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1. La variation contingente négative (VCN) 

2.2. L’étude du traitement temporel avec la P300 

En  mettant  en  évidence  une  P300  évoquée  par  des  durées  très  courtes,  Gibbons  &  Rammsayer  (2005)  ont  pu  préciser  la  spécificité  du  traitement  des  durées.  Dans  une  expérience de généralisation temporelle, les sujets devaient comparer une durée standard  de  200 ms  avec  des  durées  comprises  entre  125 ms  et  275 ms.  Les  auteurs  ont  aussi  eu  recours à une tâche de généralisation de fréquences sonores dans laquelle les participants  devaient confronter la fréquence standard 1000 Hz avec des fréquences allant de 964 Hz à  1036 Hz. Pour pouvoir comparer le traitement des fréquences et le traitement des durées  avec  exactement  les  mêmes  stimulations,  les  stimuli  variaient  dans  les  deux  dimensions :  temporelle et fréquence sonore. Le problème avec cette condition est que lorsque les sujets  réalisent  la  tâche  dans  une  dimension  perceptive,  ils  doivent  inhiber  la  dimension  non  pertinente.  Pour  cette  raison,  deux  conditions  supplémentaires  ont  été  administrées  aux  sujets dans lesquelles les stimuli variaient uniquement en fonction du temps ou en fonction  de  la  fréquence.  Le  résultat  le  plus  intéressant  de  cette  étude  est  la  présence  de  deux  composantes, la P300 et la P500, modulées différemment par la durée. La P300 apparaissant  au  niveau  centropariétal  était  inversement  liée  à  la  durée  présentée.  Elle  refléterait  l’évaluation de la durée, une première étape du traitement temporel évoquée par l’onset du  stimulus, qui serait mobilisée pour les durées qui peuvent être traitées en moins de 300 ms.  Lorsque  les  durées  sont  plus  courtes  que  la  durée  standard,  l’amplitude  de  la  P300  est  maximale,  car  elles  peuvent  être  évaluées  rapidement.  Par  contre,  pour  les  durées  plus  longues que la durée standard, il est peu probable qu’elles puissent être évaluées en 300 ms,  ce qui se traduit par une quasi­absence de P300. Dans ce cas, ce serait un autre mécanisme  qui  se  chargerait  de  l’évaluation  temporelle.  La  deuxième  composante,  la  P500  frontocentrale était moins ample en réponse à la durée standard qu’aux durées plus courtes  ou  plus  longues.  Il  s’agirait  d’une  P3a  qui  est  différée  dans  le  temps.  Bien  que  cette  composante soit évoquée typiquement en 300 ms, le fait que les durées soient en moyenne  de 200 ms et soient donc évaluées avec du retard diffèrerait la latence de la composante.  Étant  donné  que  la  P3a  est  sensible  à  la  violation  des  attentes  perceptives,  Gibbons  &  Rammsayer (2005) pensent que la composante indexe un mécanisme de décision temporelle  évoqué par l’offset du stimulus. Si la durée présentée et la durée standard en mémoire ne  correspondent pas, il y aurait une violation des attentes qui se traduirait par une P500 plus 

Chapitre 3 : Les potentiels évoqués dans la perception du temps 

ample.  Puisque  ces  deux  composantes  ne  sont  pas  modulées  par  la  fréquence  dans  la  généralisation  de  fréquences  ni  par  l’écoute  passive  des  durées  dans  une  tâche  contrôle  indique que la P300 et la P500 sont modulées par des processus spécifiques à l’évaluation  temporelle active. En conclusion, étant donné que la P300 et la P500 sont des composantes  indexant  des  processus  liés  au  traitement  de  l’onset  et  de  l’offset  du  stimulus  respectivement, cette étude conforte l’idée que les durées très courtes sont traitées par des  processus perceptifs et n’impliquent pas de représentation cognitive de haut niveau. 

La sensibilité de la P300 au traitement temporel a par la suite été mise en évidence  avec des durées plus longues (dans la gamme des centaines de millisecondes). Ce fut le cas  avec  l’étude  de  Le  Dantec,  Gontier,  Paul,  Charvin,  Bernard,  Lalonde  &  Rebaï  (2007)  dont  l’objectif  était  d’investiguer  le  lien  fonctionnel  entre  les  structures  préfrontales  et  les  structures pariétales durant la présentation d’une durée. Pour cela, ils ont demandé à leurs  participants  de  juger  des  durées  présentées  par  paires.  Les  intervalles  étaient  soit  courts  (250­500 ms)  soit  longs  (500­1000 ms)  et présentés  dans  l’ordre  court­long  ou  long­court.  Deux consignes pouvaient être données aux sujets : soit ils devaient déterminer si le premier  stimulus était plus court ou plus long que le deuxième, soit ils devaient dire si le deuxième  était plus court ou plus long que le premier. Les performances étaient plus importantes avec  la première consigne, dans laquelle les sujets doivent faire attention dès le début du premier  stimulus pour pouvoir effectuer la comparaison avec le deuxième stimulus. Par conséquent,  lorsque l’attention est davantage mobilisée, les performances sont meilleures. Les résultats  électrophysiologiques  permettent  d’établir  les  bases  neuronales  de  cet  effet  comportemental.  Les  deux  durées  de  chaque  paire  évoquaient  une  VCN  et  une  P300  apparaissant en même temps au niveau frontopolaire et au niveau pariétal respectivement.  Lorsque les sujets doivent indiquer si le premier stimulus est plus long ou plus court que le  deuxième (condition où les sujets font plus attention), la VCN et la P300 sont plus amples  pendant la première durée qu’avec la deuxième consigne, ce qui confirme l’implication des  cortex  préfrontaux  et  pariétaux  dans  les  mécanismes  attentionnels  alloués  au  traitement  temporel. De plus, la P300 enregistrée dans l’hémisphère gauche durant la présentation de  la  première  durée  était  d’autant  plus  ample  que  les  performances  comportementales  étaient élevées. Selon les auteurs, ce résultat est symétrique à celui observé par Pfeuty et al.  (2003)  au  niveau frontal  avec  la  VCN.  Ces  auteurs  avaient  montré  que  la  VCN  dans 

