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La criminalisation des atteintes envers les biens culturels

Section 4 : Le droit pénal international et les biens culturels : d’un crime contre des

4.2 La criminalisation des atteintes envers les biens culturels

Le PAI fut la première codification internationale à venir ancrer la question des biens culturels dans le DPI. Ce dernier est en effet venu inclure les attaques intentionnelles contre les biens culturels dans la catégorie des infractions graves aux Conventions de Genève191. Les atteintes aux biens culturels rentraient donc spécifiquement dans la

catégorie des crimes de guerre192 et pouvaient dès lors entrainer l’engagement de la

responsabilité pénale des auteurs de tels actes, notamment via le mécanisme de la compétence pénale universelle. Ce régime n’a toutefois pas été élargi aux CANI, le PAII n’incluant pas d’infractions. C’est toutefois sur ce modèle des infractions graves

187 Ibid au par 82. 188 Ibid au par 94.

189 The Attorney General v. Adolf, son of Karl Adolf, Eichmann, Criminal Case No. 40/61 (11 December

1961) (District Court of Jerusalem) au par 57.

190 Ann Marie Thake, « The Intentional Destruction of Cultural Heritage as a Genocidal Act and a Crime

Against Humanity » (2017) 10:5 ESIL Conference Paper Series 1 à la p 11 [Ann Marie Thake].

191 PAI, supra note 88 à l’art 85(4)(d). 192 Ibid à l’art 85(5).

que le Protocole de 1999 à la Convention de 1954 est venu intégrer un régime de « violations graves » plus spécifique mais aussi applicable aux CANI193. Néanmoins,

le réel tournant aura lieu avec la création du TPIY en 1993 pendant que les peuples de l’ex-Yougoslavie subissaient les conséquences d’un conflit qui n’aura épargné ni les êtres humains, ni leurs réalisations.

Face aux nombreuses destructions du patrimoine, il fût décidé dès 1993 d’inclure dans le Statut du TPIY un article permettant de poursuivre les auteurs d’atteintes envers les biens culturels sous le chapeau des « Violations des lois ou coutumes de la guerre »194.

Inspiré du Règlement de La Haye de 1907, le Statut du TPIY est venu confirmer que la violation de certaines règles de DIH concernant les biens culturels constituait un crime de guerre :

Le Tribunal international est compétent pour poursuivre les personnes qui commettent des violations des lois ou coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées : a) l’emploi d’armes toxiques ou d’autres armes conçues pour causer des souffrances inutiles ; b) la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ; c) l’attaque ou le bombardement, par quelque moyen que ce soit, de villes, villages, habitations ou bâtiments non défendus ; d) la saisie, la destruction ou l’endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion, à la bienfaisance et à l’enseignement, aux arts et aux sciences, à des monuments historiques, à des oeuvres d’art et à des oeuvres de caractère scientifique ; e) le pillage de biens publics ou privés195.

S’il est spécifiquement fait mention des biens culturels – tels qu’ils étaient conçus par le Règlement de La Haye – la plupart des autres dispositions de l’article 3 peuvent selon le contexte concerner certains biens culturels. Cette inclusion spécifique permettra toutefois au TPIY de mettre en exergue le caractère coutumier de la

193 Les actes suivant, lorsque commis intentionnellement, constituent des infractions grave au Protocole :

« (a) faire d’un bien culturel sous protection renforcée l’objet d’une attaque ; (b) utiliser un bien culturel sous protection renforcée ou ses abords immédiats à l’appui d’une action militaire ; (c) détruire ou s’approprier sur une grande échelle des biens culturels protégés par la Convention et le présent Protocole ; (d) faire d’un bien culturel couvert par la Convention et le présent Protocole l’objet d’une attaque; (e) le vol, le pillage ou le détournement de biens culturels protégés par la Convention, et les actes de vandalisme dirigés contre des biens culturels protégés par la Convention. Protocole de 1999, supra note 123 à l’art 15.

194 Statut actualisé du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Nation Unies, 25 mai 1993,

amendé le 7 juillet 2009 à l’art 3 [Statut du TPIY].

protection des biens culturels en cas de conflit armé. Les juges ont par exemple précisé dès 1995, dans le fameux arrêt Tadic, le caractère coutumier de cette protection même en cas de CANI, ajoutant par ailleurs que l’article 19 de la Convention de 1954 était de nature coutumière196. Concernant les CAI, les juges ont également reconnu, dans

l’affaire Strugar, le caractère coutumier en cas de CAI de l’article 27 du Règlement de La Haye197. En reconnaissant dans l’affaire Jokic que l’attaque de biens civils

constituait une violation grave du DIH, les juges ont de surcroit établi que cela revêtait une gravité accrue lorsqu’il s’agissait de biens culturels198.

En revanche, le Tribunal pénal pour le Rwanda, créé un an plus tard, ne comprendra pas quant à lui de dispositions portant spécifiquement sur les biens culturels. Néanmoins, cela ne se reproduira pas lors de l’adoption du Statut de Rome de la CPI en 1998. Reprenant la même logique que le Statut du TPIY et donc celle du Règlement de La Haye, ce dernier inclus finalement deux articles identiques sous le chapeau des crimes de guerre, l’un pour les CAI, l’autre pour les CANI :

[constitue un crime de guerre] Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, à condition qu’ils ne soient pas des objectifs militaires199.

Si la disposition est très semblable à celle du TPIY, on peut toutefois regretter qu’il ne soit fait mention que de l’attaque contre des biens culturels, alors que le Statut du TPIY mentionnait également la saisie. Quoi qu’il en soit, cette inclusion dans le Statut de Rome a permis la tenue de la première affaire de DPI à porter uniquement sur les

196 Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1, Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception

préjudicielle d’incompétence (2 octobre 1995) (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Chambre d’appel) au par 127 [Arrêt Tadic].

197 Le Procureur c. Pavle Strugar, IT-01-42-T, Jugement portant condamnation (31 janvier 2005)

(Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Chambre de Première Instance II) au par 229.

198 Le Procureur c. Vidoje Blagojević Bragan Jokić, IT-02-60-T, Jugement portant condamnation (17

janvier 2005) (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Chambre de Première Instance I) au par 227.

199 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juin 1998, 2187 RTNU 3 (entrée en vigueur : 1er

atteintes envers les biens culturels, menant ainsi à la condamnation d’Ahmad Al Faqi Al Mahdi à 9 ans de prison200. Les développements majeurs de cette affaire – qui feront

l’objet d’une analyse particulière dans le chapitre 3 – s’inscrivent toutefois dans la continuité de deux affaires du TPIY, lesquelles constituent des tournants dans la conception des crimes liés aux atteintes envers le patrimoine culturel. Avant cela, il demeure néanmoins important de revenir en arrière et de présenter ce que l’on pourrait nommer un « acte manqué » du droit pénal international.