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La condition sociopolitique après la Guerre

LA PERIODE DU MANDAT FRANÇAIS : LE TEMPS DES INTERVENTIONS SELECTIVES ET CONTRAINTES (1919-1939)

Section 1 La condition sociopolitique après la Guerre

Si le débarquement des troupes françaises sur la côte syrienne marque la fin de la domination ottomane sur le Liban, la situation dans laquelle se trouvaient les Libanais ne leur permettait pas de fêter cette victoire (Paragraphe 2), et ne pouvait pas laisser les autorités militaires, nouvellement installées, indifférentes, même si le Liban faisait partie - au départ - des territoires ennemis occupés, avant l’institution du mandat français (Paragraphe 1).

Paragraphe 1 : Le Liban change de tuteur : l’institution du mandat français

Après un calvaire de quatre ans, le débarquement des troupes françaises (7 au 12 octobre 1918) sur la côte syrienne412, permit au Libanais de renaître à la vie.

Le lendemain de la Première guerre mondiale, l’Empire ottoman, alliée des Allemands, fut démembré. Mais en effet, c’est bien avant que la guerre ne soit terminée que les négociations du partage de l’héritage ottoman ont été commencées. La région Libano-Syrienne (le Levant), qui faisait partie de cet

héritage, était l’objet des convoitises françaises et anglaises depuis bien longtemps, et quand les Anglais étaient en train de promettre au Chérif Hussein413 de placer les régions arabes dominées par les Turcs,

sous son règne après la guerre s’il déclare la révolution contre les Ottomans ; des négociations franco- anglaises se tenaient en secret, aboutissant à l’accord Sykes-Picot414, concernant le partage de ces

régions. La guerre est terminée, l’heure de la vérité est venue, et les problèmes ne vont pas tarder à surgir ; entre les Français et les Anglais d’une part, entre Français, Anglais et l’émir Fayssal (fils du

Chérif Hussein) qui réclamait la Nation arabe conformément aux promesses anglaises d’autre part, mais

encore entre l’émir Fayssal et les Libanais - qui sont les Mont-Libanais à cette époque - qui voulaient leur état indépendant. La proclamation de l’unité et de l’indépendance absolue de la Nation arabe le 22 janvier 1920 à Damas par l’émir Fayssal va accélérer le travail des diplomaties française et anglaise afin de parvenir à trouver un accord. Ce travail s’achève à la conférence de San Remo entre les 19 et 26 avril 1920. La France reçoit ainsi le mandat sur la Syrie et le Liban, la Grande-Bretagne celui sur l’Irak et la Palestine415.

Le 14 juillet 1920 le général Gouraud416 adresse un ultimatum à l’émir Fayssal. Il lui donne quatre jours

pour accepter les conditions exigées. Faute de réponse de la part de l’émir, Damas fut bombardé dans la nuit du 23 au 24 juillet, et le lendemain c’était le combat de Mayssaloun et la fin du Royaume de Syrie417

ainsi la France s’installe comme le maître absolu de la région. Le premier septembre 1920 le général Gouraud proclame le Grand-Liban, à peu près dans ses frontières actuelles :

«Libanais, je vous disais, il y a quelques semaines, à une heure grave : le jour que vos pères ont espéré en vain et que, plus heureux, vous verrez luire, approche. Ce jour le voici ... C’est en partageant votre fierté que je proclame solennellement le Grand-Liban, et qu’au nom de la République française je le

413 Le Chérif Hussein est un Hachémite, chérif de La Mecque jusqu’en 1924 et roi du Hedjaz de 1916 à 1924 (né vers 1856 à Istanbul, mort en 1931 à Amman).

Durant la Première Guerre mondiale, il joua un rôle important en lançant la Révolte arabe et en s’alliant aux Britanniques contre l’Empire ottoman. Lors d’une conférence de dirigeants arabes à Damas en mai 1915, il avait été reconnu comme le porte-parole de la nation arabe entière.

414 Accord négocié et signé par Sir Mark Sykes de la part des Anglais, et François Georges-Picot le consul général de France au Liban, qui sera le premier haut-commissaire Français au Levant.

415 Denise Ammoun, op. cit, t. 1, p. 257.

416 Henri Joseph Eugène Gouraud (1867-1946) est un général français qui s’illustra aux colonies (Soudan français (actuel Mali), Mauritanie, Tchad, Maroc), puis, pendant la Grande Guerre en Argonne, aux Dardanelles et en Champagne. Haut-commissaire du Gouvernement français au Levant de 1919 à 1923. Gouverneur militaire de Paris de 1923 à 1937. D’un point de vue historique, il fut l’une des figures importantes de l’histoire de la colonisation française. Un choix de ses textes sur le Moyen Orient a été publié par Philippe Gouraud, Le général Henri Gouraud au Liban et en Syrie : 1919-1923, Paris, L’Harmattan, 1993, 191 p. 417 Denise Ammoun, op. cit, t. 1, p. 262.

salue, dans sa grandeur et dans sa force, du Nahr-el-kébir aux portes de Palestine et aux crêtes de l’Anti- Liban.»418

Un rêve vient d’être réalisé pour les Libanais419, qui ont ainsi tourné définitivement la page de la

domination ottomane. Désormais ils ont leur propre État, mais qui n’est cependant pas indépendant.

