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Paragraphe II: Les lacunes du droit sur la question de la polygamie

C: L’absence de volonté politique des États

Outre l’absence de sanctions contraignantes et l’exclusion du droit des femmes du jus

cogens, l’absence de la volonté politique des États constitue un obstacle majeur dans le cadre

de la lutte contre la polygamie à l’échelle nationale et internationale. Les États objets de notre étude ont tous ratifié les instruments internationaux qui luttent contre la polygamie445. L’on s’attendrait à ce que des mesures coercitives strictes soient prises sur les plans nationaux afin d’interdire cette pratique. Mais, il n’en est rien. Certes, certains textes de lois ne sont pas en faveur de la polygamie comme c’est le cas de la Charte canadienne des droits et libertés, du

Code criminel canadien, du Code civil du Québec, des Règles de la Common law canadienne

et du Règlement sur l’immigration pour le cas du Canada446, du Code pénal ivoirien et de la

Loi sur le mariage en Côte-d’Ivoire447. Mais la tolérance du phénomène au quotidien nous permet de penser que le Canada et la Côte-d’Ivoire manquent à leur devoir de respecter les engagements pris envers la communauté internationale, à savoir, assurer sur leur territoire respectif le respect du principe de l’égalité entre les sexes.

Si au Canada et en Côte-d’Ivoire la lutte contre la polygamie est amorcée du fait de son interdiction législative, au Cameroun, c’est tout le contraire448. En effet, l’État camerounais, comme déjà dit plus haut, autorise la polygamie, allant ainsi ouvertement à l’encontre de ses engagements internationaux. Le législateur camerounais en légalisant la pratique de la polygamie sans toutefois l’encadrer par un texte de loi, installe un flou juridique dans son pays. En effet, les tribunaux civils saisis pour polygamie appliquent les règles du Code civil; or le droit civil ne prévoit rien à cet effet. Tandis que les tribunaux coutumiers interprètent la coutume des parties avec préséance de celle de l’homme sur celle de la femme449. Cette situation est à l’origine du préjudice subi par les femmes au Cameroun du fait de la pratique de la polygamie.

L’absence de la volonté politique des États dans la lutte pour le droit des femmes n’apparaît pas seulement dans les pays faisant ainsi l’objet de notre étude. En Arabie Saoudite,

446 La Charte canadienne des droits et libertés, le Code criminel canadien, le Code civil du Québec, les Règles de la Common Law canadienne et le Règlement sur l’immigration font l’objet de développement dans la partie

intitulée « La législation en matière de polygamie au Canada » (section II, paragraphe I, A).

447 Lire à cet effet, les développements sur « la législation en matière de polygamie en Côte-d’Ivoire » (section II,

paragraphe I, C).

448 Lire à cet effet, les développements sur la législation en matière de polygamie au Cameroun (section II,

paragraphe I, B).

l’État a mis sur pied un ensemble de mesures visant à maintenir la femme dans une position d’infériorité vis-à-vis de l’homme. Ainsi, elles n’ont pas le droit de conduire un véhicule, de faire une promenade à vélo ou encore de travailler à l’extérieur de la maison450. Elles sont soumises à l’autorité du mari, du frère ou du père.451 Le meurtre, le viol et la bastonnade font partie de leur quotidien452 sans pour autant inquiéter l’État qui est chargé de leur assurer une protection. Même si le feu Roi Abdallah a accordé en 2011 le droit de vote aux femmes saoudiennes, droit qui n’a pris effet qu’en 2015, il est important de rappeler que ces dernières sont encore considérées comme des mineures453, ce qui les place dans une situation d’inégalité juridique avec les hommes.

