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Antoinette Fouque : du maoïsme « spontex » à la parité

Chapitre 3 Converger vers la parité : carrières individuelles et logiques des espaces

3) Antoinette Fouque : du maoïsme « spontex » à la parité

Antoinette Fouque2 est née en 1936 à Marseille, d’un père « ouvrier » et militant communiste. Mariée en 1959 « à un intellectuel de [s]on âge »3, elle s’installe à Paris en 1960. La maladie (sclérose en plaques) dont elle se sait atteinte depuis l’adolescence affecte le rythme de sa vie de professeure de lettres au lycée. Dans les années 1960, elle entame une thèse avec Roland Barthes sur le thème de l’« avant-garde littéraire », et travaille

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M. DIANI (2003), « 'Leaders' or Brokers? Positions and Influence in Social Movement Networks », in M. DIANI et D. MCADAM (eds.), Social Movements and etworks, Oxford University Press, pp. 105-122.

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Sources : A. FOUQUE (1995), Il y a deux sexes. Essais de féminologie, Paris, Gallimard ; PAVARD Les éditions des femmes: histoire des premières années, 1972-1979.

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Avec qui elle aura une fille, sans pour autant nier son homosexualité (FOUQUE Il y a deux sexes. Essais de féminologie).

occasionnellement en tant que lectrice et traductrice aux éditions du Seuil, ce qui lui donne l’opportunité de s’insérer dans le milieu intellectuel du quartier latin. « Mon avenir semblait clairement dessiné : tout me poussait à l’édition, à la critique, à l’écriture », raconte-t-elle dans ses mémoires1. En effet, elle n’est pas engagée dans une organisation politique dans les années 1960. De ce point de vue, les mouvements de Mai 1968 constituent un événement « déclencheur »2 pour Antoinette Fouque. À 32 ans, elle raconte qu’ayant récemment rencontré Monique Wittig, alors jeune écrivaine dotée d’une certaine notoriété dans le petit monde de l’avant-garde littéraire (elle l’a rencontrée par l’intermédiaire d’une connaissance dans un des séminaires auxquels elle assiste), elle est « traînée » à la Sorbonne en mai par celle-ci, où elles constituent toutes deux un « comité d’action culturelle ». À partir de la rentrée d’octobre 1968, elles commencent à se réunir régulièrement avec quelques femmes pour « lire et [...] critiquer [...] les textes de Marx, Engels, Lénine »3. Resté pendant deux ans inconnu des quelques autres collectifs féministes nés dans le contexte de Mai 19684, ce groupe fait son apparition publique au printemps 19705, en organisant une manifestation et un débat à l’université de Vincennes, qui restera comme moment fondateur du MLF car c’est à l’occasion de cette réunion que l’exclusion des militants masculins est prononcée6. Peu après, le groupe de Vincennes se scinde en deux, l’un autour de Monique Wittig et l’autre autour d’Antoinette Fouque. C’est à la suite de cette scission que se constitue, autour de celle-ci, un groupe que plusieurs militantes du MLF appellent dès le printemps 1971 « Psychanalyse et politique » (Psychépo). Antoinette Fouque est alors chargée de cours en philosophie et en psychanalyse à l’université de Vincennes. La psychanalyse tient une place importante dans les activités du groupe – analysée par Jacques Lacan puis par Luce Irigaray, Antoinette Fouque est en effet elle-même devenue analyste, et prend en analyse plusieurs membres de son groupe. La doctrine qu’elle élabore au nom de Psychépo se distingue assez nettement des autres groupes féministes radicaux, en ce qu’elle rompt avec « l’anti-essentialisme »

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Ibid.

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PAVARD Les éditions des femmes: histoire des premières années, 1972-1979.

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FOUQUE Il y a deux sexes. Essais de féminologie, p. 32.

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Parmi ces groupuscules féministes issus de Mai 1968, on peut citer Féminin, Masculin, Avenir (FMA, dans lequel s’engagent notamment Anne Zelensky et Christine Delphy).

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Dans ses mémoires et dans les interviews qu’elle donne, Antoinette Fouque insiste sur le fait qu’elle a « co-fondé » le MLF à cette date, s’inscrivant en faux avec la plupart des comptes rendus historiques et témoignages des militantes, qui situent l’émergence du MLF au cours de l’année 1970. De fait, les quelques femmes qui se réunissent au sein du groupe de Vincennes à partir d’octobre 1968 ne s’appellent pas encore le « MLF », appellation qui s’impose, d’abord dans la presse, à partir de l’année 1970 pour désigner les groupes de militantes qui mènent les premières actions publiques en faveur d’un féminisme radical (dépôt d’une gerbe à l’Arc de triomphe en l’honneur de la femme du soldat inconnu, perturbation des états généraux de Elle, numéro spécial « Féminisme, année zéro » dans la revue Partisans…).