En effet, l’article 22 du pacte de la Société des Nations (18 juin 1919) a affirmé que «certaines communautés qui appartenaient à l’Empire ottoman (Syrie, Palestine, Mésopotamie) ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement à la condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration, jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules ».

Il est donc bien établi, dans cette clause que le mandat devait être considéré comme une mission sacrée de civilisation, qu’il devait apporter le développement et le bien-être aux peuples en faveur desquels il était accepté420 . Ce mandat de type A421 fut confié par la S.D.N à la France sur la Syrie et le Liban, lors

de la conférence de San Remo le 25 avril 1920 – par contre, le système du mandat ne rentrera en vigueur qu’au 21 septembre 1923- ; son caractère transitoire est fortement souligné. Le mandataire est un tuteur qui a pour tâche essentielle de conduire, dans les plus brefs délais, les peuples qui lui sont confiés, à s’administrer eux-mêmes. Il doit, dans les trois ans, élaborer avec leur accord une constitution. Si ses privilèges sont marqués dans les domaines militaires et des affaires étrangères, ils le sont moins dans le domaine économique, en vertu du principe wilsonien de la «porte ouverte»422 .

En pratique, la mise en œuvre du mandat a révélé le fossé profond qui séparait le concept de son application. Et il paraît que le système du mandat n’avait rien de différent de la colonisation sauf le

418 Idem, p. 267.

419 Mais pas pour tous les Libanais. Les populations des régions amputées à la Syrie et annexées au Grand-Liban, à majorité musulmane souhaitaient faire partie de la Syrie et n’avaient pas manqué de le proclamer, voir: [?]

420 V. de Saint Point, la vérité sur la Syrie par un témoin, Paris, les cahiers de la France, 1929, p. 37-38.

421 Le Mandat international est le système de tutelle mis en place par l’article 22 du Pacte de la Société Des Nations le 28 Juin 1919, conférant l’administration des colonies et possessions des pays vaincus, à certaines puissances coloniales victorieuses. Les mandats internationaux se divisaient en trois types.

1. les pays placés sous mandat A sont les communautés qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman, jugées suffisamment développées pour donner naissance à terme à des États indépendants (dont le Liban).

2. les territoires sous mandat B sont constitués par les anciennes possessions allemandes en Afrique de l’Ouest et centrale, dont on estimait nécessaire un niveau de contrôle mandataire plus important.

3. Les territoires sous mandat C, enfin, présentent en général, une population peu dense, une superficie restreinte, et un certain éloignement des centres de civilisation (ex. le Sud-ouest africain, les anciennes îles allemandes du Pacifique) 422 On trouve le texte intégral du pacte du mandat, dans : V. de Saint Point, op. cit. pp. 41-47.

nom423: « Je tiens à vous déclarer ... Que les Syriens et les Libanais sont nettement mécontents. Vous

leur aviez promis l’indépendance, vous leur avez apporté la servitude», souligna Raymond Poincaré lors d’un débat à la Commission des Affaires étrangères du Sénat424.

Le haut-commissaire concentrait entre ses mains toutes attributions reconnues par les textes internationaux au mandataire. Selon le décret du 23 novembre 1920, qui fut le texte organique en la matière «le représentant de la République française en Syrie et au Liban porte le titre du haut- commissaire et relève du ministère des Affaires étrangères. Il exerce tous les pouvoirs de la République française en Syrie et au Liban et il est le seul intermédiaire des gouvernements locaux avec les consuls étrangers.»425 Ainsi, le pouvoir exécutif absolu qu’exerçait le représentant de la France mandataire, le

rendait maître incontesté du pays. Traités et accords politiques, territoriaux, relatifs à l’enseignement ... etc.… même le pouvoir judiciaire, interdit au gouverneur général français des colonies426, était exercé

par le haut-commissaire427. Certes, l’État du Grand-Liban était doté d’une commission administrative

composée des Libanais, mais ce conseil n’avait qu’un rôle strictement consultatif, et à chaque fois qu’on songeait élargir son rôle, elle était dissoute par le haut-commissaire428, même après la promulgation de la

constitution libanaise (26 septembre 1926), cette constitution était suspendue chaque fois qu’on tentait, comme l’écrit Denise Ammoun, de «faire bouger les choses».