D’un point de vue international, l’absence de volonté politique des États d’éradiquer la polygamie est réelle dans la mesure où aucun État n’a jamais été blâmé parce qu’il autorise la pratique de la polygamie. Par le passé, l’ensemble de la communauté internationale était unanime et a pris des mesures très sévères d’ordre économique et politique contre la pratique de l’apartheid en Afrique du Sud454. Les efforts déployés par les États dans le combat contre l’apartheid, nous amènent à penser que s’il y avait une volonté politique de la part des États à éradiquer la polygamie, cette pratique disparaîtrait au fil des années. L’on constate malheureusement que le droit des femmes, et surtout le phénomène de la polygamie, n’est pas assez préoccupant pour la communauté internationale au point qu’un État puisse recevoir des

450 « L’Arabie Saoudite lève le voile sur les femmes battues », en ligne sur:

<http://information.tv5monde.com/terriennes/l-arabie-saoudite-leve-le-voile-sur-les-femmes-battues-2937>, (consulté le 12 septembre 2013).

451 Id. 452 Id. 453 Id.

454 Pour plus amples informations, lire « Les Nations Unies: partenaire dans la lutte contre l’apartheid », en ligne

sanctions parce qu’il ne le respecte pas. C’est, entre autres, ce qui justifie le comportement de certains États tels que l’Arabie Saoudite et l’Inde455 où les droits des femmes sont bafoués au quotidien.

En ce qui concerne la polygamie, citons le cas du Kenya où, récemment, une loi autorisant la polygamie est entrée en vigueur456. Elle traduit la volonté de l’État kenyan à faire perdurer la polygamie en la légalisant. Ainsi, on peut lire à l’article 6(3): A marriage celebrated under

customary law or Islamic law is presumed to be polygamous or potentially polygamous457. Le

législateur réaffirme son intention d’encourager la polygamie à travers l’article 8.

[M]arriage may be converted from being a potentially polygamous marriage to a monogamous marriage if each spouse voluntarily declares the intent to make such a conversion.

A polygamous marriage may not be converted to a monogamous marriage unless at the time of the conversion the husband has only one wife458.

En effet, la conversion du mariage monogamique en mariage polygamique est possible en tout temps alors que celle du mariage polygamique en mariage monogamique n’est possible que si l’époux a une seule femme au moment de de la conversion. L’attitude des États comme le Kenya face au phénomène de la polygamie traduit une absence claire de volonté politique face à laquelle le droit international reste de glace.

455 « Droit des femmes: L’Inde, le pays le plus dangereux pour une femme », en ligne sur:

<http://www.aufeminin.com/societe/droit-des-femmes-l-inde-pays-le-plus-dangereux-pour-une-femme- s4106.html>, (consulté le 12 septembre 2013).

456 Marriage Act, préc., note 430. 457 Id., article 6(3).

La conséquence de l’absence de la volonté politique des États à faire du droit des femmes une de ses priorités influence probablement celle de la communauté internationale. En effet,

[i]nternational organizations are functional extensions of state that allow them to act collectively to achieve their objectives. Not surprisingly, their structures replicate those of states, restricting women to insignificant and subordinate roles. Thus, in the United Nations itself, where the achievement of nearly universal membership is regarded as a major success of the international community, this universality does not apply to women459.

La volonté politique des États est déterminante dans le processus de reconnaissance du phénomène de la polygamie comme une atteinte grave au droit des femmes dans la mesure où ils peuvent influencer la communauté internationale.

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Au terme de cette section, force est de constater que les instruments internationaux condamnent dans une certaine mesure la polygamie. D’un point de vue international, les droits des femmes et des enfants sont ainsi protégés en ce qui concerne le droit à l’égalité, le droit à la santé et à l’intégrité physique, et le droit à l’éducation. Certaines lacunes sont à relever en ce qui concerne l’application du droit, l’absence de sanctions contraignantes, l’exclusion du droit des femmes du jus cogens. D’un point de vue interne, il n’existe pas de sanctions contre les États qui ne respectent pas leurs engagements internationaux. On note également une absence de volonté politique des États à éradiquer la polygamie. Ce qui facilite, dans une certaine mesure, la perpétuation du phénomène malgré un cadre normatif international qui lui est favorable. Qu’en est-il du cadre juridique interne des États?

