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Si en neuropsychologie il est largement admis que divers types de dyslexie sont présents, il n’existe pas de réel consensus sur les causes sous-jacentes ; malgré qu’il soit relativement bien établi que l’origine en soit neuronale, différentes hypothèses existent, dont nous allons détailler les trois principales : l’hypothèse phonologique, l’hypothèse magnocellulaire et l’hypothèse cérébelleuse.

3.1. L’

HYPOTHESE PHONOLOGIQUE

La théorie phonologique repose sur l’observation récurrente de troubles phonologiques dans la dyslexie. Dans la majorité des cas en effet, les études montrent un trouble du traitement des sons du langage (Ramus et al., 2003 ; Snowling, 1981). La théorie phonologique propose donc que les dyslexiques présentent un défaut dans les représentations, le stockage ou la récupération des sons du langage. Ceci expliquerait les déficits présents en lecture, puisque l’apprentissage de la lecture nécessite d’apprendre les correspondances graphème-phonème, c’est-à-dire la correspondance entre les lettres écrites et les sons de la langue. Si la représentation, le stockage ou la récupération de ces sons est déficitaire, il apparaît évident que l’apprentissage des correspondances graphème-phonèmes, et donc l’apprentissage de la lecture, sera source de difficultés pour les enfants dyslexiques.

Chapitre 1E. Troubles du langage : le cas de la dyslexie développementale métaphonologiques (manipulation de phonèmes, fusion, inversion ou suppression) sont généralement retrouvées, reflétant un trouble de la conscience phonologique (Sprenger-Charolles et al., 2000 ; Sprenger-(Sprenger-Charolles, Siegel, Béchennec, & Serniclaes, 2003).

L’hypothèse du déficit phonologique comme cause sous-jacente à la dyslexie développementale est renforcée par la mise en évidence d’une forte corrélation entre apprentissage de la lecture et capacités métaphonologiques. Le déficit phonologique des dyslexiques se situerait dans les représentations phonémiques elles-mêmes. Ce trouble est principalement observé à travers les tâches de perception catégorielle, dans lesquelles l’enfant dyslexique doit catégoriser par exemple les syllabes /ba/ et /da/ le long d’un continuum entre les deux syllabes. Les dyslexiques auraient des difficultés pour réaliser cette tâche (Reed, 1989), et plus particulièrement pour des syllabes de la frontière intercatégorielle et s’opposant par leur lieu d’articulation (/ba/-/da/) ou par le voisement (/ba/-/pa/ ; Manis et al., 1997).

L’hypothèse phonologique est également étayée par des travaux anatomiques et par l’imagerie cérébrale fonctionnelle, ayant mis en évidence la présence d’anomalies dans les régions périsylviennes, siège du traitement des informations phonologiques (Galaburda et al., 1985 ; Paulesu, 1996, 2001 ; Temple, 2001).

3.2. L’

HYPOTHESE MAGNOCELLULAIRE

LA THEORIE DU DEFICIT DE TRAITEMENT TEMPOREL AUDITIF

Une seconde hypothèse postule que le trouble dyslexique provienne d’un déficit du traitement temporel rapide en perception auditive, qu’il s’agisse de stimuli langagiers ou non (Benasich & Tallal, 2002 ; Tallal, 1980 ; Tallal, 1999). La dyslexie résulterait donc d’un déficit de plus bas niveau. Selon Tallal (1980), il affecterait le traitement des sons brefs et des transitions temporelles rapides. Les difficultés des enfants dyslexiques proviendraient alors de leur incapacité à percevoir les variations rapides dans le signal de parole, et en particulier les transitions de formants d’une durée de quelques dizaines de millisecondes.

Afin de confirmer sa théorie Tallal compara 20 participants dyslexiques présentant des difficultés de lecture à 12 normo-lecteurs, sur une tâche reposant sur des jugements de similitude et d’ordre temporel entre deux stimuli non verbaux de 75ms de durée, différant par leur fréquence fondamentale et séparés par un intervalle inter-stimuli (ISI) de 428ms ; les mêmes paires étaient également présentées avec un ISI plus court, s’étendant de 8 à 305ms. L’auteur ne trouva aucune différence entre les deux groupes concernant la

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perception des ISI longs ; en revanche des différences très significatives apparaissaient pour des ISI courts, suggérant un déficit du traitement des stimuli brefs et à succession rapide.

