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L’ACGF : du conservatisme religieux à la « promotion féminine »

Chapitre 3 Converger vers la parité : carrières individuelles et logiques des espaces

1) L’ACGF : du conservatisme religieux à la « promotion féminine »

Historiquement, l’ACGF a été constituée en réaction vis-à-vis des mouvements républicains et laïcs, notamment des mouvements féministes1. Elle est héritière de deux « ligues » créées lors de l’affaire Dreyfus, en 1901-1902, pour mobiliser les femmes catholiques dans le camp anti-dreyfusard, puis pour organiser la résistance aux lois laïques : la Ligue des femmes françaises (LFF) à Lyon et la Ligue patriotique des Françaises (LPDF) à Paris, qui fusionnent en 1933 au sein de la Ligue féminine d’action catholique française (LFACF). Jusqu’aux années 1950, placée sous la tutelle de l’épiscopat, elle se caractérise par des positions explicitement anti-féministes, d’abord contre le droit de suffrage individuel des femmes (elle milite pour le vote familial), contre le travail salarié des femmes et pour une vision très traditionnelle des rôles sexués à l’intérieur de la famille. À partir des années 1930, la Ligue développe des services spéciaux dans les diocèses (service d’entraide, service liturgique, « bibliothèques pour tous », etc.), et devient une organisation de masse (elle regroupe dans les années 1930 près de deux millions d’adhérentes). Son objectif principal est « la formation et la diffusion d’une opinion catholique par les femmes sur tous les grands problèmes de l’heure et, chaque fois que c’est utile, la représentation auprès des pouvoirs publics, d’une opinion catholique féminine de grand poids » 2.

À partir du milieu des années 1950, la tutelle épiscopale se desserre progressivement, et l’association (rebaptisée ACGF en 1954) n’a plus seulement une tâche « missionnaire » (évangéliser) mais désormais « communautaire », c'est-à-dire qu’elle se doit de construire la « communauté paroissiale comme un lieu de vie ouvert sur l’extérieur ». Dans les années 1960, l’organisation inscrit à son agenda la « promotion féminine » (au cours des années 1960). Il ne s’agit pas d’égalité mais affirmation de la « spécificité féminine », et de « développement des qualités féminines »3. Cette nouvelle position se traduit par la valorisation de la parole des femmes au sein du mouvement et de la mise à l’écart de la tutelle des aumôniers. Symbolisant cette évolution, le bulletin Le Gué, créé en 1976, ouvre largement ses colonnes aux témoignages des militantes, qui « s'expriment, confrontent leurs paroles, leur vie, leurs aspirations, leur foi ». Cette nouvelle centralité accordée à la parole autonome des femmes est confirmée en 1978 lors du congrès de Pantin, « Oser vivre au féminin, oser dire Jésus-Christ » (où 5 000 femmes du mouvement se réunissent). L’« autonomie » en

1

DUMONS Les dames de la Ligue des femmes françaises (1901-1914) ; DELLA SUDDA, Une activité politique féminine conservatrice avant le droit de suffrage en France et en Italie. Socio- histoire de la politisation des femmes catholiques au sein de la Ligue Patriotique des Françaises (1902-1933) et de l'Unione fra le donne cattoliche d'Italia (1909-1919).

2

DITTGEN De la ligue à l'ACGF (Tome 2), p. 13.

3

Ibid., p. 106.

même temps que la « spécificité » des femmes sont affirmées de manière croissante. Selon une responsable nationale qui s’exprime à ce congrès :

« ous, femmes, nous pouvons dire qu’oser vivre au féminin signifie construire, hommes et femmes ensemble, un monde où chacun puisse apporter sa propre richesse… un monde où personne ne soit utilisé ni annexé ; un monde où hommes et femmes deviennent de véritables partenaires. Pour cela, un préalable est nécessaire. En effet, pour être partenaire valable il faut savoir qui l’on est, ce qu’on peut faire. Connaître son identité profonde est indispensable. Or, jusqu’à présent le seul critère de référence pour nous connaître, nous femmes, a été le critère masculin. Une histoire au féminin est à réécrire1. »