Conclusion de chapitre

D’un point de vue législatif, nous constatons qu’au niveau international, la polygamie porte atteinte au droit à l’égalité entre l’homme et la femme quoique les normes la condamnant semblent susceptibles d’une application différenciée selon les États. Les pays faisant l’objet de notre étude ont ratifié l’ensemble des textes internationaux en rapport avec la polygamie sans aucune réserve. Les lacunes ont été observées face au problème de la polygamie sur le plan international et interne, notamment en ce qui concerne l’absence de sanctions contraignantes, l’exclusion du droit des femmes des normes de jus cogens, et l’absence de volonté politique des États. Nous avons également souligné le fait qu’il y a toujours possibilité de bafouer le droit à l’égalité sous le couvert de la liberté de religion.

D’un point de vue interne, les législations nationales ont repris les textes internationaux dûment ratifiés qui font présentement partie intégrante de leur loi. Toutefois, le cadre juridique de la polygamie au Canada, au Cameroun et en Côte-d’Ivoire diffère d’un pays à l’autre. La régulation de la polygamie nous a permis d’apprendre davantage sur l’évolution de la législation en matière de polygamie au Canada, au Cameroun et en Côte-d’Ivoire. Ainsi, nous avons constaté que les lois anti-polygames ont évolué avec des sanctions plus sévères au fil des années. Toujours d’un point de vue interne, nous avons constaté que certains États ont une volonté réelle d’éradiquer la polygamie. Chez d’autres par contre, on observe une absence de volonté politique. Dans le cas du Canada, la condamnation de Blackmore et Oler est un pas en avant dans le combat contre la polygamie.

Malgré le fait que la polygamie soit interdite, on note quelques foyers de polygames au Canada et en Côte-d’Ivoire. Quelles réactions institutionnelles les gouvernements de ces pays doivent-ils prendre pour donner une réponse idoine aux poches de résistance aux prescriptions répressives sur la polygamie, étant donné que c’est un phénomène qui cause un énorme préjudice aux femmes et aux enfants? Plusieurs solutions sont préconisées afin d’éradiquer la polygamie qui, d’un point de vue féministe, est une injustice faite aux femmes, étant donné qu’elle est contraire au principe de l’égalité entre les êtres humains contenu dans la

Déclaration universelle460. Face à l’ampleur du problème, des solutions sont préconisées au Canada, au Cameroun et en Côte-d’Ivoire en vue de combattre la polygamie.

460 En effet, la DUDH énonce en son article premier que: Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. La pratique de la polygamie est de nature à promouvoir la supériorité de l’homme par rapport

Conclusion de la première partie

La première partie de ce travail a consisté à effectuer l’état des lieux de la polygamie et de son mode de gestion; de la répression de la polygamie au Canada, au Cameroun et en Côte- d’Ivoire. Le premier chapitre a fait ressortir l’état du droit positif, les origines de la polygamie, les justifications qui sont susceptibles d’apporter des éléments d’explication de sa pratique, les causes et les conséquences du phénomène. Nous avons pu constater que la polygamie est une pratique qui est très répandue dans les sociétés patriarcales. Nous constatons d’un point de vue féministe que c’est un système inspiré du patriarcat qui est mis en place par des hommes, pour servir leurs intérêts et satisfaire leurs désirs. Les sociétés qui pratiquent la polygamie sont bien structurées et organisées de façon à rendre cette pratique normale et acceptable par ceux qui la vivent au quotidien. Nous avons également observé la dépendance des hommes et des femmes face à cette pratique qui s’accompagne de nombreuses conséquences pour les femmes et les enfants. Nous avons également remarqué que la polygamie comporte tout aussi bien des avantages que des inconvénients, tant pour les hommes, les femmes que les enfants.

