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Paragraphe II: Les lacunes du droit sur la question de la polygamie

B: L’exclusion de la polygamie de la catégorie des normes du jus cogens

cogens

Selon l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des Traités, une norme de jus

cogens est,

[u]ne norme impérative du droit international général, reconnue et acceptée par la communauté internationale dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme de droit international ayant le même caractère432.

Si le jus cogens désigne les règles reconnues et acceptées par la communauté internationale des États dans son ensemble, on en déduit qu’il constitue alors une règle coutumière internationale à laquelle aucune dérogation n’est permise.

On peut citer comme exemple de normes de jus cogens, la prohibition de la traite des esclaves, la prohibition de la traite des femmes, l’interdiction du crime de génocide, la prohibition de la torture, la norme pacta tertiis non nocent433. La liste n’est pas exhaustive, en ce sens que les règles de jus cogens sont des règles évolutives qui découlent de la solidarité et de l’unité de la société internationale.

Dans le cadre de cette thèse, on peut se poser les questions suivantes: pourquoi le droit international n’a t-il pas fait de la prohibition de la polygamie l’une de ses priorités? Par quel mécanisme devrait-on intégrer l’interdiction de la polygamie dans la catégorie des normes de

432 Convention de Vienne, préc., note 256.

433Julio A. BARBERIS, « La liberté de traiter des États et le jus-cogens », 1970, Max-Planck-Institut fürausländischesöffentlichesRechtundVölkerrecht, 19, 35-36, en ligne sur:

jus cogens? Plus précisément, en quoi la pratique de la polygamie violerait-elle une norme

impérative de droit international?

Le droit international protège plusieurs droits, mais n’a pas fait du droit des femmes une de ses priorités. L’histoire révèle que les femmes ont très souvent été considérées comme inférieures aux hommes dans les anciennes civilisations et religions434. Le droit des hommes a toujours été considéré comme naturel et de ce fait n’a pas besoin d’être protégé. Alors que s’agissant du droit des femmes, c’est au terme de plusieurs combats et luttes qu’elles ont pu acquérir une certaine reconnaissance en ce qui touche certains droits (droit de vote, droit d’exercer une profession séparée de celle de son mari, droit d’accéder à des postes de responsabilité, droit d’hériter, droit d’accéder à certains emplois, etc.)435. Une reconnaissance qui n’est pas encore chose faite parce qu’en termes de droits, les femmes n’ont pas encore atteint l’égalité, ni formelle, ni concrète envers les hommes. C’est probablement pour cette raison que l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (l’UNESCO) en fait l’une de ses priorités présentement à travers le programme égalité des

genres (2014-2021)436.

De ce point de vue, nous partageons entièrement les positions d’Hilary Charlesworth et al pour qui le droit international est le reflet du patriarcat.

434 À cet effet, lire le Rapport sur le développement dans le monde 2012: Égalité des genres et développement,

Banque Mondiale, Washington, 2012, en ligne sur:

<http://www.google.ca/url?sa=t&rct=j&q=rapport%20sur%20le%20d%C3%A9veloppement%20dans%20le%20 monde%202012%20%3A%20%C3%A9galit%C3%A9%20des%20genres%20et%20d%C3%A9veloppement&so urce=web&cd=1&ved=0CCUQFjAA&url=http%3A%2F%2Fwdronline.worldbank.org%2Fworldbank%2Fa%2F langtrans%2F66&ei=3HFwT4LTHYjx0gHWr9XRBg&usg=AFQjCNHud3xdwmmsz7Xy0L8T1f6Dfs9H8w&ca d=rja>, (consulté le 12 septembre 2013).

435 Id.

436UNESCO, Égalité des genres, en ligne sur: <http://www.unesco.org/new/fr/unesco/themes/gender-equality/>,

[T]he structure of international legal order reflects a male perspective and ensures its continued dominance. The primary subjects of international law are states and, increasingly, international organizations. In both states and international organizations the invisibility of women is striking. Power structures within governments are overwhelming masculine: women have significant positions of power in very few states, and in those where they do, their numbers are minuscule437.

Puisque les femmes sont sous-représentées au sein des organisations internationales notamment aux Nations Unies, ces institutions demeurent sous le contrôle des hommes qui prennent toutes les décisions en leur faveur. C’est probablement fort de cela que le phénomène de la polygamie n’a jamais été considéré comme une violation grave du droit des femmes, parce qu’elle sert avant tout l’intérêt des hommes qui sont au centre de la pratique.

L’histoire révèle également que les actions des mouvements féministes ont amené le droit international à encadrer dans une certaine mesure le droit des femmes à travers les instruments suivants: la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de

discrimination à l'égard des femmes, le Programme d'action de Beijing ; les Objectifs du

Millénaire pour le développement, plus précisément l'OMD 3 - Promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des NU concernant les femmes, la paix et la sécurité438. Tous ces instruments de protection fort louables qui protègent le droit des femmes ne sont pas à notre sens suffisants dans la mesure où il y a toujours une possibilité de bafouer ce droit par le mécanisme de la liberté religieuse.

