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Le contentieux des aménagements raisonnables doublé par la problématique des discriminations

Les aménagements raisonnables devant le juge administratif Thomas Dumortier

B. Le contentieux des aménagements raisonnables doublé par la problématique des discriminations

D’après la loi modifiée de 1987, les handicapés peuvent bénéficier d’un recrutement en qualité de contractuels dans les emplois de catégories A, B, C et D pendant une période d'un an renouvelable une fois avant de pouvoir, au terme de cette période, être titularisés. En cas de refus de l’administration, le contrôle du Conseil d’Etat s’avère plus délicat : d’abord parce

1 CE 21 janvier 2015, n° 357904. 2 CE 28 décembre 2012, n°350043.

que la titularisation n’est pas un droit, et par conséquent les juridictions ne sanctionnent qu’une erreur manifeste d’appréciation ; d’autre part parce que les considérations de fait sont nombreuses et complexes à appréhender. Le plus souvent, les requérants invoquent le défaut d’aménagement du poste en se plaçant sur le terrain de la discrimination : afin de répondre aux motifs de la décision de non titularisation, ils mettent leurs difficultés de travail sur le compte d’une absence d’adaptation du poste. Il est alors difficile de prouver la discrimination, dans la mesure où l’administration peut se retrancher derrière deux types d’arguments : les besoins du service ou l’inaptitude du requérant.

La loi de 2005 prévoit expressément la mise en place d’horaires aménagés pour faciliter le travail de l’agent handicapé « sous réserve des nécessités du bon fonctionnement du service ». Sur le site du ministère, il est encore fait référence aux « nécessités du service »1. Or, l’article 6 sexies de la loi relative au statut des fonctionnaires ne mentionne pas cette condition aux contours particulièrement flous. La coexistence de plusieurs normes relatives aux aménagements mais formulées dans des termes différents, engendre des confusions que le juge n’est pas en mesure de dissiper. En l’absence de contentieux soulevant le problème au regard de l’article 6 sexies, la question demeure de savoir dans quelle mesure les nécessités du service pèseront dans l’examen des aménagements mis en place par l’administration, et quelles nécessités seront admises par le juge. Dans une affaire relative à un problème de harcèlement dont un requérant s’estimait victime, une cour administrative d’appel a considéré que le « défaut d’aménagement de poste » ne peut être assimilé à du harcèlement dans la mesure où l’administration est mue « par la volonté d'assurer un bon accueil du public au

secrétariat des services techniques et de tenir compte de la situation de l'autre agent affecté audit secrétariat »2. Certes, la problématique des aménagements n’est ici abordée

qu’indirectement, à travers le prisme du harcèlement, mais il n’en demeure pas moins que le juge y développe une compréhension large des nécessités du service : il fait non seulement référence au bon accueil des usagers mais également aux réactions du collègue de l’agent. Cet arrêt permet donc d’apprécier, non pas ici la légalité ou l’opportunité de l’absence d’aménagements, mais la signification et la portée de ces aménagements à travers le prisme de la relation entre l’agent handicapé et son environnement professionnel.

Dans plusieurs cas d’espèce, les requérants font le choix de placer l’absence d’aménagement sur le terrain de la discrimination : c’est notamment le cas lorsqu’ils contestent une décision qui leur refuse la titularisation au terme de leur stage3. Parmi les allégations de fait susceptibles de laisser présumer une discrimination, le défaut d’aménagements peut tenir une place importante. Dans plusieurs arrêts, le juge relève toutefois que l’administration a pris des

1 Lorsqu’elles sont compatibles avec les nécessités du service, les fonctionnaires en situation de handicap peuvent bénéficier d’un certain nombre de mesures spécifiques, par exemple : aménagement de leur poste de travail, aménagements d’horaires, temps partiel de droit (après avis du médecin de prévention), priorité en matière de mutation, parcours individualisé de formation, départ anticipé à la retraite (sous conditions). Voir : http://travail-emploi.gouv.fr/emploi/inserer-dans-l-emploi/recrutement-et-handicap/article/emploi-et-handicap- acceder-a-un-emploi-dans-la-fonction-publique. V. Décret n°84-1051 du 30 novembre 1984 pris en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'état en vue de faciliter le reclassement des fonctionnaires de l'Etat reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions, art. 1.

2 CAA Lyon 24 mai 2016, n° 14LY01256.

3 V. not. : CAA Paris 16 avril 2015, n° 14PA03661 ; CAA Nantes 13 juillet 2015, n°13NT01614 ; CAA Paris, 19 février 2015, n°14PA00803.

mesures et que, par ailleurs, la manière de servir de l’agent n’est pas satisfaisante. Surtout, il paraît difficile pour le requérant de se prévaloir d’une absence d’aménagement du poste en l’absence d’un avis médical. Dans ce cas, le juge peut en effet considérer qu’il ne résulte pas des faits allégués que le poste ne correspondait pas à son handicap1.

Derrière la discrimination invoquée par les requérants, les arguments de fait développés pour étayer leur propos laissent toutefois percevoir un défaut d’aménagement du poste. Or, l’article 6 sexies leur ouvrait la possibilité de solliciter des mesures appropriées destinées à remédier à leurs difficultés alors qu’ils étaient encore en stage. Dans le cadre de l’article 6 (discrimination), le juge examine globalement les difficultés que le requérant a pu rencontrer dans l’exercice de ses fonctions, les mesures adoptées par l’administration pour y remédier et les évaluations négatives dont le requérant a fait l’objet. Le contrôle réalisé alors sur les mesures mises en place par l’administration est minime. En définitive, ainsi qu’en témoigne un arrêt de cour administrative d’appel, le juge laisse entendre que le requérant aurait dû se prévaloir d’un aménagement de son poste alors qu’il était en exercice2

. Il en ressort que, si l’aptitude du requérant a été reconnue par le médecin, il devient très difficile de faire valoir au terme de la période d’essai une absence d’aménagements du poste si le requérant n’a pas sollicité, en cours de contrat, des mesures destinées à compenser des difficultés consécutives au handicap.

La consécration par l’article 6 sexies d’une obligation d’aménagements raisonnables pour les agents handicapés, tout particulièrement lorsqu’ils sont en poste, ne suffit pas. La rareté de la jurisprudence en la matière témoigne sans doute davantage du peu de mobilisation de cet article par les requérants et leurs avocats que du respect de la loi par l’administration. Le constat fait par un membre de la doctrine en 2005 demeure d’actualité : « il reste un travail de

formation à faire auprès des fonctionnaires, notamment ceux d'encadrement et des directions des ressources humaines, afin de les sensibiliser sur ces questions et de leur enseigner un véritable savoir-faire quant à l'insertion des handicapés dans les services »3. C’est d’ailleurs

à cet écueil que le Défenseur des droits entend remédier en mettant à la disposition des employeurs publics et privés un guide d’information et de sensibilisation destiné à exposer des aménagements raisonnables envisageables dans telle ou telle situation4

.

1

CAA Paris, 19 février 2015, n°14PA00803. 2 CAA Versailles 21 janvier 2016, n° 14VE03645.

3 D. Jean-Pierre, « Recrutement des handicapés dans la fonction publique : de nouveaux moyens », JCPA, 7 mars 2005, n° 10.

4 Séance 4 du séminaire de recherche, 4 avril 2016, « Les aménagements raisonnables et le Défenseur des droits », par Fabienne Jegu, supra.

Des aménagements raisonnables au bénéfice des usagers du service public ?