Le chapitre deux a fait ressortir l’inventaire des justifications publiques de la polygamie dans les trois États. Nous avons pu ainsi examiner le cadre juridique de la polygamie et ses mécanismes juridictionnels, l’ensemble des droits protégés par les instruments internationaux que la polygamie contribue à brimer au quotidien. Nous avons aussi relevé les lacunes du droit international et interne face au phénomène de la polygamie, notamment en ce qui concerne l’absence de sanctions contraignantes, l’exclusion de la polygamie de la catégorie des normes de jus cogens et l’absence de volonté politique des

États. Nous avons également étudié la législation en matière de polygamie dans les pays composant notre échantillon et les organes chargés d’assurer le respect des lois en matière de polygamie. L’analyse comparative nous a aidée à faire ressortir les spécificités propres à chaque pays. Nous avons ainsi pu prendre connaissance des éléments sur lesquels chaque législateur s’est fondé pour abolir ou légaliser cette forme de mariage qui présente des contextes socio-économiques à certains égards différents. Il ressort de l’examen de l’inventaire des justifications publiques et des lacunes internes et internationales de la polygamie que ce phénomène est à l’origine de nombreux problèmes que rencontre la société. Il conviendra pour nous par la suite d’examiner ces différents problèmes et tenter d’y apporter des solutions.

DEUXIÈME PARTIE:

LA RECENSION DES ÉCRITS CONSACRÉS

AUX PROBLÈMES ENGENDRÉS PAR LA

POLYGAMIE ET LES STRATÉGIES

POSSIBLES DE RÉGULATION DU

La polygamie est à l’origine de nombreuses inégalités que subissent aujourd’hui les femmes et les enfants. À cet effet, les mesures ont été prises par les États, l’objectif avéré étant d’apporter des solutions aux différents problèmes.

Après qu’aient été analysés les problèmes résultant de la polygamie dans tous ses aspects (chapitre III), il sera important de s’interroger sur les solutions déjà en place, et ce, dans une perspective d’analyse critique. Au-delà même de ces solutions, nous tenterons de proposer d’autres mesures visant non seulement à éliminer le phénomène de la polygamie de la société, mais aussi et surtout à protéger de façon efficace les femmes et les enfants victimes d’une telle pratique ; cela constituera notre contribution à l’éradication des problèmes

CHAPITRE III: LA

RECENSION

DES

ÉCRITS

CONSACRÉS

AUX

PROBLÈMES

ENGENDRÉS PAR LA POLYGAMIE

[J]e suis la deuxième femme d’un homme qui m’a abandonnée avec trois enfants sur les bras. La belle-famille me considère comme une intruse encombrante dans la parcelle et la justice me traite de simple concubine, déclare Aisha461.

En dépit de la différence fondamentale entre les logiques qui sous-tendent le droit canadien, le droit camerounais et le droit ivoirien en matière de polygamie (prohibition, criminalisation, validation, régulation), il est probable que les stratégies de régulation adoptées aboutissent à des résultats semblables ou équivalents du point de vue de la condition des femmes et des enfants.

Le présent chapitre fait état des différents problèmes que pose la polygamie au Canada, au Cameroun et en Côte-d’Ivoire, particulièrement à l’égard de la condition des femmes et des enfants. De prime abord, on peut noter des problèmes de plusieurs ordres: politique, sanitaire, éducatif, psychologique, économique et juridique. Ces différents problèmes peuvent être regroupés autour de la question des inégalités et seront analysés sur le plan sociopolitique (Section I), sur le plan juridique (Section II), sur le plan sociétal (Section III) et sur le plan

461 Dieudonné MALEKERA et Désiré NIMUBONA, « Bujumbura: héritage incertain dans les ménages polygames »,

(mai 2011), en ligne sur: <http://journalismedepaix.wordpress.com/2011/05/25/bujumbura-heritage-incertain- dans-les-menages-polygames/>, (consulté le 3 avril 2012).

économique (Section IV). En fonction des caractéristiques particulières de ces États, certaines dimensions peuvent être prédominantes au Canada alors qu’elles ne le seront pas au Cameroun ou en Côte-d’Ivoire. Le fossé politique, juridique et économique entre les trois États explique cette situation.

SECTION I: LES

PROBLÈMES

SOCIOPOLITIQUES