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Des associations pour la « parité » dans le sillage de la conférence d’Athènes

Chapitre 1 1992 : l’irruption des mobilisations pour la parité

2) Des associations pour la « parité » dans le sillage de la conférence d’Athènes

La conférence d’Athènes catalyse une seconde grappe de mobilisations autour de ce qui s’appelle désormais la « parité ». Dans le mois qui suit, plusieurs initiatives naissantes se concrétisent, avec la création de l’Assemblée des femmes et de Elles Aussi. Au demeurant, alors que les mobilisations étaient jusqu’alors mises en place par des élues et membres de partis, elles attirent désormais des militantes au profil plus associatif que politique, comme le démontre la constitution du réseau Femmes pour la parité à la Maison des femmes en janvier 1993.

C’est à la suite de la conférence d’Athènes, en décembre 1992, qu’Yvette Roudy dépose les statuts de l’Assemblée des femmes, une association qui se donne pour objectif de rassembler des « femmes de progrès » autour de la cause des femmes et en particulier de la « parité ». L’idée de créer une telle association avait été formulée par Yvette Roudy et quelques militantes de la cause des femmes au PS lors de la seconde convention nationale sur les droits des femmes1 organisée par le parti à Châtellerault en mars 1988. S’il n’avait donné alors lieu à aucune initiative concrète2, le projet ressurgit en mars 1992 dans le contexte des élections régionales. Comme Régine Saint-Criq, Yvette Roudy fait l’expérience directe, à l’occasion de ce scrutin, des difficultés d’imposer la cause des femmes dans l’appareil politique interne. À la tête du secrétariat national chargé des femmes, celle qui a négocié le relèvement du quota statutaire du PS à hauteur de 30% au congrès de Rennes ne peut que constater leur non-application à l’occasion des élections de mars 1992. Elle raconte dans ses mémoires :

« Candidates, les femmes le furent partout, nombreuses, motivées, convenablement placées. Tout au moins au début des discussions. À l’heure du dépôt des listes, ce fut un massacre : la plupart d’entre elles se retrouvèrent ‘comme des raisins au fond du cake’3. »

Le projet, à l’origine, consistait à convaincre la direction du PS de créer et de financer une « association de femmes socialistes ouverte aux sympathisants et au monde associatif »1. Comme l’évoque Françoise Durand, co-fondatrice de l’Assemblée des femmes :

1

La première convention nationale sur les droits des femmes du PS s’était tenue à Paris en janvier 1979, et avait donné lieu à l’adoption d’un « Manifeste du Parti socialiste sur les droits des femmes ».

2

Entretien avec Yvette Roudy, Paris, 5 décembre 2002 ; entretien avec Françoise Durand, Paris, 23 février 2005.

3

ROUDY Mais de quoi ont-ils peur? p. 143.

Chapitre 1 – 1992 : L’irruption des mobilisations pour la parité

« En 92 il y a eu les régionales, et là vraiment toutes les femmes du PS se sont trouvées en queue de liste, à quelques exceptions près. Alors là on s’est dit, avec Yvette, il faut la créer cette association. Donc moi j’ai commencé à réfléchir à ses statuts… [...] On a créé une association qui est quand même assez originale, qu’on a appelée ‘l’Assemblée des femmes’, du nom de la pièce d’Aristophane… Au départ on a essayé de faire comme les femmes du SPD etc., on a proposé au congrès de Bordeaux, c’était Fabius qui était premier secrétaire à l’époque… il était venu à la commission femmes du PS, c’était moi qui avais rapporté pour la création de cette association. Et ce qui nous a été répondu à la tribune, c’est : faites-la d’abord marcher et, on verra … parce qu’on voulait que ce soit un organisme associé, vous voyez, pour fonctionner c’était quand même mieux d’avoir des moyens. Ils nous ont dit : bon, faites là d’abord, on verra ensuite. Donc en gros ils ne nous faisaient pas du tout confiance ! Alors on s’est dit : on va créer une association loi 1901, et on va faire venir des femmes des associations, des démocrates, enfin des progressistes disons… pour essayer de peser, nous, évidemment, les femmes socialistes, il y avait même une femme verte à l’époque. Pour peser à l’intérieur du Parti socialiste. » [Entretien avec Françoise Durand, Paris, 23 février 2005]

