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L’essai est, selon le dictionnaire Robert illustré 2014, un ouvrage littéraire en prose, de facture libre57. Pour le Doyen Jean-François Gaudreault-DesBiens, au sujet de ce genre littéraire en droit,

56 Code sénégalais de la famille ; l’article 368 prévoit trois types de régimes matrimoniaux: la séparation des biens, le régime dotal et le régime communautaire de participation aux meubles et acquêts. Le régime de droit commun est la séparation des biens.

57 Didier de CALAN (dir.), Dictionnaire Le Robert illustré, édition révisée, Paris, Éditions Le Robert, 2013,

[l]’essai est une pensée en mouvance, immédiate et donc sa vocation n’est pas de demeurer fixée. L’essai est paradoxal, il a en ce sens une dimension interlocutoire. Parce qu’il emprunte à plusieurs genres, il est interdisciplinaire, transversal, polyphonique, il est irréductible à quelque discipline que ce soit. Il est marqué par la liberté tant sur le fond que sur la forme 58.

D’un point de vue juridique, l’essai semble indiquer une « tentative » critique, sauf dans les travaux de philosophie juridique59.

[S]on usage comme genre littéraire est périlleux dans le champ juridique, particulièrement en contexte civiliste, en ce que celui qui y a recours prend en quelque sorte le contre-pied de la doctrine en refusant le postulat de clôture normative du droit envisagé sous l’angle positiviste. Plutôt que d’insister sur la sécurité juridique, en mettant l’accent sur la cohérence narrative des sources du droit, l’essai valorise en effet le doute et considère la réflexion, voire le jugement, en droit comme un processus fondamentalement interlocutoire et contingent60.

Notre thèse s’inscrira dans cette logique et pourrait être considérée comme un essai interdisciplinaire.

Pourquoi l’interdisciplinarité tout court? Parce que la question de recherche posée ne peut pas être cantonnée dans une seule discipline: elle suppose tantôt de se référer au droit

58 J-F. GAUDREAULT-DESBIENS, préc., note 41. 59 Id.

établi que révèlent les sources formelles du droit (lois, jurisprudence, doctrine…)61, tantôt de partir à la recherche de toutes les raisons connues, dans les diverses disciplines, qui peuvent être évoquées au soutien d’une position abolitionniste de la polygamie.

Pourquoi un essai? Parce que c’est la forme d’écriture en droit la plus appropriée pour faire ce que nous voulons faire dans cette thèse en droit: militer contre la légalisation de la polygamie grâce à la mise en évidence des problèmes connus dans la littérature scientifique et dans diverses disciplines.

On ne peut prétendre épuiser toutes les questions en rapport avec la polygamie, ce qui fait de l’essai un genre littéraire approprié pour notre sujet. L’essai en droit favorise en effet l’ouverture de la pensée juridique aux savoirs externes62. En d’autres termes, l’essai encourage l’interdisciplinarité63. Ainsi, notre travail, comme déjà dit plus haut, se qualifie comme un essai interdisciplinaire qui tentera d’apporter quelques solutions aux problèmes rencontrés par les femmes et les enfants dans les ménages polygamiques au Canada, au Cameroun et en Côte- d’Ivoire en cas de divorce et de succession.

D’une manière générale, l’interdisciplinarité établit des relations entre plusieurs sciences ou disciplines64. Pour Violaine Lemay, l’interdisciplinarité est une forme nouvelle du savoir en faculté de droit qui, sans heurter les sources traditionnelles du droit, intègre d’autres

61 Id., p. 170. 62 Id., p. 171. 63 Id.

savoirs tels que ceux du féminisme ou des sciences humaines et sociales65, ce qui peut notamment permettre de construire un argumentaire plus solide. Avec sa collègue Michelle Cumyn, Lemay écrit que :

[l]’interdisciplinarité, en tant que nouvelle compétence transversale du droit, est précieuse à la connaissance juridique et il semble que cette reconnaissance soit plutôt consensuelle aujourd’hui66.

Les auteures observent trois formes d’interdisciplinarité en faculté de droit, la dernière étant la plus fructueuse au plan juridique. Voici un résumé de la typologie qu’elles présentent. Il y a d’abord ce qu’elles appellent « l’interdisciplinarité non nommée, mais présente »67; elle est « classique mais tue »68, i.e. non explicite., et « celle du doyen Carbonnier en est un exemple »69. Il y a aussi « l’interdisciplinarité nommée, mais absente »70, c’est-à-dire un problème, car on associe par réflexe à l’interdisciplinarité ce qui n’en est pas du tout, l'une des deux disciplines voulant par exemple en fait dominer et éradiquer le savoir juridique classique, qu'elle considère comme « inférieur »71. Il y a enfin « L’interdisciplinarité nommée et présente »72. Selon Lemay, c’est le modèle à promouvoir. Elle est soit instrumentalisante de

65 Violaine LEMAY, Michelle CUMYN, « La recherche et l’enseignement en faculté

de droit: le cœur juridique et la périphérie interdisciplinaire d’une discipline éprouvée » dans: Georges AZZARIA

(dir.), Les nouveaux chantiers de la doctrine juridique, Actes des 4e et 5e journées d'étude sur la méthodologie et

l'épistémologie juridique, Cowansville, Yvon Blais, 2017, p. 39 aux pages 57, 58. 66 Id., p. 58. Lire également J-F. GAUDREAULT-DESBIENS, préc., note 41, p. 171. 67 V. LEMAY, préc., note 65, à la page 76.

68 Id.

69 Id., aux pages 76 à 79. 70 Id., à la page 80. 71 Id., aux pages 80 à 86. 72 Id., à la page 86.

l’autre savoir, soit garante d’une meilleure approche des « faits », soit nécessaire aux objectifs législatifs d’un type nouveau, soit révélatrice de crédibilité ou d’arbitraire, etc…73.

Dans le cadre de notre thèse, nous emprunterons la forme préconisée par ces auteures dans la mesure où nous utilisons les « autres savoirs », ceux qui ne sont pas à proprement parler « juridiques », comme « des instruments » pour mieux argumenter au soutien d'un droit à nos yeux plus égalitaire et plus conforme aux valeurs féministes. Notre essai est un exemple de l'interdisciplinarité promue par Lemay et Cumyn, car il cumule tous les savoirs pertinents, qui sont autant de forces de conviction potentielles, au soutien d’une défense du droit des femmes et des enfants. Nous espérons ainsi, avec humilité toutefois, poursuivre l'idéal de Lemay et Cumyn de façon à ce qu'on puisse penser de notre travail qu’

[I]il s’agit d’une interdisciplinarité récente, consciemment assumée, réflexive et, par-dessus tout, respectueuse du droit comme discipline. Elle sert cette dernière avec autant de passion et d’intégrité que la recherche juridique du type exégétique, mais par des voies différentes. Elle en ce sens est l’alliée et n’aurait même jamais pu naitre sans elle.74.

En effet, cette dernière est « l’interdisciplinarité en droit dans toute sa splendeur »75. C’est celle qui « réhabilite la mémoire du droit moderne »76. Comme déjà dit plus haut, notre travail ne se limitera pas seulement aux sources formelles du droit, mais empruntera à d’autres disciplines telles que le féminisme pour construire notre argumentaire, tout en respectant les sources formelles du droit classique.

73 Id., aux pages 86 à 92. 74 Id., aux pages. 86 à 87. 75 Id., à la page p. 87. 76 Id.