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HISTORIQUE DU PEUPLEMENT

II. LA DYNAMIQUE DU PEUPLEMENT

Durant la période 1897 à 1900, Français et Anglais sont en sérieuse rivalité pour le contrôle du territoire conformément aux accords de Berlin: “il s’agissait de gagner de vitesse les Anglais, afin de tirer parti des stipulations de l’acte final de la conférence de Berlin (26-2-1885) qui mettait comme condition à toute possession de territoires africains, une occupation effective”6. L’appui des chefs locaux très influents auprès des populations est indispensable pour y parvenir. De part et d’autre, on n’hésite pas à signer des traités avec eux en vue d’évincer le rival et, le cas échéant à recourir à la force. Après l’attaque de Ouagadougou en septembre 1896 et la fuite du Morho Naba7 vers le Sud, les troupes françaises exercèrent leur pression dans la région de Kombissiri et de Niago où elles saccagèrent de nombreux villages. Dépossédé de son trône en janvier 1897 au profit du Morho Naba Siguiri, le Morho Naba Wobogo fut contraint à l’exil, d’abord dans la région de Manga, puis en Gold Coast. En février 1897, les troupes françaises du lieutenant Voulet investirent Tenkodogo et le pays Bissa. Très tôt, les pôles de résistance se développèrent autour de nombreux villages. Ouarégou, Bourma, Lergo, Lenga, et la région du Léré furent parmi les plus actifs et les adversaires les plus redoutables de la pénétration coloniale. La même année, une colonne française se déplaçant de Niago fut attaquée par des habitants de Ouarégou et un émissaire du Lieutenant Albert rudoyé à Bourma.

Face à cette “rébellion” constante des populations qui opposaient ainsi une forte résistance à la présence étrangère, les Français recoururent donc à la force. L’encadrement militaire fut alors renforcé. Le combat étant inégal, les noyaux de résistance furent matés et de nombreux villages détruits. Les rapports des autorités coloniales en témoignent : “Ce dernier (le village de Bourma) allait être sérieusement malmené, ce que voyant les spahis prirent le galop... Ce fut la débandade générale où une quinzaine d’individus (bissa) trouvèrent la mort... Il était trop tard pour s’arrêter, je poursuivais ma route, réservant le lendemain le châtiment du village... Je profitais de la matinée du 17 (novembre 1897) pour envoyer un maréchal de logis châtier comme il le convenait le petit village de Bourma”8.

Après plusieurs campagnes militaires, la résistance armée prit fin en janvier 1898. Mais cela fut loin de signifier l’acception de la domination étrangère. Bien au contraire. Chaque fois que l’administration essaya d’asseoir son autorité, elle se heurta à de nombreuses résistances. Le déroulement de cette campagne et les sévices qui l’accompagnèrent, eurent pour conséquence le déplacement des populations et la création par celles-ci de nombreux villages-refuges dans les zones désertes. D’importants groupements humains du canton de Manga partirent avec Wobogo dans son exil ou s’établirent dans la brousse du Nakambé. Quant aux populations de la région de

6 H Blet. Histoire de la colonisation française. France-Outre-Mer. L’oeuvre coloniale de la troisième république. Paris, Arthaud, 1980, tome 3, 328 p., cit page 138.

7 Empereur des Mossi.

Garango, certaines prirent la direction de la Dougoula Moundi où elles formèrent des groupements de petite taille : Tapsé, Kalhini, Gargandé... D’autres investirent la forêt innocupée du sud du pays Bissa en direction des rives du Tcherbo sur lesquelles elles constituèrent les quartiers de Zindi, Sampali...

Des mouvements analogues se développèrent vers le pays Koussacé et vers les cantons du Léré à l’ouest du Nakambé. Les transformations résultant de la conquête firent désormais des vallées un lieu de sécurité aux détriments des espace densément peuplés, alors qu’autrefois, l’insalubrité du milieu, les incursions mossi, dagomba et djerma en avaient fait une zone d’insécurité hostile à toute installation humaine. La pénétration française inversa donc le rôle des deux espaces. En contrôlant les villages et en supprimant les groupes pilleurs et razzieurs, elle y ajouta ses propres contraintes, d’où la colonisation forcée des vallées.

Après la mise en place de l’administration civile les pressions infligées aux populations s’accrurent. Impôts, conscriptions militaires9, réquisitions de travailleurs pour des travaux d’intérêt collectif (construction de routes, de ponts et de bâtiments publics) amendes, constituèrent des charges de plus en plus lourdes et difficiles à supporter. Face à ces nouvelles contraintes, les populations manifestèrent à nouveau leur opposition par des révoltes et des exodes. Les rapports des autorités coloniales en portent témoignage. Ainsi en 1910, le résident de Tenkodogo écrivait: “Ce nouveau village (Tigré) situé sur le territoire de Tenkodogo, qui ne paie aucun impôt et qui s’est formé il y a environ 5 ans de mécontents de l’autorité nabale (autorité des chefs de village) accuse une population de 298 personnes qui n’obéissent à aucun chef”10. Les Bissa étaient indignés par la remise en cause des fondements de leurs traditions auxquelles ils étaient profondément attachés.

