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Schéma n°1 : Bipolarisation de la Guyane Française

Carte 3 : L’exploration botanique durant la première période

1.3 U NE FIGURE : LE SAVANT ET SES SUCCESSEURS

1.3.1 La figure classique du savant

Les savants sont caractérisés par « des connaissances étendues dans divers domaines ou dans une discipline particulière »2. Afin de situer les missionnaires qui nous occupent, nous devons les situer par rapport à cette filiation.

Au XVIIIème comme au XIXème3, les expéditions menées dans le sud s’inscrivent généralement dans une quête d’émerveillement terrestre, remplaçant la quête mythique des amazones et de l’Eldorado4. A la recherche d’une forêt de cacaoyers sauvages ou d’indiens vivant à l’âge de pierre, ces explorateurs sont animés par l’esprit des philosophes encyclopédistes (Grenand, 1982). Leurs observations se font au coup par coup, au hasard des conquêtes et explorations. Nul plan global et coordonné d’investissement du territoire chez

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Nous étudierons cet aspect dans les deux chapitres suivant en ce qui concerne les trois objets qui nous intéresse.

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Définition du petit Larousse illustré, 1995.

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Cela ne signifie pas qu’aucune observation n’ait été faite aux XVIème et XVIIème siècles. Parmi les premières observations, celle de Keymis, lieutenant compagnon de l’aventurier anglais Walter Raleigh dont l’ouvrage en 1596 officialise pour la première fois l’existence de la Guyane, porte essentiellement sur les amérindiens du littoral (Hurault, 1989). De même l’apothicaire Moquet accompagna les premières explorations françaises sur l’Oyapock et l’Ile de Cayenne menées par La Ravardière en 1604 (Allorge et al., 1998).

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« Le rôle de ces nouveaux explorateurs, plus scientifiques que religieux, est la recherche au lieu de la quête, le cheminement éveillé, non la découverte d’un rêve merveilleux » (Lézy, 2000, p 181).

ces explorateurs, mais le désir sans cesse renouvelé de découvrir, avec comme horizon flou et lointain, conquête et colonisation de ces terres curieuses.

En dehors du Jardin du Roi à Cayenne qui voit le jour à la fin du XVIIIème et sur lequel nous aurons l’occasion de revenir à propos de la construction de la flore comme objet de recherche, l’ensemble de ces voyageurs ne s’établit pas durablement sur la terre de leur exploration. Quand bien même ils restent quelques années, ce n’est que pour poursuivre l’enregistrement de données pour alimenter leur administration mandataire. Autrement dit, les scientifiques de cette période sont temporairement détachés des « centres de calcul » métropolitains qui construisent le sens de leur activité par l’accumulation, la centralisation et le classement de leurs données avec un ensemble de données venues d’autres territoires lointains. Ils ne construisent sur place aucune centralité qui ait pour objectif l’accumulation de ces inventaires. La Guyane est, du point de vue scientifique, une périphérie alimentant un centre à distance (Polanco, 1990).

En l’absence de centralisation en Guyane, leurs récits et travaux reprennent les mêmes thèmes à différentes époques. C’est ainsi qu’à parcourir les travaux du botaniste Aublet en 1775 jusqu'au récit de voyage du dernier explorateur de cette période, Coudreau, historien et géographe dont les premiers récits paraissent en 1886, on a l’impression de lire les mêmes relevés systématiques de curiosité. Leurs observations embrassent un champ large et apportent à chaque fois des éléments nouveaux mais la description et le regard de l’inventaire donnent l’impression que tous ces hommes ont ré-écrit la même histoire. Sans trace, pas de mémoire. L’accumulation se construit donc ici sur la base de l’oubli. Les travaux restent, comme les observations, éparses, suivant des actions non coordonnées.

Les explorations menées à cette époque ont des objectifs très variés, sans que l’on puisse dissocier tout à fait visées scientifiques et politiques. Certaines ont un but premier extrêmement utilitaire, mandaté par les ministères de la métropole, comme la recherche d’épices à cultiver pour l’exportation. D’autres ont une visée essentiellement scientifique, comme le séjour de La Condamine, mandaté par l’Académie des sciences pour mesurer la longueur d’un méridien et ainsi confirmer ou infirmer les thèses de Newton et donner au système métrique des fondements universels (Lézy, 2000). Ces deux types d’objectifs ne sont pas pour autant exclusifs l’un de l’autre. La Condamine par exemple, contribue à affiner les

relevés cartographiques sur les côtes tandis que la connaissance des plantes à épices contribue à l’accumulation des connaissances en botanique systématique.

Leur formation est également diverse. Ces hommes sont médecins, botanistes, agronomes, géographes, ingénieurs de la marine. Sans que cette liste soit exhaustive, ils appartiennent essentiellement à des disciplines d’observation. Selon la formation ou la sensibilité de l’observateur, les données portent tantôt sur les populations, tantôt sur la nature ou les deux. En fait, aucune frontière disciplinaire ne semble arrêter leur quête d’apprendre et d’inventorier.

Parmi l’ensemble de leurs thèmes de prédilection, celui des usages que les « locaux » font des produits de la forêt et des animaux qu’ils chassent, sans être central, est récurrent. Le botaniste Aublet, dans son Mémoires sur divers objets intéressants1, passe en revue diverses plantes consommées en Guyane ou exploitables. Dans son chapitre sur le manioc, il détaille les différentes espèces, les divers usages qui en sont faits, ainsi que les techniques de transformation de cette plante pour son usage alimentaire. Concernant la galette de manioc, il n’hésite pas à donner une préconisation quasi politique qui repose sur son goût personnel : « la galette est la plus mauvaise préparation de Magnoc ; […] a peine les bords sont cuits ; l’intérieur s’est ramolli, après deux fois vingt quatre heures, la pâte est sujette à se moisir intérieurement, et alors non seulement les nègres n’en peuvent point manger, mais les cochons la refusent. […] Elle devrait être absolument défendue aux habitants, et il faudrait les empêcher d’en donner nourriture aux nègres. »2

Ils ont donc une vision kaléidoscopique de la Guyane, sans frontière disciplinaire, sans rejet de l’utilité de leur recherche ou des légendes qu’ils peuvent alimenter par leurs récits de voyages. Ils portent un regard généraliste où activité scientifique, enjeux politiques et imagination semblent cohabiter et se nourrir les uns les autres, dans les retranscriptions de leurs travaux itinérants.

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Titre d’une sous-partie de la somme qu’il a réalisée sur la flore de Guyane. BDoc : Aublet, 1775.

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