Confrontées aux tergiversations de la direction du PS, Yvette Roudy (députée du Calvados), Gisèle Stievenard (conseillère de Paris) et Françoise Durand (membre du Conseil national du PS) déposent donc les statuts d’une association baptisée l’Assemblée des femmes en décembre 1992. L’association affirme d’emblée son autonomie par rapport au PS et son ancrage dans l’univers des associations féminines et féministes. Même si elle est, en réalité, dirigée et composée majoritairement de militantes du PS, elle s’affirme « autonome dans son fonctionnement ». Conçue « sur le modèle des organisations féminines d’Europe du ord », elle se dit ouverte à toutes les « femmes de progrès », « issues du monde politique, associatif, syndical et de la société civile »2. De fait, l’Assemblée des femmes recrute également quelques militantes d’autres partis de gauche (du parti communiste et des Verts), de syndicats, et certaines femmes « de la société civile », en particulier du monde associatif féminin : parmi les fondatrices figure Anne Zelensky, personnalité emblématique du mouvement féministe depuis les années 1970. Parmi les membres du « comité de soutien » se trouvent un certain nombre d’intellectuelles féministes proches de la gauche, comme Benoîte Groult, Janine Mossuz-Lavau et Geneviève Fraisse. La conférence d’Athènes donne à Yvette Roudy l’occasion d’ancrer son association dans le champ des luttes émergentes autour de la « parité ». Comme elle l’indique dans une lettre annonçant publiquement sa création, l’association pose comme « orientation prioritaire » « l’entrée des femmes dans les instances du pouvoir politique », se donne « pour objectif d’inscrire la parité dans la Constitution, les institutions » et « se propose de favoriser et de promouvoir les candidatures de femmes de progrès aux élections »3.

1

Y. ROUDY, « Contribution au 'Comité directeur de synthèse' du Parti socialiste (13-14 janvier) », PS info, p. 18.

2

Lettre ouverte annonçant la création de l’Assemblée des femmes, datée du 3 décembre 1992, signée par Yvette Roudy (présidente), Françoise Durand (secrétaire), Gisèle Stievenard (trésorière), publiée dans le Bulletin Ruptures n°85, janvier 1993, p. 8.

3

« Déclaration de principes » de l’Assemblée des femmes (datée du 21 décembre 1992) reproduite p.8-9 du Bulletin Ruptures n°85, janvier 1993.

La conférence d’Athènes semble avoir également précipité la constitution d’une autre association dont l’idée a germé, là encore, dans le contexte des élections régionales de mars 1992. Le 11 décembre 1992, les statuts de l’association Elles Aussi « pour la parité dans les instances élues » sont déposés, à l’initiative de six associations féminines : l’ACGF, l’Alliance des femmes, la Fédération des associations de conseillères municipales (FACM), Femmes d’Alsace, Grain de sel et l’UFCS. L’initiative en revient à Simone Gallion, maire de Champigny-lès-Langres (une commune de 400 habitants située en Haute-Marne), à la tête du groupe « Élues municipales et politiques » au sein de l’équipe nationale de l’ACGF depuis 1988. Si le projet de constituer une fédération d’associations autour de la question de l’engagement des femmes au niveau municipal était déjà formulé depuis plusieurs mois par Simone Gallion et les membres de son groupe, l’effervescence protestataire à laquelle donnent lieu les élections régionales puis la conférence d’Athènes facilitent sa réalisation. Dès le mois de mars 1992, Simone Gallion obtient l’accord de l’équipe nationale de l’ACGF pour lancer cette initiative. Elle soumet avec succès son projet à Nicole Dromard, présidente de l’UFCS, une importante association féminine avec laquelle l’ACGF entretient des liens anciens (en raison d’une tradition catholique commune), et qui organise depuis les années 1970 des formations à destination des conseillères municipales. Peu après, au début du mois d’avril de la même année, Simone Gallion rencontre Muguette Dini, responsable de la Fédération des associations de conseillères municipales (FACM), qui accepte également de se joindre au projet1. Dans les mois qui suivent, les responsables de l’ACGF, de l’UFCS et de la FACM contactent d’autres associations dans le but de constituer une fédération entièrement vouée à la cause de la représentation politique des femmes. Au terme de leurs démarches (certaines associations, comme Familles rurales, ont décliné leur proposition), trois autres associations les rejoignent : l’association Femmes d’Alsace, dont plusieurs militantes sont issues de l’ACGF et de l’UFCS ; Grain de sel, dont la présidente, Denise Fuchs, est alors investie dans les instances dirigeantes de la CLEF aux côtés de Nicole Dromard, présidente de l’UFCS ; l’Alliance des femmes, enfin, qui a lancé, comme on l’a mentionné, une liste dans la compétition électorale aux dernières régionales et noué de la sorte des contacts avec des membres de ces associations féminines traditionnelles. Si le projet de Simone Gallion visait initialement à mettre sur pied une fédération d’associations pour encourager les femmes à se présenter aux élections municipales de 1995, la conférence d’Athènes contribue à l’inscrire dans l’espace des luttes associatives pour la « parité ». Dans sa « charte », rédigée dès le mois de décembre 1992, l’association Elles Aussi déclare qu’elle « agit pour permettre aux femmes d’atteindre la parité dans les instances élues, pour que chacun, chacune ait sa place, en véritable partenaire, dans la gestion des affaires publiques ». Sylvie Ulrich, qui était alors

