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Un contrôle casuistique sur l’aptitude en fonction des aménagements possibles

Les aménagements raisonnables devant le juge administratif Thomas Dumortier

B. Un contrôle casuistique sur l’aptitude en fonction des aménagements possibles

1

Décret n° 79-479 du 19 juin 1979 relatif à l’application à certains agents relevant du ministère de l’éducation de l’article 27 de la loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées.

2 CE 18 février 1994, Moatti, n° 126074. 3 CE 18 novembre 2009, n° 318565.

4 D. Jean-Pierre, « L'appréciation qualitative des mesures de compensation du handicap en matière de concours et d'examen », JCP A, 21 décembre 2009, n° 52.

Lorsqu’une personne handicapée s’inscrit à un concours, un médecin agréé par l’administration intervient pour apprécier l’aptitude du candidat à exercer l’emploi pour lequel il concourt, « compte tenu des possibilités de compensation du handicap » précise l’article 5 de la loi Le Pors sur le statut de la fonction publique1. Dans l’éducation nationale, une commission académique statue en outre sur la compatibilité du handicap avec l’exercice des fonctions auxquelles le candidat postule, là encore en tenant compte des aménagements possibles2. Le contentieux relatif à l’aptitude concerne principalement cette seconde problématique propre à l’éducation nationale.

Dans ce domaine, le juge exerce un contrôle sur l’appréciation portée par la commission concernant la compatibilité du handicap avec la fonction. C’est une question délicate parce qu’il s’exerce, en un certain sens, in abstracto, autrement dit indépendamment de la situation réelle du requérant en poste3. D’ailleurs, comme le relève un auteur, la question de la compatibilité n’est pas « dén ée d’appréhensions stéréotypées, s sceptibles d’é ol tion » 4

. Par exemple, si la cécité a pu être un temps considérée comme incompatible avec l’exercice des fonctions d’enseignant5, ce n’est plus le cas depuis 19526

.

A cet égard, un examen du contentieux laisse entrevoir des modalités de contrôle distinctes, admettant plus ou moins la compatibilité du handicap avec les fonctions postulées, selon la nature du handicap considéré. Le juge semble admettre plus volontiers des aménagements lorsqu’il s’agit d’un handicap physique que lorsque le candidat est affecté d’un handicap psychique. Dans une affaire concernant une candidate malvoyante aux fonctions de principale adjointe, la commission nationale d’aptitude avait tranché dans le sens de son inaptitude en raison de « l'excessive dépendance de tout aveugle envers son assistant pour traiter les

questions de sécurité », et sur « l'impossibilité de traiter rapidement les documents écrits et de percevoir l'attitude de ses interlocuteurs »7. Le Conseil d’Etat a censuré cette appréciation

mettant en avant les possibilités d’aménagements « tant techni es ’organisationnels », sans donner plus de précisions, tout en ajoutant que le handicap de la candidate « ne diminue

en rien ses capacités de perception des attitudes et de communication ». En revanche, dans un

autre cas d’espèce relatif à un requérant présentant des troubles psychiatriques qui souhaitait passer le concours de conseiller principal d’éducation (CPE), le Conseil d’Etat a validé l’appréciation de la commission concluant à une incompatibilité8

. Alors même que le candidat pouvait se prévaloir des diplômes requis et d’une expérience professionnelle, ainsi que d’une amélioration de sa pathologie, sans d’ailleurs que l’arrêt n’apporte de précisions sur cette dernière, le juge insiste sur le taux d’incapacité de 60% et sur les relations qu’un CPE entretient avec les élèves et les personnels d'éducation. Sans évidemment remettre en cause

1 Art. 5, 5°.

2 Décret n° 98-543 du 30 juin 1998 relatif à l'application à certaines catégories d'agents relevant du ministre chargé de l'éducation nationale de l'article 27 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapée, article 1er. Cette disposition présente dans la jurisprudence a été abrogée en juin 2015. 3 Au terme d’un stage, ou d’un contrat pour lequel le requérant sollicite un renouvellement, le juge peut prendre en considération les évaluations dont celui-ci a fait l’objet alors qu’il exerçait ses fonctions. V. la 2nde partie. 4

C. Moniolle, « Appréciation de l'aptitude physique en cas de maladie évolutive », JCP A, 8 Septembre 2008, n°37.

5 CE 12 janv. 1938, Pellissier, Rec. p. 12.

6 CE 26 juill. 1952, Loubeyre, Rec. p. 397 à propos d’un poste dans l’enseignement supérieur. 7 CE, 19 novembre 2004, n° 263547.

l’appréciation de la commission et du juge, force est de relever ici que le handicap mental paraît être plus difficilement à l’origine des aménagements, du moins dans les fonctions qui impliquent des relations sociales.

