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La distinction dans la République de Genève

1.2.3.2 L'origine genevoise de la distinction de la souveraineté et du gouvernement

1.2.3.2.1 La distinction dans la République de Genève

Afin de résoudre les conflits de compétences entre le Conseil général et les autres conseils de la République, les Genevois appliquent aux institutions la distinction employée par Bodin puis par Pufendorf '1$5'( B/5;'( &'( ."j$4$( '$( B/5;'( &%( 0/%2'51';'1$3( #$4D.-))41$(

ainsi une première distinction encore imprécise entre les concepts de souveraineté et de gouvernement528.

Dans la République de Genève, le Conseil général - qui est le souverain - a confié,

)41)(+/%5(4%$41$(5'1/16'5(A(6'(&5/-$3(."'*'56-6'(&'()4()/%2'54-1'$#(4%*(4%$5')(6/1)'-.)(- des 525PCC, OC III, p. 914. 526 OC V, p. 56. 527PCC, OC III, p. 914. 528 Silvestrini, op.cit., 2007, p. 525.

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Deux-Cents, des Soixante et des Vingt-Cinq -3(A(."exception tout de même de la partie de ce droit dont il a dé6-&#('*+5'))#;'1$(&'()"acquitter lui-même. Ces trois conseils sont alors les représentants du Conseil général et exercent l"autorité souveraine en agissant au nom et sur ordre du souverain. Les prérogatives attribuées à ces magistrats et officiers, exerçant la souveraineté au nom du Conseil général, font de la République de Genève une démocratie « mixte » ou une « aristo-démocratie ».

Cependant, même si les magistrats reconnaissaient la souveraineté du Conseil général, ils refusaient pour autant de se « définir comme des officiers subordonnés, dont le pouvoir dépendait de celui du Conseil général3( '$( )"/++/)4-'1$( 4-1)-( A( $/%$'( B/5;'( &'( 6/1$5p.'( '$( A(

toute réforme qui aurait pu limiter leurs privilèges informels ». En outre, ils considéraient que les assemblées périodiques du Conseil général représentaient une menace pesant sur la forme de gouvernement établie, et par conséquent « un retour séditieux à la pure démocratie ». Aussi vont--.)(W%25'5(+/%5(\ rendre leur pouvoir indépendant du Conseil général », modifiant par là

;[;'( .4( 1/$-/1( &"45-)$/-démocratie forgée par Chouet et Leclerc, « ce qui les conduira à

soutenir une notion limitée de souveraineté » C(-.()"ensuit que les magistrats ne se définiront plus « 6/;;'(&#$'1$'%5)(&"%1(+/%2/-5(5'+5#)'1$4$-B('$(&#.#0ué »529.

Mais, la réalité est plus complexe, car, comme le rappelle Silvestrini, la notion

&"aristo-démocratie connaît alors plusieurs acceptions dans la République de Genève. La

première (et aussi la plus répandue) est fondée sur « ."-&#'( &"#04.-$#( +/.-$-7%' » : la caractéristique dém/654$-7%'(5'+/)'()%5(.'(&5/-$(&"accès aux charges politiques pour tous les citoyens, et la caractéristique aristocratique provient de « ."'*-)$'16'(&')(6/1)'-.)(5')$5'-1$)(&'(

gouvernement ». La deuxième est celle élaborée par Chouet et Leclerc : la caractéristique démocratique de la forme de gouvernement genevoise y repose sur le fait que le Conseil général est le détenteur de la souveraineté, cette dernière étant exercée les autres conseils en qualité de représentants du Conseil général, ce qui en constitue la caractéristique aristocratique. La troisième est centrée sur un partage des droits de souveraineté : une « aristocratie élective tempérée par des réserves en faveur de la généralité du peuple, comme l'(&5/-$(&"approuver les nouvelles lois »530.

b-1)-3(D-'1(7%"-.()/-$B/1&#()%5(."-&#'(&'(.4()/%2'54-1'$#(&%(R/1)'-.(0#1#54.3(.'(;/&8.'(

républicain genevois s"éloigne de la démocratie pure, puisque les citoyens conviennent que

« .4(.-D'5$#(')$(+.%)(4))%5#'()-(.'(+'%+.'(6/1B-'(."'*'56-6'(&'(.4()ouveraineté à des magistrats ».

