• Aucun résultat trouvé

Paragraphe III: Le cadre juridique de la polygamie en Côte-d’Ivoire

A: La législation en matière de polygamie en Côte-d’Ivoire

La première loi ivoirienne relative à la polygamie est la loi 64-38 du 7 octobre 1964

sur le mariage. La disposition la plus révolutionnaire est précisément celle interdisant la

polygamie, laquelle fait de la Côte-d'Ivoire le premier pays d'Afrique francophone à adopter une mesure radicale que ses voisins, restés très attachés à leurs traditions331, pouvaient difficilement envisager. En effet, depuis le 7 octobre 1964, il est clairement prévu que:

[n]ul ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du précédent. Au cas où le mariage est dissous par le divorce ou annulé, une nouvelle union ne peut être contractée avant l’accomplissement des formalités prévues à l’article 14 de la loi sur le divorce et la séparation des corps332.

Si cet article interdit la polygamie pour le futur, la particularité de la Loi de 1964 sur le

mariage est qu’elle produit des effets dans le passé. À ce sujet,

331 C.VLÉÏ-YOROBA., préc., note 143.

332 Loi sur le mariage en Côte-d’Ivoire, loi n° 64-375 du 7 octobre 1964, art. 2, modifiée par la Loi n° 83-800 du

[l]’époux polygame ne pourra contracter un nouveau mariage, sous l’emprise de la nouvelle loi, qu’autant que tous les mariages dans lesquels il se trouvait engagé auront été précédemment dissous.

En cas de violation de la disposition contenue à l’alinéa précédent, la nullité du nouveau mariage sera prononcée. L’action en nullité sera exercée dans les conditions prévues à l’article 32 de la loi sur le mariage.

Elle s’éteint si les mariages antérieurs viennent à être dissous avant que le jugement ou l’arrêt prononçant la nullité soit devenu définitif333.

La détermination du législateur à éradiquer la polygamie paraît plus évidente encore lorsque l’on prend connaissance de toutes les mesures qui entourent les formalités préliminaires au mariage334.

[L]orsque les futurs époux se présentent devant l’officier d’état civil, comme il est dit à l’article précédent, pour y déposer leurs actes de naissance, celui-ci doit leur demander:

S’ils sont déjà mariés et en cas de réponse affirmative, d’indiquer les causes et date de la dissolution de la précédente union. Dans ce cas, il peut exiger la présentation soit de l’acte de décès du précédent conjoint, soit la preuve de l’accomplissement des formalités prévues à l’article 14 de la loi sur le divorce et la séparation de corps335.

Toutes ces mesures prises en vue d’effectuer des vérifications sont faites dans le but d’éviter les cas de polygamie. La justification de la position du législateur est la suivante:

333Id., article. 13.

334 Lire à cet effet, le paragraphe I sur les formalités préliminaires de la Loi sur le mariage en Côte-d’Ivoire, loi n° 64-375 du 7 octobre 1964, art. 22-23, modifiée par la loi n° 83-800 du 2 août 1993.

[l]orsqu'il nous est apparu que la survivance de certaines traditions constituait un obstacle ou un frein à l'évolution harmonieuse de notre pays, nous n'avons pas hésité à imprimer les changements nécessaires. C'est ainsi qu'après une longue campagne d'explication entreprise par nos militants et nos responsables politiques et administratifs auprès des populations concernées, des textes essentiels ont vu le jour. Un Code civil rénové consacre la suppression de la polygamie et réforme la dot ; un état civil moderne est mis en place336.

Outre l’abolition de la polygamie sur le plan civil, le législateur sanctionne durement cette pratique sur le plan pénal. Nous pouvons lire dans la loi instituant le Code pénal ivoirien que:

[l]’article 390 du Code pénal ivoirien institué par la présente loi est applicable à tout polygame qui, engagé avant l’entrée en vigueur de la loi du 7 octobre 1964 dans les liens de deux ou plusieurs mariages, contracte ou tente de contracter un nouveau mariage avant la dissolution des précédents337.

