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Gisèle Halimi : un engagement ancien pour la « cause des femmes à l’Assemblée nationale »

Chapitre 3 Converger vers la parité : carrières individuelles et logiques des espaces

1) Gisèle Halimi : un engagement ancien pour la « cause des femmes à l’Assemblée nationale »

Née en Tunisie en 1927 dans une famille de cinq enfants, d’un père clerc dans un cabinet d’avocat et d’une mère au foyer, Gisèle Halimi2 raconte y avoir vécu une enfance « pauvre ». Fortement soutenue dans sa trajectoire scolaire par ses parents – qui reportent sur elle leurs espoirs d’ascension scolaire déçus par son frère aîné –, elle obtient une bourse pour le lycée et rejoint la métropole à 17 ans, où elle travaille pour financer ses études de droit. Entrée au barreau de Tunis en 1949, elle est pendant les premières années de sa carrière d’avocate commise d’office dans les tribunaux militaires, où elle défend les militants du mouvement nationaliste, ce qui lui offre l’occasion d’un premier croisement entre profession et engagement militant. Revenue à Paris dans la seconde moitié des années 1950 (elle est inscrite au barreau de Paris en 1956), elle poursuit son activité d’avocate en lien avec les guerres de décolonisation, en défendant notamment des militants du FLN algérien. Sa biographie officielle mentionne qu’elle a présidé la commission d’enquête du tribunal Russel sur les crimes de guerre américains au Viêt-nam (1967). Dans les années 1960, elle s’insère par ailleurs dans les réseaux politiques qui entourent François Mitterrand, notamment au sein du Mouvement démocratique féminin, où elle opère sa première socialisation féministe. Sa proximité à avec la nouvelle gauche lui vaut d’être candidate aux législatives à Paris pour la Convention des institutions républicaines en 1967, sans succès. Contrairement à d’autres militantes du MDF, comme Yvette Roudy, elle ne convertit pas ces ressources politiques accumulées dans les réseaux de François Mitterrand à l’intérieur du PS refondé à Épinay. En 1971 – elle est alors âgée de 44 ans –, elle rejoint les luttes pour la libéralisation de l’avortement qui sont portées, depuis la fin de l’année 1970, par quelques groupes de militantes féministes radicales issues des mouvements post-68.

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Les principales théoriciennes du féminisme radical de la seconde vague se rattachent à cette mouvance « anti-essentialiste » (Christine Delphy, Nicole-Claude Mathieu, Colette Guillaumin, Monique Wittig, etc.).

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Sources : G. HALIMI (1988), Le Lait de l'oranger, Paris, Gallimard ; HALIMI La cause des femmes ; G. HALIMI (1994), Une embellie perdue, Paris, Gallimard ; biographie de Gisèle Halimi sur le site de l’association Choisir : (www.choisirlacausedesfemmes.org/cvgh.htm).

Aux côtés de militantes du MLF et de personnalités féminines sympathisantes (comme Simone de Beauvoir), elle s’engage dans l’une des premières actions collectives en faveur de la libéralisation de l’avortement : la collecte de signatures pour la publication d’un manifeste de femmes célèbres et anonymes déclarant avoir avorté (le « Manifeste des 343 ») dans le ouvel Observateur en avril 19711. Grâce à son carnet d’adresse (elle est alors l’avocate de plusieurs personnalités du monde intellectuel et politique parisien, notamment des femmes célèbres comme Simone de Beauvoir et l’actrice Françoise Sagan), elle parvient à récolter des signatures prestigieuses. C’est initialement pour prendre en charge les risques juridiques potentiels encourus par les signataires du manifeste (en particulier les anonymes), qu’elle constitue en juillet de la même année (1971) l’association Choisir, pour laquelle elle obtient le soutien de personnalités intellectuelles et militantes comme Simone de Beauvoir, Christiane Rochefort (romancière et militante des premiers groupes du MLF), ainsi que l’académicien Jean Rostand et le prix Nobel de médecine Jacques Monod. En 1972, lors du procès très médiatisé dit « de Bobigny », elle défend Michèle Chevalier, une femme d’origine populaire jugée (en compagnie de trois autres femmes) pour avoir été complice de l’avortement de sa fille mineure, Marie-Claire. Ce procès, auquel elle s’efforce de donner une dimension éminemment « politique » (à la barre se succèdent nombre de personnalités politiques, scientifiques et littéraires, comme Michel Rocard, Françoise Fabian, Simone de Beauvoir, etc.), lui confère une importante notoriété médiatique. Elle devient alors, dans le champ politique conventionnel et dans les médias, l’une des emblèmes des luttes pour la libéralisation de l’avortement. Dès sa fondation, ne serait-ce que parce qu’il se dote des statuts d’une association loi 1901, Choisir incarne, parmi les mobilisations féministes de la seconde vague, un courant fustigé comme « réformiste » par la plupart des militantes du MLF. Cette dimension réformiste est d’ailleurs assumée par sa présidente qui raconte dans ses mémoires ses conflits avec les « gauchistes » du MLF, puis du MLAC et même du Planning.

Dans la seconde moitié des années 1970, alors que le vote de la loi Veil pousse l’association à redéfinir ses objectifs militants au-delà de la contraception et l’avortement, Choisir étend ses objectifs militants au « statut général de la femme dans la société ». Parmi les nouveaux axes prioritaires de l’association figure la question de l’accès des femmes à la représentation politique, à une période où cette cause n’est investie par aucune association féministe autonome. Cette préoccupation nouvelle se donne notamment à voir en 1978 lorsque Choisir présente « 100 femmes pour les femmes » aux législatives (cf. chapitre 2). Ayant maintenu, parallèlement à son engagement féministe, des liens avec le PS, Gisèle Halimi parvient – comme d’autres personnalités issues des nouveaux mouvements sociaux post-68 – à convertir sa légitimité associative et médiatique acquise en tant que présidente de

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« Un appel de 343 femmes », Le ouvel Observateur, 5 avril 1971.

Chapitre 3 – Converger vers la parité…

Choisir1 en ressource politique au PS à la fin des années 1970 : elle est parachutée candidate (contre la volonté des militants locaux) et élue députée apparentée socialiste dans l’Isère en 1981. En tant que députée, elle aura notamment l’occasion de faire valoir la cause de la représentation politique des femmes à l’Assemblée nationale, en faisant pression sur le groupe socialiste pour qu’il dépose un amendement imposant un quota sur les listes aux élections municipales – amendement annulé comme on l’a mentionné au chapitre précédent par une décision du Conseil constitutionnel. Son absence de légitimité et de discipline partisane contribue à la marginaliser au sein du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, et elle finit par démissionner de son mandat en octobre 1984. Monnayant sa démission anticipée, elle accède dans les années qui suivent, avec le soutien de François Mitterrand, à plusieurs postes prestigieux dans des organisations internationales, notamment à l’Unesco, puis à l’ONU2. À l’approche des élections législatives de 1986, elle poursuit ses mobilisations indissociablement pour la cause de la représentation politique des femmes et pour sa propre promotion politique. Dans l’« appel du 29 août » 1985, rédigé au nom de Choisir, elle tente, sans succès de convaincre les associations féministes et les femmes politiques à former des listes de femmes aux élections législatives de 1986.

Ainsi, en 1992-1993, l’investissement de Gisèle Halimi dans les luttes pour la parité prolonge un engagement de longue date en faveur de la cause de la représentation des femmes en politique, à l’extérieur des partis, et plusieurs tentatives de valorisation de son étiquette de porte-parole du féminisme dans le champ politique.