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La confusion entre aménagement raisonnable et discrimination positive

Les accords collectifs de travail en faveur des personnes handicapées Morgan Sweeney

B. La nature des dispositifs en faveur des personnes handicapées

1. La confusion entre aménagement raisonnable et discrimination positive

La confusion entre aménagement raisonnable et discrimination positive3

provient de leur finalité commune de compenser un désavantage en faveur de personnes appartenant à un groupe identifié comme désavantagé, les personnes handicapées. En outre, les deux concepts ont en commun d’autoriser expressément de se fonder directement sur un motif discriminatoire, en l’occurrence le handicap4

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La confusion est particulièrement perceptible dans le cadre de l’Union européenne. Dans la recommandation 86/379/CEE du 24 juillet 1986 sur l'emploi des handicapés dans la Communauté, le Conseil des communautés européennes (de l’époque) encourage les États

1 Ce qui n’est pas obligatoire pour obtenir l’agrément. 2

Sur cette épineuse question voir en particulier la très belle thèse de L. Joly, L'emploi des personnes

handicapées entre discrimination et égalité, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, 2015. V. aussi supra la

contribution de F. Guiomard.

3 Nous entendons les expressions discrimination positive et action positive comme équivalentes. Sans entrer dans le débat relatif à la définition de ce concept, nous retenons qu’il s’agit des mesures de faveur (en vue de compensation ou non) à destination d’un groupe ou d’une population définie à partir d’un critère discriminatoire. En ce sens, la discrimination positive constitue une dérogation aux règles de non-discrimination, pour laquelle il est autorisé de se fonder directement sur un critère discriminatoire.

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Une différence de teneur entre les deux types de règles doit être immédiatement soulignée : à notre sens l’action positive constitue, une dérogation, une exception aux règles de non-discrimination, alors que l’aménagement raisonnable participe de la définition des règles applicables à certains motifs discriminatoires particuliers – en effet, en droit européen et français, contrairement au concept d’accommodement raisonnable québécois, l’aménagement raisonnable est un concept propre au handicap et n’est pas applicable aux autres critères discriminatoires.

membres à prendre des actions positives en faveur des handicapés, dont des quotas d’emplois de travailleurs handicapés, mais également des « mesures appropriées », notamment pour atteindre ces objectifs d’emplois. Sans nul doute les « mesures » ainsi visées concernent les mesures d’encadrement des aménagements raisonnables dans les différents plans des accords collectifs libératoires. Pourtant, la recommandation tient ces mesures comme appartenant aux actions positives.

La confusion est encore plus évidente dans la directive 2000/78/CE1. Pourtant, dans l’effort salutaire de définition qui caractérise les directives « égalité », les auteurs distinguent clairement les aménagements raisonnables (article 5), propres au critère du handicap, de l’action positive, exception générale pour l’ensemble des critères discriminatoires (article 7, alinéa 1). Le découpage en articles de la directive invite à clairement distinguer les deux concepts. Néanmoins, de l’analyse du texte de l’alinéa 2 de l’article 7, relatif aux actions positives, ressurgit la confusion : « En ce qui concerne les personnes handicapées, le principe

d'égalité de traitement ne fait pas obstacle au droit des États membres de maintenir ou d'adopter des dispositions concernant la protection de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail ni aux mesures visant à créer ou à maintenir des dispositions ou des facilités en vue de sauvegarder ou d'encourager leur insertion dans le monde du travail ». Comment ne pas

considérer que les aménagements raisonnables ne participent pas de ces dispositions qui visent à sauvegarder ou encourager l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés ? Il s’agit de la finalité première des aménagements raisonnables !

