervalles (Gontier et al., 2008; Paul et al., 2011). Toutefois, concernant la durée standard, seule une réponse sensorielle associée à l’offset du stimulus était présente. Ce résultat inattendu pourrait être expliqué par le fait que la LPCt indexe le degré de discordance entre les durées cibles et la durée de référence. Cette conclusion rejoint celle de Kononowicz et van Rijn (2014) qui ont mis en évidence un effet de la durée présentée sur l’amplitude de la N1P2 évoquée par le stimulus marquant la fin d’un intervalle délimité par deux stimulations brèves. Plus la durée présentée différait de la durée attendue en mémoire, plus la N1P2 était ample. Puisque nous avons eu recours à des durées « pleines », soustendues par une stimulation visuelle continue, il est possible que la LPCt reflète un mécanisme similaire à celui indexé par la N1P2 dans ce contexte. Mais cette interprétation est peu probable du fait qu’une expérience précédente a montré que la LPCt apparaissait en réponse à la durée standard dans une tâche de généralisation temporelle (Paul et al., 2011). Bien que cette observation ne rejette pas en soi l’idée que la LPCt soit sensible au degré de discordance entre la durée présentée et la durée attendue en mémoire, cela n’explique pas l’absence de la composante en réponse à la durée standard. Dans le paradigme oddball utilisé dans cette expérience, celleci était présentée un grand nombre de fois comparativement aux durées cibles, ce qui a probablement entraîné un désengagement attentionnel dans le but d’économiser les ressources. Par conséquent, nous supposons que la routinisation de la tâche avait pour conséquence de n’entraîner l’évocation de mécanismes décisionnels indexés par la LPCt uniquement pendant les durées cibles rares.
Pendant la présentation de la durée cible 2000 ms, la LPCt est apparue après le temps de réaction moyen, ce qui concorde avec des données précédemment publiées selon lesquelles cette onde peut être étudiée à partir des potentiels évoqués synchronisés à partir de la réponse des participants (Wiener & Thompson, 2015). Dans le cas présent, la décision a certainement été prise avant la fin du stimulus puisque les temps de réaction sont extrêmement brefs suite à l’extinction de la durée. L’apparition de la LPCt indique probablement que les sujets initient un mécanisme d’encodage temporel automatique toujours en cours à l’offset du stimulus, même si la décision a déjà été prise. Une fois que ce processus est terminé, un nouveau mécanisme décisionnel soustendu par la LPCt pourrait servir pour conforter le participant dans sa réponse. Il est à noter qu’à l’inverse de la durée
cible longue, la durée cible 500 ms a évoqué une LPCt qui précédait de près de 450 ms le temps de réaction moyen. Par conséquent, ces données suggèrent que pour la durée cible courte, la LPCt indexait la prise de décision. Ces observations sont intéressantes et amènent à approfondir l’interprétation précédente indiquant que la prise de décision temporelle est indexée par la LPCt (Paul et al., 2003). En effet, selon ce point de vue, la LPCt aurait dû survenir avant le temps de réaction moyen en réponse à la durée cible 2000 ms. Le fait que cela ne soit pas le cas indique que la décision repose sur des bases différentes selon que la durée présentée soit courte ou longue et conforte l’idée que ces deux types de durées recrutent des réseaux neuronaux différents (Lewis & Miall, 2003a, 2003b). Ainsi, selon l’interprétation que nous rapportons ici, la LPCt indexerait une forme de prise de décision évoquée automatiquement après la fin d’une durée nécessitant une réponse. Ce processus servirait de base à la décision menant à la réponse lorsque la durée est courte. Mais lorsque la durée est longue, la décision induisant la réponse serait indexée par un autre mécanisme, et l’opération soustendue par la LPCt servirait plutôt à fournir un feedback au participant sur la réponse qu’il a donnée.
Pendant les durées cibles 2000 ms et standard 1000 ms, une PSW était évoquée pendant la durée. Cette composante inattendue pourrait refléter des mécanismes décisionnels. Cette interprétation serait en accord avec le rôle supposé du cortex préfrontal dans la prise de décision perceptive (Summerfield & Koechlin, 2009). De plus, des modèles récents impliquent l’incrémentation au fil du temps d’une variable de décision dans des tâches de perception du temps (Balcı & Simen, 2014) dont la morphologie correspond au développement d’une onde lente. Ce processus d’accumulation d’évidence sensorielle dans le temps a été mis en évidence à partir de l’activité de neurones pariétaux dans une tâche de saccades oculaires (de Lafuente, Jazayeri, & Shadlen, 2015). Il est donc possible que la décision temporelle puisse être indexée par une onde lente telle que la PSW. Cela concorde également avec une étude ayant montré que le cortex préfrontal soustend un mécanisme de « monitoring » temporel de l’entrée sensorielle (Vallesi et al., 2009). Il s’agit d’un processus pouvant servir de base neurophysiologique à la comparaison de durées. Dans cette conception, l’entrée sensorielle soustend la durée en cours qui est comparée en temps réel avec une durée attendue, correspondant à la durée de référence remémorée à partir de la mémoire dans le cadre de la théorie du temps scalaire. Ainsi, le cortex préfrontal
Chapitre 2 : Effet de la durée et de la spécificité temporelle des activités frontales et pariétales dans l’étape décisionnelle de la perception du temps
aurait pour fonction de surveiller l’entrée sensorielle en fonction de la durée attendue et d’implémenter la fonction de hasard (Nobre et al., 2007), désignant la probabilité de la fin de la durée sachant que le stimulus n’est pas encore terminé.
La latence de la PSW était descriptivement plus longue en réponse à la durée cible 2000 ms qu’à la durée standard 1000 ms. Avec un stimulus d’une durée de 1000 ms, une décision peut être émise uniquement à sa fin, expliquant pourquoi la PSW se termine quand la durée se termine. Mais lorsque la durée 2000 ms est présentée, le processus d’accumulation continue jusqu’à ce qu’un seuil soit franchi, c’est à dire jusqu’à ce que la durée soit suffisamment plus longue que la durée standard. À un moment proche de 1500 ms, le cerveau peut détecter que l’intervalle est plus long que la durée standard.
4.2.2. Un mécanisme de catégorisation non spécifique dans la perception