En effet, ils ne cachaient pas leur hostilité aux administrateurs. En 1910 un émissaire du résident de France à Tenkodogo était rudoyé par les habitants de Tigré qui refusaient toute convocation. En 1911 un garde auxiliaire venu réquisitionner des travailleurs était blessé par flèche à Bargandé et un inspecteur du marché malmené à Gourgou et Béka. Dès l’institution de la conscription militaire obligatoire, les habitants du sud du pays Bissa protestèrent énergiquement. En 1911 un rapport de l’administration signalait à ce sujet: “... Les populations du sud de la circonscription se sont montrées pour ainsi dire réfractaires et plusieurs cas de rébellion à main armée se sont produits, dont les auteurs malheureusement n’ont pu être arrêtés car ils se sont réfugiés sur le territoire étranger. Nombreux ont été les indigènes, qui par crainte d’être tirailleur se sont réfugiés en brousse. La province du Léré sur une population de plus de 27 000 habitants, n’a même pas fourni un tirailleur. Il en a été de même pour les provinces du

9 L’impôt est établi en 1903 et la conscription militaire instituée en 1911. 10JP Lahuec, cit page 44, extraite des archives nationales de Côte d’Ivoire.

Koussacé et du Sanga”11. Ainsi, pour éviter les violences auxquelles ils s’exposaient et échapper aux diverses contraintes, les populations trouvèrent l’astuce de s’éloigner le plus possible en se dissimulant en brousse.

D’importants mouvements de population se développèrent non seulement en direction de la colonie britannique, mais aussi vers le Yériba12 sur la rive droite du Nakambé, difficilement accessible et éloignée des centres de commandement, et le canton du Léré où se trouvaient déjà d’autres populations (Nankana et kasséna de Ziou) venues de la rive droite du Nazinon contrôlée par l’administration. Le flux migratoire en direction des vallées atteignit son niveau le plus élevé13 pendant cette période, puisque la sécurité ne se trouvait plus dans le regroupement mais dans l’isolement.

D’après JP Hervouet, ces modifications dans les modalités d’implantation des groupements humains affectèrent sérieusement les systèmes agraires. Pour l’auteur, jusqu’en 1905, les paysans bissa du canton de Léré et de la région de Garango ne cultivaient que sur des vertisols et des sols à Pseudo-gley associés parfois à des lithosols. L’arrivée massive des populations migrantes entraîna l’exploitation de nouveaux terroirs sur des matériaux argilo-sableux au drainage limité comme au Yériba, ou sur des sols halomorphes comme aux environs de la Dougoula Moundi. Selon Hervouet, l’utilisation de ces nouvelles terres provoqua sans conteste, des modifications au niveau des techniques culturales. Mais il est difficile d’en évaluer l’importance. Par ailleurs, les extensions des zones d’implantation agraire eurent des répercussions certaines sur les disponibilités en main-d’oeuvre.

On sait que les terroirs bissa du 19ème siècle sont remarquables par leurs très fortes densités humaines. La destruction des zones cultivées à partir de la conquête coloniale, les nombreuses migrations vers la colonie britannique contribuèrent à réduire considérablement la densité des travailleurs agricoles ; et pour JP Hervouet, cette époque bien sombre marque vraisemblablement la fin de l’utilisation des parcs à Acacia albida14 et des techniques agricoles intensives.

11 JP Lahuec cit page 45, extraite des archives nationales de Côte d’Ivoire. 12 Espace restreint de l’interfluve Nazinon-Nakambé.

13 De la conquête coloniale à 1928, JP Hervouet évalue le nombre de nouveaux sites d’habitat formés dans

les vallées du Nazinon et du Nakambé à 192. 56 de ces sites auraient été créés avant 1905 et 99 entre 1905 et 1918.

14 L'acacia albida a des caractéristiques très particulières qui lui confèrent un intérêt primordial: son cycle

végétatif est inversé ; en restant vert en saison sèche et en perdant son feuillage au début des pluies lorsque débute la culture, l'arbre assure une protection du sol en période sèche, évitant ainsi les trop fortes élevations de température du sol et l'accroissement de l'évaporation de surface ; il assure aussi au bétail une alimentation abondante en saison sèche (qualité des feuillages et des gousses) et influence positivement les espèces cultivées à son pied.