Faut-il comprendre alors que tous dispositifs en faveur des travailleurs handicapés peuvent être qualifiés dans un même mouvement d’aménagement raisonnable et d’action positive2 ? Un cumul de qualification n’est pas tenable. Prenons un exemple : certains accords, dans des secteurs où il n’existe pas suffisamment de travailleurs handicapés détenant les qualifications professionnelles minimales pour être recrutés dans l’entreprise, prévoient de mettre en place une formation (éventuellement initiale) ouverte exclusivement aux personnes handicapées pour les embaucher directement par la suite. Ce type de dispositif démontre un effort pour compenser les carences professionnelles des candidats à l’emploi handicapés (au regard des exigences des postes proposés) et implique souvent une réservation des postes pour ceux qui iront au bout de la formation – ce qui constitue un quota déguisé. Ces dispositifs vont bien plus loin que nombre de dispositifs d’action positive, car, par exemple, dans celles mises en place pour favoriser l’emploi des femmes, les candidates doivent disposer au minimum des diplômes requis pour l’emploi proposé. Au travers de cet exemple, on pressent qu’une distinction peut être dessinée entre aménagement raisonnable et discrimination positive. Qu’il soit permis ici d’esquisser ce qui permettrait éventuellement de distinguer les deux concepts étudiés. Pour ce faire, il convient de se mettre d’accord sur la spécificité des règles de non-discrimination attachées au critère du handicap. Elles ressortent d’une logique particulière, différente des premières règles de non-discrimination. Ces dernières sont assises sur une logique de prohibition : il est juridiquement interdit, et considéré comme déraisonnable, de fonder une décision sur le critère du sexe, de l’appartenance supposée à la

1 Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

2 La confusion est également savamment entretenue en doctrine, voir par ex. F. Héas, « État de santé, handicap et discrimination en droit du travail », JCP S, 2011, 1279.

race ou à une ethnie, etc. Ces règles, à des degrés divers, obligent à un aveuglement : on ne peut juridiquement tenir compte de ces éléments1. En matière de handicap, la logique est inverse : il ne s’agit non pas d’interdire à l’employeur de prendre en compte le handicap du salarié, mais au contraire de l’obliger à le considérer à l’aune du handicap lui-même au regard des exigences du poste proposé, afin, notamment, d’aménager son poste. Il s’agit d’une règle que nous avons nommée de non discrimination-conscience2. Dans cette perspective, l’aménagement raisonnable qui suppose la prise en considération du handicap participe directement de la mise en œuvre de la règle de non-discrimination en raison du handicap, et ne constitue pas, comme l’action positive, une dérogation, une exception à cette même règle. Le législateur français a bien perçu cette particularité et a ressenti la nécessité de préciser au troisième alinéa de l’article L.5213-6, qui dispose : « Le refus de prendre des mesures au sens

du premier alinéa [soit un aménagement raisonnable] peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L. 1133-3 ». La précision est salutaire, car à s’en tenir aux

définitions de la directive européenne, une discrimination directe est caractérisée « lorsqu'une

personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l'un des motifs »3 discriminatoires. En application de cette définition, une mesure neutre, qui ne viserait pas à défavoriser les personnes handicapées, mais qui ne prendrait pas en compte la spécificité de la situation des personnes handicapées, ne serait pas constitutive d’une discrimination. En effet, la neutralité affichée implique qu’il n’y a pas de volonté de traiter moins favorablement les personnes handicapées que les personnes non handicapées. La précision apportée par le législateur français est bienvenue, car elle permet de qualifier de discriminatoire le refus de l’employeur d’aménager le poste au regard du handicap du salarié.

Un autre critère de distinction entre aménagement raisonnable et discrimination positive pourrait être trouvé dans le quota, technique souvent euphémisée pour désigner la discrimination positive : le quota constitue une action positive, notamment par son caractère collectif et la réservation d’un avantage aux seuls membres d’un groupe défini sur le fondement d’un critère discriminatoire. Les quotas fixés dans les accords collectifs libératoires seraient alors des mesures d’action positive, alors que les autres mesures seraient des cadres de l’aménagement raisonnable.

La confusion entretenue entre aménagement raisonnable et action positive n’est pas sans risque juridique4.