Par conséquent, l’hypothèse du déficit de traitement auditif rapide ne renie pas la présence du déficit phonologique, mais le considère comme la conséquence d’un trouble de plus bas niveau affectant le traitement auditif de manière générale. Cette hypothèse est cependant encore largement débattue, car seule une partie de la population dyslexique (de 30 à 50%

selon les études) présente un déficit auditif général (Adlard & Hazan, 1998 ; Rosen &

Manganari, 2001). Par ailleurs, aucune étude utilisant les tâches de Tallal n’a permis de confirmer que le déficit des dyslexiques était limité aux stimuli acoustiques brefs (Marshall, Snowling, & Bailey, 2001 ; Nittrouer, 1999 ; Reed, 1989). Des difficultés ont notamment été démontrées dans d’autres tâches évaluant le traitement auditif, comme la détection de modulation d’amplitude (Menell, McAnally, & Stein, 1999) ou l’entraînement rythmique (Thomson & Goswami, 2008). Ainsi, même si un déficit de traitement auditif semble être présent chez certains dyslexiques, il ne semble pas restreint aux transitions temporelles rapides. Enfin, de nombreuses études ont échoué dans leur tentative de corroborer les hypothèses de Tallal (voir par exemple Ramus, 2003 ; Ramus et al., 2003).

LA THEORIE DU DEFICIT DE TRAITEMENT TEMPOREL VISUEL

La théorie visuelle considère qu’un trouble de la vision pourrait donner lieu aux difficultés de lecture retrouvées chez les dyslexiques. En effet, des données cliniques ont montré que la plupart des dyslexiques réalisent des confusions entre des lettres visuellement proches (b/d, p/q, m/n…). L’hypothèse ayant donné lieu au plus grand nombre de recherches dans le domaine visuel est celle d’un dysfonctionnement des voies visuelles magnocellulaires. Des données psychophysiques (Slaghuis & Ryan, 1999), électrophysiologiques (Livingstone, Rosen, Drislane, & Galaburda, 1991) ou anatomiques (Jenner, Rosen, & Galaburda, 1999) étayent cette théorie.

Entre la rétine et le cortex, deux voies acheminent l’information visuelle ; la dissociation des informations visuelles débute dès la rétine, mais est plus marquée à partir du noyau géniculé latéral du thalamus qui se compose de deux couches cellulaires bien distinctes : une couche ventrale (magnocellulaire), composée de grosses cellules, et une couche dorsale (parvocellulaire), composée de plus petites cellules. Le traitement des stimuli visuels brefs et à changement rapide serait effectué par la voie magnocellulaire, tandis que le traitement de l’information visuelle statique dépendrait de la voie parvocellulaire. Le système magnocellulaire, spécialisé dans le traitement des contrastes, serait donc plus sensible aux faibles contrastes. De nombreux travaux dans le domaine visuel attestent de la présence d’une plus faible sensibilité aux contrastes chez les dyslexiques, et ce particulièrement chez les dyslexiques atteints d’un trouble phonologique (Eden, VanMeter, Rumsey, & Zeffiro, 1996; Lovegrove et al., 1982 ; Lovegrove, Bowling, Badcock, & Blackwood, 1980). Pour confirmer cette hypothèse, Livingstone et al. (1991) ont mené des études

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électrophysiologiques et neuroanatomiques, montrant une altération de la composante magnocellulaire des voies visuelles, et une absence de réponses neuronales à des cibles à haute fréquence spatiale et faible contraste visuel chez des dyslexiques, tandis que les réponses étaient normales pour des cibles à plus fort contraste et plus faible fréquence spatiale. Dans la même étude, ils notent des anomalies au niveau des couches magnocellulaires du noyau géniculé latéral, avec une atrophie importante des neurones magnocellulaires. Un déficit du traitement de stimuli en mouvement a également été mis en évidence chez les dyslexiques (Cornelissen, Richardson, Mason, Fowler, & Stein, 1995), et confirmé grâce aux potentiels évoqués visuels et par IRMf (Eden et al., 1996 ; Schulte-Körne, Bartling, Deimel, & Remschmidt, 2004a, b).