Relativisant le caractère in abstracto du contrôle exercé par le juge en la matière, un membre de la doctrine a pu estimer que le Conseil d’Etat s’était livré en 2004 à un contrôle in concreto pour vérifier la légalité d’une déclaration d’inaptitude1

: autant les aptitudes personnelles de la candidate au CAPES d’éducation physique que les possibilités d’aménagement du poste furent alors prises en compte par le juge. La requérante était une sportive de haut niveau handicapée, avec un taux d’incapacité de 80%, pour laquelle la commission nationale d’aptitude avait prononcé une incompatibilité avec l’exercice des fonctions de professeur d’éducation physique2. Le juge a annulé la décision en remettant en cause l’appréciation de la commission. En effet, il a constaté que si certaines activités liées à ces fonctions sont incompatibles avec le handicap de la requérante, des aménagements destinés à compenser cette inaptitude partielle sont envisageables. En réalité, le caractère concret ici mis en avant par la doctrine doit être relevé pour caractériser l’attachement du Conseil d’Etat à un examen casuistique des situations individuelles dans une logique de compensation. Il se refuse en effet à remettre en cause des dispositions réglementaires susceptibles de discriminer des personnes en situation de handicap en raison de leur inaptitude à exercer certaines fonctions. Un décret est intervenu en 2004 pour exiger des candidats aux fonctions d’enseignant en éducation physique des qualifications en matière de sauvetage aquatique et de secourisme. Plusieurs syndicats de l’éducation nationale avaient saisi le juge en raison de la discrimination que ce règlement entraînait à l’égard des personnes en situation de handicap. Enjoignant l’administration à interpréter le décret au regard des exigences de l’article 6 sexies, le juge le déclare parfaitement légal en 2008 dès lors que les conditions de qualification qu’il pose répondent à un impératif de sécurité des élèves3. Cela n’empêche pas, précise le juge, d’admettre dans certains cas, si cela est possible - autrement dit si la sécurité des élèves n’est pas mise en cause - des « compensations » en faveur des personnes en situation de handicap. Dans ses conclusions contraires, le rapporteur public s’attachait pour sa part à distinguer entre les deux qualifications requises : celle relative au secourisme lui apparaît raisonnable et nécessaire, au regard de l’impératif de sécurité et de la charge excessive qui imposerait d’adjoindre en permanence un secouriste auprès de l’enseignant ; en revanche, ce n’est pas le cas selon lui du sauvetage aquatique4. Et pour étayer son propos, il citait la jurisprudence de 2004 selon laquelle des aménagements sont possibles, telle que la présence d’une autre personne lors des séances en piscine. Il pourrait être tentant, comme les conclusions de Rémi Keller y invitent, d’analyser la décision du Conseil d’Etat comme un recul vis-à-vis de l’arrêt de 20045. Mais on peut au contraire considérer que la Haute juridiction s’attache à défendre une logique de compensation à mettre en œuvre, au cas par cas, qu’il s’agisse d’ailleurs tout

1 D. Jean-Pierre, « Recrutement des handicapés dans la fonction publique : de nouveaux moyens », JCP A, 7 mars 2005, n° 10.

2

CE 30 avril 2004, Mlle Monnier, n° 254106.

3 CE 14 novembre 2008, Fédération des syndicats généra x de l’éd cation nationale, n° 311312.

4 R. Keller, « Dans quelles conditions les personnes handicapées peuvent-elles enseigner le sport à l’école ? », Conclusions sous CE 14 novembre 2008, Fédération des syndicats généra x de l’éd cation nationale, AJDA 2009, p. 380.

autant de secourisme que de sauvetage aquatique. Le juge laisse entendre que l’appréciation du caractère raisonnable d’un aménagement ne peut pas être envisagée de manière générale et absolue.

II. Un contrôle plus restreint en poste

L’aménagement des conditions de travail recouvre deux réalités : une autorisation d’accomplir un service à temps partiel (loi 2005) (après avis du médecin de prévention) ; un aménagement du poste de travail. Ce dernier peut faire l’objet d’un contentieux à l’occasion duquel le requérant conteste, dans le cadre de l’excès de pouvoir ou du plein contentieux, l’insuffisance de la prise en compte par l’administration de son handicap. Mais cette problématique apparaît en fait le plus souvent en arrière-plan, à l’occasion d’un recours contre une décision défavorable au requérant qu’il estime discriminatoire (B). De manière plus générale, les juges jouent un rôle important en déterminant la portée de l’obligation d’aménagement, au-delà même de l’article 6 sexies (A).