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PAVARD Les éditions des femmes: histoire des premières années, 1972-1979, p. 45.

Chapitre 3 – Converger vers la parité…

d’inspiration beauvoirienne. Pour signifier symboliquement cette rupture, le groupe refuse de se revendiquer du « féminisme », qualifié de « dernière forme historique du patriarcat »1, et se revendique plutôt le terme de « féminitude ». Le groupe se singularise également en s’engageant dans plusieurs entreprises commerciales grâce à des ressources (matérielles et sociales) nettement plus importantes que les autres groupes du MLF2. Antoinette Fouque crée en octobre 1973 la maison d’édition « Des Femmes » (sous la forme d’une SARL) qui se fixe pour mission de publier tout « le refoulé, le censuré, le renvoyé [...] des maisons d’édition bourgeoises » 3, puis des librairies « Des Femmes » à Paris, Marseille et Lyon4. À partir de la seconde moitié des années 1970, Psychépo publie plusieurs revues qui se distinguent là encore des autres revues issues du mouvement féministe par l’importance des tirages5. Jusqu’à la fin des années 1970, Antoinette Fouque se revendique partie prenante des fractions les plus radicales de l’univers des mouvements sociaux, en développant une rhétorique clairement marxiste-léniniste, qui conduit le groupe à fustiger les institutions « bourgeoises », à soutenir de nombreuses causes « anti-capitalistes ». En 1978, par exemple, Psychépo appelle à l’abstention électorale, dénonçant toute forme de représentation politique. Dans la seconde moitié des années 1970, les conflits entre Psychépo et la plupart des autres groupes radicaux issus du MLF s’accentuent. En 1979, Antoinette Fouque dépose les statuts d’une association appelée « Mouvement de libération des femmes » et dépose le sigle à l’Institut national de la propriété industrielle. Cette initiative provoque l’ire des autres groupes issus du MLF (qui la découvrent à l’occasion de la grande manifestation pour la liberté de l’avortement en 1979 au cours de laquelle les militantes de Psychépo arborent leur propre banderole « MLF »), accélérant l’éclatement du « mouvement ».

En 1981, rompant brutalement avec sa rhétorique anti-institutionnelle, Antoinette Fouque appelle à voter pour François Mitterrand et engage les militantes de son groupe à soutenir sa campagne6. Ce processus de conversion à la stratégie réformiste se poursuit dans

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Le Quotidien des femmes n°2, 3 mars 1975, p. 5. Ce refus de l’appellation du féminisme s’exprime dès le tout début de la décennie 1970 : cf. le texte du groupe d’Antoinette Fouque intitulé « Nous, des femmes du MLF qui ne nous définissons pas comme féministes… » publié dans Le Torchon brûle, n°4, p. 9.

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GARCIA, Le féminisme, une révolution symbolique? Etude des luttes symboliques autour de la condition féminine.

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GARCIA GUADILLA Libération des femmes. Le MLF, p. 41.

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Pour une analyse détaillée des éditions et librairies des femmes, voir PAVARD Les éditions des femmes: histoire des premières années, 1972-1979.

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Quotidien des Femmes (non quotidien, 10 numéros publiés entre novembre 1974 et juin 1976) puis une « mensuelle », Des Femmes en mouvements, dont le premier numéro paraît en janvier 1978 et tire initialement à 150 000 exemplaires (paraît jusqu’en janvier 1979, pour être remplacé par Des Femmes en Mouvements Hebdo).

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Le MLF-déposé brandit alors des slogans tels que : « La gauche est la terre natale des femmes », « À gauche de la gauche, des femmes avec le MLF pour des candidates du Parti socialiste ». L’association

