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Chapitre 2 – Cadre conceptuel

2.1 La mondialisation

2.1.3 La dimension culturelle

La troisième dimension de la mondialisation fait référence à la culture. Cette dimension comporte son lot d’ambiguïtés, et il importe de tenir compte des différentes acceptions qu’elle peut impliquer. Il peut être par exemple question de « mondialisation de la culture », de « culture mondiale ». Il importe d’abord de noter que la notion de culture consiste en une double nature : elle peut revêtir un caractère immatériel et référer aux valeurs, idées ou façons de se comporter d’une nation, ou représenter plutôt un bien matériel ou un service commercial sur un marché.

L’aspect immatériel de la culture fait référence aux perceptions sociales analysées dans un angle anthropologique; il renvoie ainsi à :

l’ensemble des représentations, idées, images et comportements qui sont partagés au sein d’une collectivité, qui appartiennent à un temps donné, qui sont également variables d’une société à l’autre, d’une collectivité à l’autre, et qui constituent le miroir, le discours à travers lequel chaque collectivité se perçoit, parle d’elle-même et veut que l’on parle d’elle (Rocher, 2000, p.125).

Cette approche rejoint la vision de Morin (2000), pour qui la culture « est constituée par l’ensemble des savoirs, savoir-faire, règles, normes, interdits, stratégies, croyances, idées, valeurs, mythes, qui se transmet de génération en génération… » (p.60).

Selon cette représentation anthropologique, la dimension culturelle de la mondialisation comporte également des aspects qui sont généralement perçus comme étant « positifs », à savoir l’évolution des droits humains et de la démocratie, ou encore le développement d’une meilleure compréhension des autres cultures (Berthelot, 2006 ; Burbules et Torres, 2000). Des phénomènes socioculturels moins favorables existent toutefois à travers la mondialisation, tels que « la pauvreté de masse, des mouvements migratoires d’une ampleur sans précédent ou la dégradation de l’environnement naturel » (de Senarclens, 2003, p.8). De plus, cette culture peut être associée à une forme d’individualisation, de perte du sens du collectif dans la façon d’agir et de se comporter :

[elle] serait aussi celle de la construction incessante du moi : celui-ci devient un projet réflexif, l’objet d’une quête d’authenticité personnelle (ou d’auto-référentialité), une source de créativité, d’ « empowerment » et de changement (en principe, nous pouvons être ce que nous voulons être), mais aussi d’incertitude, de vulnérabilité, de retrait,

voire de narcissisme. L’individualisme, au sens d’une construction de soi par soi, est une valeur importante (Lessard, 1998, p.6).

Ensuite, l’aspect matériel de la culture l’amène à être objet et fait référence aux films, aux livres, à la musique. Les deux « types » de culture (anthropologique et objet) sont sans conteste reliés : les traditions d’un peuple, ses valeurs et croyances sont transmis à travers les arts et les sciences. La définition que l’UNESCO donne à la culture dans la Convention sur la

protection des contenus culturels et des expressions artistiques décrit bien cette double nature :

la culture représente pour l’UNESCO « l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériel, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances » (Convention sur la protection des contenus culturels et des

expressions artistiques, art. 4).

La culture en tant qu’objet implique également qu’elle soit un commercialisable : « les biens et services culturels ont une double nature, économique et culturelle » (Convention sur

la protection des contenus culturels et des expressions, préambule). Selon Barré et Guignier

(2005), le contexte actuel de mondialisation et la nature économique de la culture en a fait un « objet mercantile » : le « développement rapide de cette mondialisation, dû en partie à l’essor de technologies facilitant la communication, a permis l’augmentation du flux des échanges culturels mettant par là même des derniers en reliefs, du moins beaucoup plus qu’ils ne l’étaient avant » (p.35). Dans le même ordre d’idée, Warnier (2010) avance que si les cultures ont de tout temps interagit et été en relation d’échange, l’industrialisation a modifié beaucoup leurs rapports :

les révolutions industrielles successives ont doté les pays dits « développés » de machines à fabriquer des produits culturels et de moyens de diffusion de grande puissance. Ces pays peuvent maintenant déverser partout dans le monde, en masse, les éléments de leur propre culture ou de celle des autres (p.14).

La croissance des échanges sur le marché de la culture (ce que Warnier (2010) appelle la « mondialisation de la culture », c’est-à-dire la circulation de produits culturels à l’échelle planétaire) amène également d’autres auteurs à voir dans la dimension culturelle de la mondialisation la domination d’une culture populaire, composée notamment de la culture de la

jeunesse, du consumérisme, de l’expansion des médias globaux et la culture commerciale (Burbules et Torres, 2000; Nayyar, 2008; Rocher, 2001). Rocher (2001) parle plus précisément de la culture de l'entertainment, qu'il associe également à l'américanisation de la culture, alors que « des images, des symboles, des aspirations en provenances des États-Unis se retrouvent dans le monde entier» (p.18). Cette homogénéisation de la culture s’expliquerait principalement par une concentration des médias, alors que « les industries culturelles seraient dominées par un petit nombre d’entreprises transnationales (surtout américaines) qui investissent à des fins commerciales le champ des médias, de l’édition, de la musique populaire, etc. » (de Senarclens, 2005, p.45). Certains y voient non seulement l'homogénéisation des cultures, mais également l’hégémonie de la culture américaine (de Senarclens, 2005 ; Lessard, 1998 ; Rocher, 2000 et 2001). À noter que ces critiques font autant référence aux objets de la culture (la musique populaire américain, les films et séries) qu’à une façon de se comporter (culture de la jeunesse, consumérisme).

Par ailleurs, comme le soulignent Barré et Guignier (2005), il y a là une forme de paradoxe : « La mondialisation est ambivalente : elle peut être source d’interactions entre les cultures mais également source de risques d’appauvrissement, voire d’homogénéisation » (p.37-38). Comme le soulignent d’autres auteurs, (Burbules et Torres, 2000; Nayyar, 2008), une telle homogénéisation de la culture est paradoxalement susceptible d’accentuer les divisions entre les pays ou de mener à davantage de fragmentation, par exemple à travers l’émergence de mouvements sociaux locaux (Burbules et Torres, 2000; Nayyar, 2008). Comme le précise Lessard (1998) :

[o]n assiste à la fois à la mondialisation d’une culture de masse pour l’essentiel occidentale, voire anglo-américaine, et aussi à la résurgence des identités particulières, que celles-ci soient éthiques, religieuses ou autres […]. Se pose la question de l’homogénéisation culturelle et de l’hégémonie d’une culture, d’une langue, voire d’un ensemble de changements (p.6).

Cette tendance à l’homogénéisation n'est pas sans danger, comme le souligne Morin (2000), pour qui « […] la désintégration d’une culture sous l’effet destructeur d’une domination technico-civilisationnelle est une perte pour toute l’humanité dont la diversité des cultures constitue un de ses plus précieux trésors » (p.61). L’UNESCO évoque également ce danger :

Constatant que les processus de mondialisation, facilités par l’évolution rapide de technologies d’information et de communication, s’ils créent les conditions inédites d’une interaction renforcée entre les cultures, constituent aussi une menace pour la diversité et un risque d’appauvrissement des expressions culturelles.