LA THEORIE DUN TROUBLE MAGNOCELLULAIRE AMODAL

L’hypothèse d’une atteinte spécifique de la voie visuelle magnocellulaire a peu à peu évolué vers l’hypothèse d’un trouble amodal des systèmes magnocellulaires auditif et visuel. Selon les travaux de Stein (Stein, 2001 ; Stein & Walsh, 1997), les cellules magnocellulaires visuelles et auditives seraient altérées, causant un déficit du traitement de stimuli se succédant rapidement et peu contrastés. Un dysfonctionnement général des voies magnocellulaires serait donc à l’origine des déficits de traitement temporel rapide à la fois dans la modalité visuelle et la modalité auditive. Certains résultats neuro-anatomiques confirment cette théorie, puisque les dyslexiques présentent des différences morphologiques au niveau des cellules magnocellulaires du corps genouillé latéral intervenant dans le traitement visuel, et du corps genouillé médian, dédié au traitement des informations auditives (Galaburda & Livingstone, 1993).

3.3. L’

HYPOTHESE CEREBELLEUSE

L’hypothèse cérébelleuse s’appuie sur la constatation que l’apprentissage de la lecture est un processus d’automatisation des procédures, géré par le cervelet. Les dyslexiques éprouveraient des difficultés à automatiser les principales opérations mentales nécessaires à la lecture. De plus, le cervelet intervient également dans le contrôle moteur et l’articulation.

Or, si l’articulation est mal acquise, cela pourrait conduire à la mise en place de représentations phonologiques défaillantes. A l’appui de cette théorie, des recherches ont montré un déficit significatif chez les dyslexiques dans plusieurs tâches motrices : coordination motrice, équilibre, tonus musculaire (Fawcett & Nicolson, 1999) et automatisation des processus (Nicolson & Fawcett, 1990). Cette théorie est également étayée par des données en neuroimagerie, montrant un déficit d’activation du cervelet droit, relié aux aires frontales et à l’aire de Broca, dans des tâches motrices chez les dyslexiques (Nicolson et al., 1999) ou des anomalies anatomiques au niveau du cervelet (Eckert et al., 2003 ; Léonard et al., 2001).

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Cependant les signes cérébelleux ne sont pas toujours présents dans la dyslexie. La question se pose donc de comprendre l’importance des dysfonctionnements cérébelleux dans les symptômes dyslexiques. En effet, le système mnésique sous-tendant la mémoire procédurale n’est pas restreint au cervelet, mais implique un lien fonctionnel entre différentes structures corticales, sous-corticales et certaines aires du cervelet. Ainsi les déficits d’apprentissage procédural pourraient bien provenir d’un dysfonctionnement d’un réseau neuronal plus étendu.

3.4. C

ONCLUSION

Pour conclure, aucune des théories ne rend compte de la totalité des difficultés observées dans la dyslexie, même si le déficit phonologique semble en être une des causes principales.

Il se pourrait que la dyslexie soit en fait un trouble phonologique accompagné de troubles sensorimoteurs. Dans une récente étude, Ramus et al. (2003) ont évalué les trois principales théories (phonologique, magnocellulaire, cérébelleuse) à l’aide d’une batterie de tests chez 16 sujets dyslexiques adultes en comparaison avec 16 sujets normo-lecteurs. Les résultats ont montré que tous les 16 étudiants dyslexiques présentaient un trouble phonologique ; en revanche seulement 10 présentaient un trouble auditif, 4 un déficit moteur et 2 un trouble magnocellulaire visuel. Ces données montrent que le trouble phonologique, présent dans 100% de l’échantillon testé, peut apparaître seul et semble donc suffisant pour causer la dyslexie. Les autres difficultés (auditives, visuelles, motrices) pourraient constituer un facteur aggravant des troubles déjà présents.