les années 1980. La position sociale d’Antoinette Fouque, placée à la tête de plusieurs entreprises commerciales, inscrite dans des réseaux intellectuels et mondains depuis les années 1960 et le contexte politique des années 1980 (démonétisation politique des rhétoriques d’extrême gauche et institutionnalisation de l’espace de la cause des femmes) permettent d’éclairer les logiques sociales de cette conversion. Après une période de mise en sommeil des activités spécifiquement militantes du groupe1 et de recentrage sur ses activités commerciales, Antoinette Fouque crée en 1989 une nouvelle structure associative, l’Alliance des femmes pour la démocratisation2, qui place la question du « droit » et de la représentation politique des femmes au cœur de ses stratégies militantes, dans le contexte de la célébration du bicentenaire de la Révolution française. Cette initiative confirme la conversion d’Antoinette Fouque au réformisme. Dans l’allocution d’ouverture au colloque célébrant en grande pompe au mois de mars 1989 à la Sorbonne la naissance de sa nouvelle association (« États généraux des femmes »)3, Antoinette Fouque évoque les échecs de la stratégie antiparlementaire du MLF des années 19704. D’autre part, la création de l’Alliance des femmes marque la consolidation d’une nouvelle préoccupation sur l’agenda militant de l’association : la cause de la représentation politique des femmes5. Lors des « États généraux des femmes », dans le contexte de préparation des élections municipales, plusieurs personnalités politiques féminines sont conviées pour évoquer la question de la représentation politique des femmes, qui occupe plus d’un tiers des débats6. Interviewée au sujet des

organise un débat « MLF-PS » le 22 avril 1981 au théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris. Yvette Roudy, Catherine Lalumière, Édith Cresson, Hélène Cixous, Kate Millet et Antoinette Fouque y interviennent.

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Des Femmes en Mouvements Hebdo cesse d’être publié au milieu des années 1980.

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L’association sera dans les années qui suivent rebaptisée Alliance des femmes pour la démocratie.

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Près de 600 personnes y assistent, et plusieurs personnalités médiatiques, politiques et intellectuelles s’expriment à la tribune.

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ALLIANCE DES FEMMES POUR LA DÉMOCRATIE (1990), 1989. Etats généraux des femmes à la Sorbonne, Paris, éditions des femmes.

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Dès le début des années 1980, Le MLF-déposé inscrit la question de la représentation politique des femmes parmi ses revendications, plus particulièrement l’idée d’une participation massive des femmes à la prise de décision. Parmi les « dix mesures d’urgence en réparation des dommages millénaires faits aux femmes » réclamées par le MLF-déposé à l’occasion de la journée des femmes le 8 mars 1982 (pour laquelle le MLF-déposé appelle à la « grève générale »), on trouve, à côté de revendications telles que « Crèches garderies gratuites 24h/24 », « Libre disposition de notre corps », « Reconnaissance du travail domestique pour toutes » : la demande de création d’une « indemnité de travail domestique » ou encore « Création d’un Droit international des femmes » (« ous, femmes, sommes un peuple et nos luttes n’ont pas de frontières »), la revendication de « 52% du pouvoir décisionnel aux femmes » : « Puisque nous sommes 52% de citoyennes, nous avons droit à 52% du pouvoir décisionnel à tous les niveaux (familial, professionnel, culturel, politique) » (Des Femmes en Mouvement Hebdo, n° 81, mars 1982, p. 28-29).

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Le colloque s’organise autour de trois tables rondes : « Droit et politique. Constitution et citoyenneté », « Nouveaux ‘malaises dans la civilisation’. Quels remèdes, quelles solidarités ? » - sur

Chapitre 3 – Converger vers la parité…

conditions de création de l’Alliance des femmes, l’une de ses militantes, Christine Villeneuve (salariée des Editions des femmes depuis les années 1980) évoque cette centralité croissante de la question politique :

« Q. Alors comment est-ce que vous en êtes venues à fonder l'Alliance des Femmes...

R. Alors ça c'est Antoinette Fouque, en 1989... [...] je pense qu'Antoinette a dit : il faut commencer à parler... de la position politique des femmes. C'est comme ça qu'est venu cette question... C'était parce qu'on arrivait sur le bicentenaire ... Enfin il y avait à ce moment-là, à ce stade, une réflexion qu'Antoinette Fouque menait mais que d'autres femmes aussi menaient, même si on n'avait pas forcément de contact avec ces femmes. Et donc une circonstance qui était la commémoration de la Déclaration des droits de l'Homme, où là est apparue la question des droits des femmes, des droits humains, de la formulation donc... de tout ce travail de l'inscription, de la visibilité de l'existence des femmes. Alors effectivement on ne parlait pas de parité à l'époque. Mais au fond quand vous lisez les textes d'intervention sur droit et politique, il était déjà question de comment on pouvait inscrire ça dans la Constitution, la différence des sexes, etc. Enfin tout ce débat était absolument là. » [Entretien avec Christine Villeneuve, Paris, 15 juillet 2003]