1

M. PRODAULT (2000), La politique affaire des femmes. aussi, ACGF, p. 51-52 ; entretien avec Simone Gallion, par téléphone, 11 juillet 2007.

Chapitre 1 – 1992 : L’irruption des mobilisations pour la parité

dans les instances dirigeantes de l’UFCS, évoque le rôle important qu’a joué la conférence d’Athènes dans cette orientation paritaire :

« Dans le domaine du politique, à l’UFCS on défendait bien sûr l’égalité, puisqu’on travaillait pour ça, on faisait en sorte qu’il y ait des formations, des incitations, des sensibilisations vis- à-vis des femmes pour qu’elles se présentent aux élections. Et puis il est arrivé les années 90. On va dire que ça a commencé en 92, avec la conférence d’Athènes. Pour nous ça a été quelque chose d’important, le jour où les femmes, enfin il y avait Édith Cresson et Simone Veil, ont donc décidé qu’il fallait la démocratie paritaire. Donc ça a commencé comme ça. Et alors là nous, les associations féminines, on a pris conscience du travail à faire. » [Entretien avec Sylvie Ulrich, Paris, 5 décembre 2002]

Enfin, le réseau Femmes pour la parité, qui se met en place en janvier 1993 à la Maison des femmes, émerge dans la foulée de la réunion d’Athènes. Il faut là encore mentionner le rôle d’une « passeuse » de la revendication de parité, Monique Dental, qui se saisit de l’opportunité fournie par la conférence et la déclaration d’Athènes pour susciter des mobilisations autour de ce nouveau mot d’ordre. Cette ancienne militante du courant « lutte de classes » du mouvement féministe des années 1970, principale animatrice du collectif Ruptures créé en 1984 et fortement insérée dans les réseaux associatifs féministes de la Maison des femmes depuis le début des années 1980, est très sensible au mot d’ordre de parité qui a fait irruption à travers Au pouvoir, citoyennes puis à l’occasion de la conférence d’Athènes. Elle raconte en entretien qu’elle a « vu ressortir par l’Europe » un slogan qui fait écho aux « pratiques paritaires » qu’elle a contribué à mettre en place, avec d’autres militantes féministes, au sein d’un groupuscule écologiste dans la seconde moitié des années 1980, le collectif Arc-en-ciel (1985-1988). Rentrée de la conférence d’Athènes (où elle est allée en tant que chargée de mission du Service des droits des femmes), à l’occasion d’une « Rencontre » inter-associative organisée par l’association Grain de sel le 7 novembre 19921, Monique Dental lance un premier « appel » afin que toutes les associations qui travaillent sur la question « des femmes et de la politique » entrent en contact afin d’accroître leur efficacité.

« Quand je suis revenue d’Athènes, [...] de la conférence Femmes et pouvoir, où on a vu à quel point il y avait un entraînement de l’Europe sur ces questions-là, il y avait une réunion organisée par une association, et on était assez nombreuses dans cette réunion et moi j’ai fait la proposition de constituer un réseau de toutes les associations de femmes qui se battaient sur la parité, pour voir comment on pouvait avoir une action plus importante au niveau de l’État. [...]. Donc on a commencé à travailler en réseau, dans un réseau qui s’est appelé le réseau Femmes pour la parité. C’est le premier réseau. Il a démarré tout de suite après, en 93. » [Entretien avec Monique Dental, réalisé par Isabelle Giraud, 20022]

1

La quatrième « Rencontre » organisée par l’association Grain de sel (« Rencontre Planète femmes du 7 novembre 1992 ») a pour objectif de « mieux préparer la conférence de Pékin ». Deux tables rondes sur quatre portent sur le thème femmes et politique : « La démocratie dans tous ses états » (présidée par Yvette Roudy), et « Le rôle des femmes dans la démocratie ».