437 Hilary CHARLESWORT, Christine CHINKIN et Shelley WRIGHT, « Feminist approaches to international law »,

dans Joane CONAGHAN (dir.), Feminist legal studies, vol. I, London and New-York, Routlege, 2009, p.77, à la

page 84.

438 Ministère des affaires étrangères, « Égalité entre les hommes et les femmes », (2013), Commerce et

Suivant une interprétation évolutive et extensive de la notion de jus cogens, la pratique de la polygamie peut être assimilée à de la torture. En effet, si la polygamie viole le droit à l’égalité qui est un principe cher en droit international, si sa pratique et ses conséquences entraînent une discrimination fondée sur le sexe et génèrent des souffrances à l’égard des femmes et des enfants, on peut en effet arguer qu’une telle pratique est assimilable à de la torture, à des traitements inhumains et dégradants. L’article 7 du Pacte international relatif

aux droits civils politiques est clair en ces termes: Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La torture n’est pas toujours physique,

elle est aussi et surtout morale ou mentale. D’ailleurs, l’article 5 de la Charte africaine des

droits de l’homme, et des peuples interdit toutes formes d’exploitation et d’avilissement de

l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants.

La disposition de l’article 7 du Pacte a pour but fondamental de protéger à la fois la dignité et l’intégrité physique et mentale de l’individu439. La détermination de ce qui constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 7 du Pacte dépend de toutes les circonstances, par exemple les conséquences physiques et mentales ainsi que le sexe de la victime440. Les femmes victimes de la polygamie subissent des conséquences psychologiques que l’on peut interpréter comme étant de la torture mentale ou psychologique portant atteinte à leur dignité. Or, la prohibition de la torture est une norme impérative du droit international. Selon une jurisprudence du Comité des droits de l’homme des NU, l’interdiction de la torture,

439 M.G. c. Allemagne, Communication n° 1482/2006, U.N. OC. CCPR/C/93/D/1482/2006 (2008), para. 9.2. 440 Id.

des traitements cruels, inhumains et dégradants est considérée comme faisant partie du droit international coutumier. Il s’agit d’une interdiction absolue qui ne souffre pas d’être mise en balance avec aucune autre considération441. Il est possible que cette interprétation soit rejetée par une communauté internationale dominée par les hommes. Mais si elle l’est, il faut se demander si c’est vraiment en raison de sa faiblesse plutôt que parce qu’elle heurte cette communauté en exposant sa structure patriarcale.

Selon Anne-Marie Lévesque,

[l]a prédominance du standard masculin a complètement englouti sa moitié féminine au sein des organisations internationales. L’État qui se présente comme une entité neutre, mais plutôt conceptualisée de manière masculine, n’est pas susceptible d’être discriminé sur la base de son genre ou de son sexe et ne voit donc pas pourquoi cette discrimination devrait être proscrite par une norme non susceptible de dérogation442.

Sinon comment expliquer que les droits cités plus haut sont relevés aux normes de jus

cogens et à l’inverse, le concept du genre (la polygamie) et de l’État ne semble avoir aucun

sens. Serait-il possible d’inclure la prohibition de la polygamie parmi les normes de jus

cogens443? Nous pensons en accord avec madame Lévesque, que:

[d]ans l’état actuel des choses, un revirement en faveur du principe de non-discrimination à l’égard du sexe semble peu probable étant donné l’immense poids du statu quo dans la théorie des normes impératives444.

441 Mansour Ahani c. Canada, Communication n° 1051/2002, U.N. DOC. CCPR/C/80/D/1051/2002 (2004), para.

10.10.

442 Anne-Marie LÉVESQUE., préc., note 84, 453, 506. 443 Id.

L’interdiction de la polygamie est donc une opportunité de rappeler avec fermeté aux gouvernements l’importance du respect de la dignité et des droits de la personne humaine, en l’occurrence, le droit à l’égalité. L’obligation d’interdire et de réprimer la polygamie devrait être considérée comme faisant partie du droit international coutumier et de la catégorie des normes de jus cogens, ce qui encouragerait probablement les États à mieux encadrer le respect de ce droit étant donné qu’il deviendrait une norme à laquelle aucune dérogation ne sera permise.

L’autre raison pour laquelle le droit international n’a pas voulu faire de la polygamie son cheval de bataille, c’est sans doute à cause de l’absence de volonté politique des États composant la communauté internationale. Il est important de mentionner que cette volonté politique des États aurait été un commencement de solution dans le processus de reconnaissance de l’interdiction de la polygamie comme une norme de jus cogens.