Concrétisant son engagement en faveur de la représentation politique des femmes, le groupe d’Antoinette Fouque lance en mars 1989 deux listes composées majoritairement de femmes à Paris et à Marseille. La même militante évoque cette initiative lors du même entretien :

« On arrivait sur les municipales de 89. Le 8 mars 1989, les listes étaient déjà déposées, et on était juste avant le premier tour. Donc vous voyez, il y a eu des élections vers le 20 mars 1989. Et là ce qui s'est passé c'est que dans ce contexte du bicentenaire des droits de l'homme, etc., la question de l'inscription de la différence des sexes, enfin de l'existence des femmes, du sujet- femme, on pourrait dire ça, s'est forcément posée la question de se présenter à des élections. Les listes s'appelaient ‘Avec les femmes pour la démocratie’. [...] Et puis à Paris on avait fait des affiches qui appelaient ‘pour une mairie réellement mixte’. Vous voyez. On ne parlait pas encore de parité mais on était déjà complètement là-dedans. [...] [Sur ces listes] il y avait des personnes je dirais extérieures au mouvement des femmes. Des hommes en particulier. On a tenu à faire des listes mixtes, enfin mixtes, il n’y avait pas autant d'hommes que de femmes, mais il y avait des hommes, voilà. » [Entretien avec Christine Villeneuve, Paris, 15 juillet 2003]

Au même moment, vers la fin des années 1980, Antoinette Fouque commence à nouer des liens avec des organisations féminines traditionnelles qui, de leur côté, s’insèrent de manière croissante, depuis le début des années 1980, dans les réseaux de l’espace de la cause

les violences envers les femmes et « Création et recherche. Art et science ». La première table ronde fait intervenir des personnalités politiques de droite (Michèle Barzach, alors ministre) comme de gauche (Yvette Roudy, Colette Audry) ainsi que des militantes d’associations féminines comme Christiane Papon (présidente de Femme Avenir, l’association féminine du RPR), Claude du Granrut et Laurence Douvin (présidente de la Fédération des associations femmes et libertés), auxquelles s’ajoutent plusieurs militantes politiques moins connues conduisant des listes de femmes aux municipales de 1989. Il y a aussi des personnalités politiques étrangères, comme Maria de Lourdes Pintasilgo (députée au Parlement européen, ancienne Première ministre du Portugal). Les interventions à la tribune sont suivies d’un débat avec la salle sur le thème : « Femmes candidates aux élections municipales du 12 mars 1989 ». Voir ALLIANCE DES FEMMES POUR LA DÉMOCRATIE 1989. Etats généraux des femmes à la Sorbonne.

des femmes. En octobre 1989, elle assiste à un grand rassemblement (« Horizon Femmes ») organisé par l’ACGF – elle est l’une des seules représentantes d’organisations issues de la seconde vague du féminisme à assister à ce congrès. La rhétorique de la « différence » qu’elle promeut, désormais expurgée de ses accents gauchistes des années 1970, s’accorde alors plutôt bien avec la doctrine de la complémentarité hommes-femmes promue par cette organisation féminine catholique. Lorsqu’en mars 1992, Antoinette Fouque lance à nouveau des listes dans la compétition électorale, elle prend naturellement contact avec des militantes d’associations féminines parties prenantes dans d’autres initiatives de listes de femmes au même moment. C’est par ce biais qu’elle est bientôt sollicitée pour fonder l’association Elles Aussi en décembre 1992. Au terme de cette analyse, on peut ainsi mieux comprendre le ralliement apparemment paradoxal de cette ancienne militante « mao » à la cause de la représentation politique des femmes, dans le cadre d’une organisation comme Elles Aussi, menée par des militantes d’associations féminines traditionnelles.

III - Militantes d’associations féminines traditionnelles

Aux côtés des militantes issues du Parti socialiste et des héritières du féminisme de la seconde vague, plusieurs entrepreneuses des premières mobilisations pour la parité sont issues d’organisations féminines traditionnelles. C’est le cas, notamment, des initiatrices de Elles Aussi, qui rassemble à partir de décembre 1992 six associations pour la parité. Comment comprendre que des dirigeantes d’associations traditionnelles constituent une fédération associative de cette envergure pour la cause de la représentation politique des femmes ? Et qu’elles nouent des alliances avec d’autres associations, y compris issues de la seconde vague du féminisme, pour mener à bien ce projet ?