C’est au cours des années 1980 que l’ACGF commence à s’inscrire dans les réseaux associatifs de l’espace de la cause des femmes. Depuis longtemps, l’association cultivait des liens avec des organisations féminines proches d’elle, d’obédience ou de tradition chrétienne comme l’UFCS ainsi qu’avec des organisations familiales (comme Familles rurales). Mais dans les années 1980, sous l’influence de l’institutionnalisation de l’espace de la cause des femmes, l’ACGF noue des liens avec des organisations héritières de la seconde vague du féminisme. À cet égard, les témoignages des militantes attestent que la conférence de Nairobi a constitué une étape importante dans le processus de socialisation féministe de l’organisation. En effet, l’ACGF fait partie des centaines d’associations féminines et féministes conviées par Yvette Roudy pour élaborer le rapport préparatoire de la France pour cette deuxième conférence onusienne. En outre, deux représentantes de l’ACGF, Micheline Fontenas (co-présidente de l’ACGF à l’époque) et Françoise Ramond (secrétaire générale) se rendent au « Forum des ONG », qui se tient parallèlement à la conférence mondiale sur les femmes. Au cours de ce forum, les militantes de l’ACGF ont l’occasion de s’imprégner des thématiques des droits des femmes telles qu’elles sont définies par l’ONU et de renforcer leurs liens avec les autres organisations. Françoise Ramond, qui sera très active dans la campagne pour la parité dans les années 1990, décrit cette « expérience » de Nairobi comme « particulièrement bouleversante »2. Elle évoque sa « découverte » du monde des associations féminines et féministes et de la cause de la représentation politique des femmes.

« Q. Pouvez vous me parler un peu de cette période après 1985 ?

R. Il y a une chose qui a été tout à fait marquante, c’est ma participation au forum des OG pour la fin de la décennie de la femme à airobi.

Q. Donc en 85.

R. Oui, en 85. Donc au début.

Q. Pourquoi cela a-t-il été marquant ?

R. Parce j’ai rencontré des femmes de tous les continents, de tous les pays, puisqu’à ce moment il y avait 157 pays, et de s’apercevoir que les problèmes des femmes sont les mêmes… Les questions des femmes sont les mêmes, peut-être pas les problèmes. Dans tous les domaines

1

Ibid., p. 218.

2

F. RAMOND (1990), « Postface », in G. DITTGEN (dir.), De la ligue à l'ACGF (Tome 2), Paris, éditions ACGF, p. 236.

Chapitre 3 – Converger vers la parité…

de la vie. Elles ne les résolvent pas de la même façon, ils n’ont pas la même acuité, mais elles ont exactement le même type de questions.

Q. Et ce genre d’événement, est-ce que cela vous a encouragé à vous engager en faveur des droits des femmes ?

R. Oui, tout à fait ! Tout à fait. Et en particulier, c’est là que j’ai entendu parler des questions de femmes et de prise de décision. Il y avait des ateliers, en particulier anglo-saxons. Ça avait moins d’acuité en France. C’était déjà une question de l’OU…

Q. Est-ce que cela vous a permis de rencontrer d’autres militantes d’associations féminines ? R. Oui, bien entendu. Et c’est une question qui a été reprise par l’Union mondiale des organisations féminines catholiques parce que là aussi en tant que secrétaire générale de l’ACGF on participe à ces rencontres, et… Ça ça a été très intéressant de voir, effectivement, comment a été posée par des femmes d’autres pays cette question de l’accès des femmes à la prise de décision. » [Entretien avec Françoise Ramond, Epernon, 15 juillet 2003]

L’expérience singulière de Françoise Ramond, alors secrétaire générale de l’association, reflète probablement celle d’autres responsables de l’équipe nationale de l’ACGF, et permet de supposer que l’association s’inscrit de manière croissante dans les réseaux de l’espace de la cause des femmes au cours des années 1980, dans un contexte d’institutionnalisation de la question des droits des femmes au niveau national comme international.

2) L’UFCS : de l’engagement civique à la promotion des droits des