Or, l’article 390 du Code pénal ivoirien prévoit que:

[q]uiconque étant engagé dans les liens du mariage en contracte un autre avant la dissolution du précédent est puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 50000 à 500000 francs. L’officier d’état civil ou le ministre du Culte qui prête son ministère à ce mariage connaissant l’existence du précédent, est condamné à la même peine. La tentative est punissable »338.

336 Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, Anthologie des discours 1946-1978, (1978), Abidjan, CEDA, vol. 1, 742 et 743,

cité par C. VLÉÏ-YOROBA, préc., note 143.

337 Loi instituant le Code pénal de la Côte-d’Ivoire, article. 12. 338 Id., article. 390.

Il ressort de cet article que la polygamie est sévèrement sanctionnée en Côte-d’Ivoire, même si nous estimons que cette loi est souple339 au regard de l’ampleur du phénomène. Cette souplesse du législateur ivoirien est d’ailleurs bien compréhensible quand on tient compte du fait que pratiquement tout le nord du pays est musulman et que cette religion est la deuxième du pays. Et d’ailleurs bien souvent, les juges se bornent ici à prononcer l’annulation du mariage litigieux et à prononcer une sanction pénale symbolique, ce qui encourage d’une certaine manière la polygamie de fait, et donc le phénomène des doubles ménages, qu’on appelle ici deuxième bureau340.

Dans l’affaire Madame Daubard née Djeneba Aghathe contre Tiekoura Jean Daubard, le juge Nouplezana Ouattara Drissa a fait bonne application de l’article 2 de la Loi n° 64-375

du 7 octobre 1964 relative au mariage, modifiée par la loi n° 83-800 du 2 août 1983. En

l’espèce, monsieur Tiekoura Jean Daubard avait épousé Madame Daubard née Djeneba Aghathe le 03 avril 1962 devant l’officier d’état civil de Kouibly, par acte n° 2 du 8 juillet 1965. Sans que ce mariage ne soit dissous, il a contracté un nouveau mariage avec Gneron Sewloa Adele par acte n° 33D du 12 mai 1984 du centre d’état civil de la commune de Daloa. Le juge dans cette affaire

[a] déclaré nul le mariage n° 33D du 12 mai 1984 du centre d’état civil de la commune de Daloa entre Tiekoura Jean Daubard et Gneron Sewloa Adele pour être intervenu postérieurement au mariage célébré le 03 avril 1962 devant

339 L’article 390 du Code pénal ivoirien est dit souple parce qu’il est moins sévère que l’article 433-20 du Code pénal français qui sanctionne la bigamie d’une amende de 300 000 frs et d’un emprisonnement d’un an.

340 Martin NDENDE, « Réflexions sur la polygamie africaine, Regard africain sur trois catégories de l’entendement

juridique: Personnalité-Responsabilité-Solidarité », 7, en ligne sur: <http://palissy.humana.univ- nantes.fr/msh/afrique/colloque/notes/ndende.pdf>, (consulté le 21 avril 2010).

l’officier d’état civil de Kouibly entre Tiekoura Jean Daubard et Madame Daubard née Djeneba Aghathe, sans que celui-ci ait été préalablement dissous341.

En cas de divorce ou de succession, les femmes issues des mariages polygamiques sont dans une situation juridique précaire, une forme de « no woman’s land » juridique pour ainsi dire. Étant donné que la loi ne reconnaît pas ce genre d’union, les parties sont obligées d’emprunter la voie traditionnelle, alors même que les tribunaux coutumiers n’existent plus officiellement en Côte-d’Ivoire. On ne peut que déplorer la disparition des juridictions traditionnelles, car une bonne partie du contentieux du droit de la famille échappe ainsi à l’attention des tribunaux de droit écrit342. Au regard de la loi 64-38 du 7 octobre 1964 sur le

mariage et de la loi sur la réforme judiciaire en Côte-d’Ivoire, on peut en déduire que

l’uniformisation de l’organisation judiciaire en matière civile fut sans doute prématurée343. Ce qui cause un énorme préjudice aux femmes et aux enfants qui vivent dans les ménages polygamiques en Côte-d’Ivoire. Qu’en est-il des organes chargés de réprimer la polygamie.

B: Les organes chargés de la répression de la polygamie en Côte-