Dans cette section, on se focalisera sur deux associations de ce profil traditionnel qui ont joué un rôle moteur dans l’émergence de Elles Aussi et plus généralement, tout au long des années 1990, dans les mobilisations paritaires : l’ACGF et l’UFCS. Si quatre autres associations rejoignent l’initiative – qui émane de l’ACGF1 –, ce sont bien ces deux-là qui, par leur ancienneté, leur nombre d’adhérentes, et leur implantation sur l’ensemble du territoire français, constituent l’ossature de l’association. Significativement, les présidentes de Elles Aussi sont, depuis la création de la fédération, toujours issues de l’une ou de l’autre de ces associations (Simone Gallion, ACGF, 1993-1995 ; Nicole Dromard, UFCS, 1995-1997 ; Françoise Ramond, ACGF, 1997-2001 ; Françoise Pelissolo, UFCS, 2001-2003…). En l’absence d’un corpus de recherches constitué sur ces deux associations dans la période

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On peut en outre noter que c’est à l’ACGF que s’installe le siège de Elles Aussi, de sorte que l’équipe nationale de l’ACGF, et en particulier sa secrétaire générale (au début Françoise Ramond), sont particulièrement impliquées dans l’animation de l’association.

Chapitre 3 – Converger vers la parité…

contemporaine1, on se fondera, pour retracer leurs trajectoires, sur des sources parcellaires : le dépouillement de leurs bulletins depuis les années 1970 et trois entretiens : Simone Gallion, initiatrice du projet au sein de l’ACGF, Françoise Ramond, qui collabore d’emblée à cette entreprise en tant que secrétaire générale de l’ACGF, et Sylvie Ulrich, qui s’investit dans les luttes pour la parité au nom de l’UFCS en tant que membre du conseil d’administration de cette association2. À partir de l’analyse de ce matériau, on peut élaborer quelques hypothèses sur les logiques d’engagement de ces deux associations, et de leurs militantes, dans les luttes pour la parité : premièrement, ces associations ont accordé une importance croissante à la cause des femmes en politique, en raison notamment d’un ancrage croissant de leurs militantes dans le champ politique au niveau local ; deuxièmement, elles se sont insérées de plus en plus dans l’espace de la cause des femmes, surtout au cours de la décennie 1980, sous l’effet de l’institutionnalisation de cet espace et des transformations propres à la sociologie de leurs adhérentes.

A - L’affirmation de la cause de la représentation politique des femmes

À partir des sources consultées et des entretiens réalisés, on peut formuler l’hypothèse que la question de l’engagement politique des femmes gagne une centralité croissante sur l’agenda militant de l’UFCS et de l’ACGF dans les années 1980. Cette évolution peut elle- même être liée au fait que ces grandes associations fortement implantées localement comptent très probablement parmi leurs rangs une proportion croissante de femmes élues, pour la plupart dans des petites communes rurales, dans un contexte où la féminisation des conseils municipaux s’accélère (cf. Tableau 2).

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Si l’histoire des « ligues » de femmes catholiques est aujourd’hui bien documentée (DUMONS Les dames de la Ligue des femmes françaises (1901-1914) ; DELLA SUDDA, Une activité politique féminine conservatrice avant le droit de suffrage en France et en Italie. Socio-histoire de la politisation des femmes catholiques au sein de la Ligue Patriotique des Françaises (1902-1933) et de l'Unione fra le donne cattoliche d'Italia (1909-1919)) tel n’est pas le cas de celle de l’ACGF dans les dernières décennies. Cette histoire a seulement été esquissée par un historien « interne » de l’association (G. DITTGEN (1990), De la ligue à l'ACGF (Tome 2), Paris, éditions ACGF) En ce qui concerne l’UFCS, il n’existe à notre connaissance aucune recherche qui lui soit spécifiquement dédiée depuis sa création en 1925.

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On n’a malheureusement pas pu effectuer d’entretien avec Nicole Dromard (présidente de l’UFCS en 1992 et co-fondatrice de Elles Aussi), décédée en 2004.

Tableau 2 – Part des femmes dans les conseils municipaux1 Année % de femmes 1959 2 1965 2 1971 4 1977 8 1983 14 1989 17

Comme on l’a mentionné au chapitre précédent, l’UFCS a, depuis le début des années 1970, organisé à chaque échéance électorale des formations à destination des futures candidates aux élections municipales. L’association continue d’organiser ce type de formations avant les élections de 1983 et 19892. Certes, ces formations semblent toucher une moindre masse de femmes que celles qui furent menées dans les années 1970. Toutefois, le dépouillement du bulletin de l’UFCS (Dialoguer) dans les années 1980 montre que l’association affirme son engagement en faveur de la cause de la représentation politique des