Mais, ces derniers reconnaissent « .'(&5/-$(&%(R/1)'-.(0#1#54.(&"'*'56'5(.%--même les actes les

529 Silvestrini, op. cit., 2007, p. 526-527. 530Ibid., p. 527, en note.

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plus importants de la souveraineté tels que la sanction des lois, certaines élections, le vote des traités », et tous les membres de la République se rejoignent sur le droit du souverain

&"4++/5$'5(4%*(./-)($/%)(.')(6,410';'1$)(7%"-.(2'%$3(« tout '1(5'6/114-))41$(7%"A(F'182'(6'(

6,410';'1$(1'(+'%$()'(B4-5'(7%"42'6(.'(6/16/%5)(&'($/%)(.')(/5&5')(&'(."j$4$3(&')(;40-)$54$)('$(

du peuple »531. Ainsi, on peut constater que les citoyens reconnaissent des limites à leur souveraineté. Ils sont en accord avec les membres des différents Conseils sur le principe que tout changement ou toute réforme des l/-)( 1'(+%-))'([$5'(-1$5/&%-$(7%"avec le consentement des magistrats, ces derniers participant donc de fait au processus législatif. Cependant, comme le souligne G. Silvestrini, les citoyens revendiquent très haut la nécessité de contrôler la façon dont les magistrats font exécuter les lois : il en va pour eux de la conservation de leur liberté532. R'$$'( 7%')$-/1( &%( 6/1$5p.'( &'( ."activité des magistrats constitue un point de désaccord, les citoyens réclamant un droit de contrôle formel +45( ."'*'56-6' des « représentations », auxquelles les magistrats sont hostiles et qui ont souvent été suivies de sanctions sévères. Nous nous arrêterons ci-après sur ce droit de représentation des citoyens et bourgeois de la République de Genève.

Nous verrons dans notre deuxième partie que Rousseau défend, dans sa théorie politique, une posit-/1( +.%)( 54&-64.'( '1( 5'B%)41$( ."-&#'( &"un partage de la souveraineté (ou

&"une limite de la souveraineté) - le pouvoir souverain ne saurait être partagé, il doit rester

tout entier et constamment dans les mains du peuple ^ et en dénonçant, dans les LEM

notamment, les $'1$4$-2')(&%(+'$-$(R/1)'-.(&"usurper le pouvoir souverain. Ainsi, le contexte genevois du XVIIIe siècle fournit ici un contre-modèle, 6'.%-( &"une limitation de la souveraineté du peuple, duquel notre auteur )"4$$46,'54( A( )"écarter dans ses propositions. Notre étude des LEM révèle que la conception &%(5#+%D.-641-);'(&'(J/%))'4%()"exprime à travers sa défense des droits du Conseil général et son souci constant de limiter le pouvoir des

;40-)$54$)( A( ."exécutif, afin d'( .')( ';+[6,'5( &"'1( 4D%)'5( '$( &"usurper ainsi le pouvoir souverain. En outre, Rousseau met en lumière la caractéristique principale de la citoyenneté genevoise, à savoir la liberté politique définie comme indépendance envers la volonté

&"autrui, comme soumission à des lois puissantes au-dessus desquelles personne ne doit se

trouver et comme participation politique, notamment le droit de participer au Conseil général. Dans les LEM, Rousseau défend avant tout les droits du peuple genevois - notamment les droits du Conseil général de la République de Genève, à laquelle il dédie son second

Discours -, de ce peuple dont il qualifie les membres de « magnifiques, très honorés, et

531 Silvestrini, op. cit., p. 531. 532Ibid., p. 532.

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s/%2'54-1)( )'-01'%5)( ]3( $-$5'( 7%"on leur attribuai$( '1( R/1)'-.( 0#1#54.<( =.( B4-$( ."éloge de ce même peuple un peu plus loin en vantant « ses lumières et sa raison » qui le place au-dessus de la « populace des autres États »533, un « peuple équitable et généreux » qui se « fait un plaisir de son devoir »534 et honore des « magistrats intègres »535. Cependant, dans tout le second Discours, Rousseau prend soin de ne jamais attribuer aux magistrats un pouvoir « )%+5[;'(]<(b-1)-3(."4%$/5-$#(7%-(.'%5(')$(4$$5-D%#'(1"est q%"'*#6%$-2'3(-.(1'()"40-$(+4)(&"une autorité « transférée ». Les magistrats y sont les commis du peuple souverain, les « ministres des lois », leur fonction étant celle de faire exécuter les délibérations du peuple536. Ainsi, dès le second Discours, bien avant le Contrat social, les principes majeurs de la théorie politique de Rousseau se donnent à voir : la souveraineté du peuple, la séparation de la souveraineté et du gouvernement, ainsi que la subordination du pouvoir exécutif au pouvoir législatif.

G41)(.4()'6/1&'(+45$-'(&%(&-)6/%5)3(J/%))'4%3(414.9)41$(.4(+5/05'))-/1(&'(."-1#04.-$#3(

en souligne le point culminant avec « le changement du pouvoir légitime en pouvoir arbitraire »537. Pour G. Silvestrini, cette dérive est également au centre des débats théoriques et des démarches politiques des citoyens genevois, ces derniers ayant bien cerné le problème des limites du pouvoir des gouvernants.