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L’UFCS : de l’engagement civique à la promotion des droits des femmes

Chapitre 3 Converger vers la parité : carrières individuelles et logiques des espaces

2) L’UFCS : de l’engagement civique à la promotion des droits des femmes

À l’instar de l’ACGF, l’UFCS a également redéfini dans les années 1970-1980 son rapport à la cause des femmes. L’association était de longue date inscrite dans les réseaux associatifs féminins. Dans les années 1960, elle se joint périodiquement aux campagnes menées par les organisations féministes issues de la tradition suffragiste et, dans les années 1970, elle fait partie des associations régulièrement consultées par les instances étatiques chargées des femmes. Toutefois, ce qui se joue dans les années 1980, c’est un renforcement de l’ancrage de l’UFCS dans les réseaux associatifs féminins et féministes recomposés après l’essor de la seconde vague et sous l’effet de l’institutionnalisation. Se dessine alors un nouveau rapport avec les groupes féministes de la seconde vague, avec lesquels l’UFCS n’avait guère de liens militants. On peut observer l’évolution du traitement de la cause des femmes à la lecture des colonnes du bulletin de l’association, dont les thématiques sont de plus en plus explicitement politiques et sociales et de moins en moins centrées sur la « vie quotidienne » des femmes. Adopté au terme de son assemblée générale du 12 juin 1981, le rapport d’orientation de l’association pour 1981-1982 rappelle que l’UFCS se définit non seulement comme « mouvement civique » et comme « mouvement de consommateurs et d’usagers », mais aussi comme « mouvement de femmes » et qu’il est « essentiel » que toutes les équipes UFCS « intègrent dans leur réflexion et leur action la dimension ‘Femme’ qui est l’une des spécificités [du] mouvement ». Peu après, les statuts seront modifiés pour permettre à l’association de se porter partie civile « dans les affaires de viol et d’attentat aux mœurs »,

ainsi que la loi le permet désormais. Lors de son assemblée générale du 24 novembre 1987, l’UFCS établit les trois grands projets que poursuit l’association : le projet « consommation », le projet « civique », qui inclut la mobilisation autour des élections municipales de 1989, « avec comme objectif, le maximum de femmes candidates », et le projet « Femmes », qui consiste à revendiquer « pour la femme » de « véritables droits personnels », « à chaque étape de sa vie », notamment d’« être en mesure d’exercer une activité rémunérée ». L’association affirme sa volonté d’agir à l’horizon de 1988 (élection présidentielle) pour « créer un grand mouvement d’opinion » et « une action institutionnelle » en faveur des femmes1. Outre cette évolution programmatique, l’UFCS se trouve de mieux en mieux intégrée, à partir de la fin des années 1980, dans les réseaux associatifs de l’espace de la cause des femmes. On perçoit cette mutation à l’examen des rubriques « L’UFCS a participé » et « L’UFCS a rencontré », situées à la fin du bulletin. Tout comme pour l’ACGF, cette évolution est étroitement liée au processus d’institutionnalisation qui affecte l’espace de la cause des femmes depuis le début des années 1980. Dans les réunions impulsées sous l’égide du ministère ou des organisations internationales, les représentantes de l’UFCS établissent des contacts avec des militantes d’organisations plus nettement ancrées dans l’héritage féministe, elles-mêmes incitées à ajuster leur agenda aux orientations institutionnelles. L’ampleur de l’écart qui séparait ces associations traditionnelles des groupes de la seconde vague dans les années 1970 tend donc à se réduire. Même si l’on ne dispose pas de données détaillées sur sa trajectoire, plusieurs témoignages de militantes qui l’ont côtoyée soulignent le rôle important joué par Nicole Dromard dans ce processus. De fait, elle a été très impliquée dans les réseaux associatifs féminins et féministes au niveau européen. En novembre 1987, elle participe au « Quatrième colloque européen des associations féminines », organisé par le service Informations-femmes de la Commission européenne, aux côtés de 120 femmes issues de 85 organisations des 12 pays membres. C’est au cours de cette conférence qu’un projet de « groupe de pression » se dessine, et Nicole Dromard s’implique alors, avec Denise Fuchs (présidente de Grain de sel), dans le groupe préparatoire européen qui sera, entre 1988 et 1990, à l’origine du LEF créé en septembre 1990. Signe de son implication forte dans la création du Lobby, Nicole Dromard sera la première présidente de la CLEF en 1991.

Conclusion

Ainsi, les logiques sociales de convergence de transfuges du Parti socialiste, de féministes de la seconde vague et de militantes d’associations féminines traditionnelles autour de la revendication de parité au début des années 1990 peuvent être mise au jour à travers

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Dialoguer, n°104, décembre 1987, p. 16.

Chapitre 3 – Converger vers la parité…

l’examen de leurs carrières militantes ainsi que des transformations qui ont affecté au cours des deux décennies précédentes les espaces sociaux dans lesquels elles s’inscrivent.

On a montré en premier lieu que l’engagement de militantes issues du PS dans les luttes associatives pour la parité doit se comprendre en tenant compte, indissociablement, de la dévalorisation de leur position personnelle dans le parti et de la dégradation des conditions de réception de la cause de la représentation politique des femmes pour laquelle elles se sont préalablement investies en son sein.

En second lieu, les conditions de l’engagement paritaire de militantes issues de la nébuleuse du féminisme de la seconde vague s’éclairent au vu du processus d’institutionnalisation qui affecte l’espace de la cause des femmes depuis le début des années 1980, transformation propice à la valorisation des postures plus modérées en son sein, et en particulier à la consolidation de la cause de la représentation des femmes en politique. Le caractère énigmatique de ce ralliement (qui va à contre-courant de la méfiance que suscite la parité au début des années 1990 chez les porte-parole les plus légitimes du féminisme) peut également se comprendre au vu des propriétés sociales et des carrières des trois militantes étudiées, situées depuis les années 1970 dans une position relativement dominée à l’intérieur de la mouvance du féminisme de la seconde vague.

Enfin, l’analyse combinée de la logique des carrières individuelles et de la dynamique des espaces sociaux permet de comprendre l’investissement de militantes d’associations féminines traditionnelles dans les luttes pour la parité aux côtés d’associations au profil plus nettement féministe. Cet engagement est le produit de la trajectoire empruntée par ces organisations féminines traditionnelles depuis les années 1980, au sein desquelles la cause de la représentation politique des femmes occupe une place accrue et qui se trouvent inscrites de manière croissante dans les réseaux de l’espace de la cause des femmes sous l’effet de l’institutionnalisation de cet espace.

Au final, on peut faire l’hypothèse que l’un des principes de la convergence de ces actrices issues de régions diverses de l’espace de la cause des femmes autour de la revendication de parité est leur position vis-à-vis de la seconde vague du féminisme. On l’a vu, les entrepreneuses des mobilisations paritaires émanant du mouvement féministe de la seconde vague partagent une position relativement dominée en son sein. Or on peut formuler, de manière plus nette encore, la même appréciation en ce qui concerne les autres catégories de militantes qui s’investissent dans les luttes paritaires : les militantes de partis et les militantes d’associations féminines traditionnelles ont en commun d’avoir été rejetées à l’extérieur des frontières légitimes du féminisme dans les années 1970, les premières en raison de leur compromission avec la politique des hommes, les secondes en raison de leur loyauté à une vision traditionnelle des rôles sexués.

DEUXIEME PARTIE - Luttes associatives,

investissements intellectuels

Chapitre 4 - « Faire mouvement » autour d’une