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Il convient d’introduire la discussion sur les problèmes que le personnel rencontre dans sa relation avec les bénéficiaires par deux remarques liminaires.

La première, banale, est que les services qui pratiquent les réunions, un suivi régulier etc. ont plus de choses à dire sur les problèmes rencontrés par leur personnel que les services qui suivent le leur de loin (notamment A, H et I). On confirme, deuxième remarque, qu’à travers des suivis réguliers, les directeurs se tiennent informés des conditions de travail des personnels.

Cela dit, les principaux problèmes rencontrés par le personnel portent sur : la susceptibilité des personnes âgées et handicapées, susceptibilité, voire l’ « obsession » ou la maniaquerie qui se traduit par un regard très sourcilleux et pointilleux sur les horaires, l’observance des retards, mais cette susceptibilité se porte aussi sur tout objet qui n’est pas à sa place, tout ce qui n’est pas réalisé comme il avait été prévu ou comme il avait été prescrit.

Le personnel auxiliaire de vie vit sur le mode de la « maltraitance » d’être instrumentalisé comme personnel de ménage. C’est, du point de vue de l’identité professionnelle, insupportable de se percevoir comme étant « la boniche de la personne », voire, pire encore, de se trouver instrumentalisé par les aidants familiaux et d’être à leur merci, de devoir leur faire à manger ou le ménage alors qu’ils ne sont pas les bénéficiaires.

Autre type de « maltraitance », quelques personnes disent avoir été victimes de harcèlement sexuel de la part notamment de personnes handicapées.

Autres types de problèmes, ceux qui ont un rapport avec le décalage qui existe entre la temporalité dans laquelle les personnes âgées et handicapées sont inscrites et celle dans lesquelles les professionnels sont inscrits. Bien souvent, lorsque le nombre d’heures est insuffisant, les professionnels sont amenés à travailler rapidement et donc à instrumentaliser malgré eux les personnes pour pouvoir terminer leur tâche et leur mission en temps et en heure. L’exemple fréquemment cité concerne le moment du repas où lorsque l’auxiliaire de vie sociale dispose d’une heure pour aider la personne à manger, alors qu’il lui faudrait une heure trente, voire deux heures. Autre exemple, fréquemment l’aide à la toilette est comptée pour un quart d’heure alors qu’il faudrait le double de temps etc.. Dans ces situations, les personnels ont conscience de la violence qu’ils

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infligent aux bénéficiaires, tout en semblant dire qu’il ne peut pas en être autrement étant donné les contraintes de temps dans lesquelles ils évoluent. D’autres types de problèmes portent sur la complexité de la psychologie des familles avec les personnes aidées, les personnes handicapées. Certains directeurs rapportent que les services et les personnels ont affaire à des familles qui cherchent à les prendre à partie contre une autre faction de la famille etc.. L’intervention au domicile devient un enjeu dans les relations familiales. Pour les professionnels, il y a une réelle difficulté à se tenir à l’extérieur de cette situation- là du fait de la permanence de l’intervention, du fait de l’impossibilité de se soustraire au mécanisme de fonctionnement psychologique du bénéficiaire. Dans ce cas, les instances de régulation sont extrêmement importantes pour les professionnels.

D’autres types de problèmes tiennent au mode mandataire. Il s’agit, du problème de la fin de contrat de travail lors du décès de la personne handicapée ou de la personne âgée. Le paiement du solde est toujours très compliqué. Il faut attendre la liquidation de la succession avant que celui-ci puisse être exécuté. Autre problème rencontré par les professionnels et que nous remontent les directeurs, concerne la dégradation des personnes accompagnées à qui le forfait d’aide n’a pas été réajusté en conséquence. Le personnel doit faire ce qu’il peut dans d’insuffisance du temps de prise en charge alloué. Il s’agit d’aller de plus en plus vite dans des situations qui nécessitent de plus en plus de temps.

Autre type de problème rencontré, celui concernant les préjugés. Les professionnels, très souvent immigrés du Maghreb ou de l’Afrique noire doivent faire face au racisme, aux préjugés religieux et ethniques. Mais plus largement, les professionnels ont affaire à certains types de préjugés véhiculés par les bénéficiaires du type : « celle-ci est trop grosse, celle-ci est trop grande, celle-ci est trop petite », etc.. Ces préjugés n’apparaissent pas en début d’intervention, ils surgissent plutôt. Les directeurs notent que ces préjugés apparaissent comme des symptômes de la dégradation de la relation. L’idée est, d’un coup, de stigmatiser le personnel pour pouvoir en changer, avec bien sûr l’utopie que le nouveau professionnel sera plus disponible, plus attentif que ne l’était le précédent.

Un autre problème soulevé porte sur la pénibilité du travail. Elle porte sur les actes quotidiens (aide à la toilette, repassage, cuisine…), mais aussi sur la relation ; sur le devoir d’être en relation avec des personnes avec lesquelles les personnels ne se sentent pas forcément en confiance.

Autres types de problèmes mentionnés, la peur de se faire voler ses affaires par la personne handicapée vieillissante ou par les enfants ou les aidants familiaux. Mais à l’inverse, lorsque le personnel est injustement suspecté de vol ou de la disparition de certaines de leurs affaires. Nombre de plaintes du personnel portent sur des relations de confiance déçues.

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Autre problème qui concerne la difficulté à faire face au comportement et à l’attente des bénéficiaires, notamment des personnes démentes ou des personnes très durement handicapées avec troubles du comportement. Difficile aussi de faire face aux abus de pouvoirs inconscients. Il y a une vraie difficulté à les dénoncer justement du fait de leur caractère inconscient, non intentionnellement dirigé vers le professionnel.

Autre problème, celui concernant la crainte d’être absorbée dans une confidentialité (questions relatives à la sexualité, aux thèmes de l’intimité, à la famille) dont le personnel ne pourrait se déprendre. Cette prise à partie sur l’ensemble de ces thèmes produit malaise et gêne chez les professionnels. Les directeurs concluent que finalement la structure du travail conduit à ces processus de fusion et en même temps de suspicion réciproque dans la relation entre les professionnels et les bénéficiaires.

Il reste primordial pour les directeurs que les professionnels puissent en parler, dans des lieux et des temps où ils puissent élaborer sur leur ressentiment à l’égard des bénéficiaires. Il s’agit bien d’avoir des espaces qui servent un temps d’exutoires, puis de lieux d’échanges entre professionnels. Les directeurs estiment que de parler des problèmes rencontrés avec les bénéficiaires est un signe de bonne santé psychique (celles qui en parlent resteraient plus longtemps dans l’emploi), et ils notent, par ailleurs, que, celles qui tentent de faire face à ces problèmes sans en parler finissent par quitter parfois l’organisation en claquant la porte avec une violence à la hauteur de celle qu’elles ont contrôlée pendant leur période d’intervention. Cette violence correspondrait à un ressentiment nourri à l’égard de l’organisation beaucoup plus qu’à l’égard du bénéficiaire.