2

GIRAUD, Mouvements des femmes et changements des régimes genrés de représentation politique au Québec et en France 1965-2004.

En janvier, un mois après la réunion organisée par Françoise Gaspard à l’Assemblée nationale, où le projet de former un réseau avait été évoqué, Monique Dental co-signe avec Odette Brun, une figure également centrale dans les réseaux de la Maison des femmes de Paris (elle dirige Paris féministe, le bulletin d’information de la Maison des femmes), une lettre invitant les associations féminines et féministes qui le souhaitent à se réunir autour de la question de la « parité politique »1. La réunion qui se tient à la Maison des femmes le 27 janvier 1993, en présence d’une trentaine de militantes, constitue l’acte de naissance du réseau Femmes pour la parité qui sera à l’origine des premières actions publiques en faveur d’une loi sur la parité au cours de l’année 1993.

Conclusion

Ainsi, l’année 1992 marque une rupture dans l’histoire des mobilisations pour la cause de la représentation politique des femmes. Elle voit l'irruption et la diffusion d’un nouveau slogan, la parité, qui s’impose rapidement comme la grammaire légitime des luttes autour de cette cause. 1992 est aussi l’année de la constitution d’une kyrielle de collectifs associatifs militant spécifiquement pour la parité, marquant la naissance de ce que les militantes perçoivent comme un « mouvement », et qui attire des fragments divers de l’espace de la cause des femmes. La mise au jour de deux grappes de mobilisations successives, la première autour des élections régionales de mars 1992, la seconde dans le sillon de la conférence européenne « Femmes au pouvoir » organisée à Athènes en novembre 1992, a permis de comprendre comment ces deux paramètres de la conjoncture ont pu jouer le rôle d’évènements transformateurs dans le processus d’émergence des mobilisations paritaires. Loin de considérer ces paramètres comme des éléments induisant mécaniquement des protestations collectives, on s’est efforcé de restituer le caractère incertain, risqué, et donc fondamentalement paradoxal2 de la naissance de ces luttes. En outre, on a mis en évidence le rôle déterminant des anticipations des initiatrices de ces contestations. C’est parce que les élections régionales de mars 1992 ont été perçues par des militantes de partis directement concernées par ce scrutin comme un événement emblématique de la fermeture des appareils politiques que des initiatives rompant avec les règles de fonctionnement légitimes du champ politique ont pu être envisagées comme relevant de l’ordre du « jouable ». On a enfin souligné l’importance de la temporalité contextuelle dans l’émergence des mobilisations paritaires. C’est bien parce qu’une première grappe de contestations s’était déjà constituée autour des régionales et parce que le slogan de « parité » avait été préalablement formulé et

1

Lettre datée du 15 janvier 1993 [Archives du réseau Femmes pour la parité, communiquées par Monique Dental].

2

M. OLSON (1987), Logique de l'action collective, Paris, PUF.

Chapitre 1 – 1992 : L’irruption des mobilisations pour la parité

divulgué au sein des réseaux de l’espace de la cause des femmes – notamment avec la publication de Au pouvoir, citoyennes en mai 1992 – que la conférence d’Athènes et sa déclaration subséquente ont pu déclencher une nouvelle grappe de mobilisations à la toute fin de l’année 1992.

Pour compléter l’examen des logiques d’émergence des mobilisations paritaires, il reste à élargir le regard au-delà des paramètres de la conjoncture de cette année 1992. Les deux chapitres suivants entreprennent de retracer la genèse des mobilisations paritaires, de trouver dans le passé des clefs pour comprendre cette « rupture » que représente l’irruption du slogan de parité et les mobilisations qu’il suscite. L’enquête généalogique se décompose en deux temps. Le chapitre 2 centre la focale d’analyse sur la genèse du slogan de parité, en retraçant l’histoire des mobilisations pour la cause de la représentation politique des femmes depuis l’émergence de la seconde vague, au début des années 1970. Quels ont été les sites et les manières de problématiser la cause de la représentation politique des femmes avant l’irruption du slogan de parité ? Quels fils peut-on tirer entre le slogan de parité, tel qu’il apparaît en 1992, et les élaborations militantes qui l’ont précédé, notamment la notion de quota avec laquelle la parité entend rompre ? Le chapitre 3 entreprend de retracer la genèse des mobilisations paritaires à travers l’exploration des carrières des principales initiatrices de ces mobilisations. Comment comprendre que des militantes émanant de régions diverses de l’espace de la cause des femmes convergent, à l’aube des années 1990, autour du slogan de parité ?