l’hémisphère gauche était fonction de la durée présentée. Par conséquent, Le Dantec et al.  (2007)  concluent  que  le  lien  entre  l’amplitude  de  la  P300  et  les  performances  comportementales reflète le rôle des structures corticales gauches dans la mémoire à court  terme des durées à encoder. Enfin, durant la deuxième durée, la VCN sur FP1 et sur FP2 et la  P300  sur  P4  étaient  modulées  par  l’ordre  de  présentation  et  la  durée  des  stimuli.  Étant  donné que la deuxième durée implique le rappel de la première, les effets observés par les  auteurs sur la VCN et la P300 durant le second stimulus reflèteraient l’implication des aires  frontales et pariétales dans des mécanismes de mémoire de travail. En conclusion, Le Dantec  et  al.  (2007)  mettent  en  évidence  qu’une  covariation  de  la  VCN  et  de  la  P300  durant  le  traitement temporel indique que la perception du temps met en jeu une dynamique fronto­ pariétale et que la P300 est sensible à des mécanismes mnésiques et attentionnels lorsque  l’on traite des intervalles. 

La  P300  rend  aussi  compte  du  traitement  temporel  des  durées  supérieures  à  la  seconde (Gibbons & Stahl, 2008). Une durée sous la forme d’un intervalle vide de 2 secondes  délimité  par  des  clics  auditifs était  initialement  présentée  aux  sujets.  Ensuite,  ils  devaient  reproduire la durée en appuyant deux fois sur un bouton (une fois pour commencer la durée  et une fois pour la terminer). Enfin, un feedback apparaissait pour indiquer si la reproduction  était suffisamment précise. Pour déterminer si les potentiels évoqués par la durée standard  et lors de la reproduction reflètent des mécanismes en lien avec le traitement temporel, les  chercheurs ont divisé leur groupe expérimental en deux sous­groupes : les bons estimateurs  et  les  mauvais  estimateurs.  Pour  cela,  ils  ont  calculé  deux  indices  comportementaux :  l’erreur  absolue  et  le  coefficient  de  variation.  L’erreur  absolue  représente  le  pourcentage  d’écart entre la durée standard réelle et la durée reproduite moyenne. Lorsque sa valeur est  basse,  cela  indique  que  le  sujet  s’est  beaucoup  servi  du  feedback  pour  ajuster  sa  performance d’un essai à l’autre. Le coefficient de variation est une mesure de la dispersion  des reproductions. S’il est faible, cela indique que les reproductions sont précises et que la  représentation de la durée standard en mémoire est stable. Les auteurs ont eu donc recours  à  deux  mesures  différentes  pour  classer  les  bons  et  les  mauvais  estimateurs.  Comme  le  montrent  les  données  des  auteurs,  ces  mesures  capturent  bien  des  aspects  différents  du  traitement  temporel  puisque  les  sujets  qui  sont  bons  estimateurs  en  termes  d’erreur  absolue ne le sont pas nécessairement en termes de coefficient de variation. Les potentiels 

Chapitre 3 : Les potentiels évoqués dans la perception du temps 

évoqués  révèlent  d’ailleurs  que  les  bons  estimateurs  ayant  une  erreur  absolue  faible  présentent une P300 évoquée par l’offset de la durée standard plus ample que les mauvais  estimateurs. Par contre, les bons estimateurs ayant un coefficient de variation peu élevé se  caractérisent  plutôt  par  une  négativité  lente  évoquée  durant  la durée  standard  plus  prononcée  que  les  mauvais  estimateurs.  Ces  deux  patterns  bien  distincts  mettent  en  évidence deux stratégies de traitement pour reproduire la durée standard. Les sujets qui ont  une erreur temporelle absolue faible ne seraient pas nécessairement des bons estimateurs  du temps en réalité. La négativité plus ample que présentent ces sujets pendant la durée  standard refléterait davantage de ressources allouées à l’encodage de la durée, car ils ont  une  difficulté  à  former  une  représentation  précise  de  celle­ci.  Ils  se  serviraient  donc  du  feedback  pour  estimer  la  durée  standard  avec  leurs  reproductions.  Par  contre,  les  sujets  disposant d’un coefficient de variation réduit présentent un mode de traitement plus actif. À  chaque présentation de la durée standard, ils testeraient leur représentation de cette durée  pour consolider sa trace mnésique. Ce processus est plus actif chez les bons estimateurs en  termes de coefficient de variation et se manifeste par une P300 plus ample.