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Les études menées en neuropsychologie ont mis l’accent sur l’hétérogénéité du trouble dyslexique ; on peut ainsi définir différents sous-types de dyslexie caractérisés par des patterns d’erreurs bien différenciés (Castle & Coltheart, 1993 ; Manis, Seidenberg, Doi, McBride-Chang, & Petersen, 1996 ; Valdois, 1996). Nous avons déjà décrit le modèle de la double voie de la lecture (voir partie B.1.3) ; ce modèle permet une interprétation des différents profils caractérisant les trois types de dyslexie développementale : la dyslexie phonologique, qui se caractérise par une atteinte de la voie phonologique ; la dyslexie de surface, caractérisée par un déficit de la voie lexicale ; et la dyslexie mixte, cumulant des déficits dans l’utilisation des deux voies.

2.1. D

YSLEXIE DEVELOPPEMENTALE PHONOLOGIQUE

La dyslexie phonologique (Farah, Stowe, & Levinson, 1996 ; Howard & Best, 1996 ; Sprenger-Charolles, Colé, Lacert, & Serniclaes, 2000) correspond à une atteinte de la voie phonologique, ou voie d’assemblage, provoquant des difficultés à effectuer la conversion graphème-phonème, tandis que la voie lexicale reste préservée. Ces enfants présentent ainsi

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des difficultés à lire et écrire les pseudomots et les mots peu familiers, tandis que la lecture de mots familiers, réguliers ou irréguliers, reste relativement préservée.

Concernant le pattern d’erreurs observées chez ces individus, on observe fréquemment des lexicalisations (par exemple, ‘boinde’ sera lu ‘blonde’), des paralexies phonémiques (production lors de la lecture d’un pseudomot d’un autre pseudomot par omission, substitution, inversion ou addition de phonèmes ; par exemple, ‘garpé’ sera lu ‘carpé’). Ces erreurs en lecture s’accompagnent fréquemment de troubles similaires en production écrite, avec des difficultés marquées en écriture de pseudomots, qui se traduisent également par des omissions, additions ou inversions de graphèmes, et des confusions phonologiques (sourde/sonore : /p/b/, /t/d, /f/v/ …). La production de mots se caractérise également par des formes écrites ne correspondant pas à la forme phonologique du mot, par exemple le mot ‘globule’ sera écrit ‘clobule’.

Ces difficultés résultent d’un déficit phonologique global, se manifestant dans des épreuves de répétition de pseudomots, de manipulation de phonèmes (Bruck & Treiman, 1990 ; Snowling, Goulandris, Bowlby, & Howell, 1986), ou de discrimination phonémique (Joanisse, Manis, Keating, & Seidenberg, 2000). Un déficit de mémoire verbale à court terme est également observé (Nelson & Warrington, 1980).

Castle et Coltheart (1993) ont évalué la prévalence de la dyslexie phonologique parmi une population de 53 enfants dyslexiques. Ils ont observé une dyslexique phonologique dans 15% des cas, leurs scores étant faibles en lecture de pseudomots et normaux en lecture de mots familiers ; de plus 72% des enfants présentaient des difficultés à la fois en lecture de pseudomots et de mots.

2.2. D

YSLEXIE DEVELOPPEMENTALE DE SURFACE

Ce type de dyslexie concernerait environ 15% des enfants dyslexiques (Castles & Coltheart 1993). En contraste avec la dyslexie phonologique, la dyslexie de surface correspond à un déficit dans l’utilisation de la voie lexicale, ou voie d’adressage (Sprenger-Charolles et al., 2000 ; Valdois, 1996). Ces enfants lisent préférentiellement par la voie d’assemblage, ce qui empêche une lecture automatique et fluide et provoque un déficit important des performances en lecture de mots irréguliers tandis que la lecture des mots réguliers et des pseudomots est relativement préservée. Le pattern d’erreurs consiste principalement en une régularisation des mots irréguliers due à l’utilisation des règles de conversion graphème-phonème (par exemple, le mot ‘femme’ sera lu /fem/), mais les erreurs comprennent également des paralexies visuelles (production d’un mot visuellement proche du mot cible, par exemple ‘lame’ sera lu ‘larme’). Les dyslexiques de surface possèdent un stock de représentations orthographiques pauvre. Ils rencontrent des difficultés lorsqu’ils doivent définir des mots homophones non homographes, attribuant à l’homophone le moins fréquent le sens de l’homophone le plus fréquent (par exemple, au mot ‘voie’ sera

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fréquemment attribué le sens du mot ‘voix’). Ils sont également en difficulté sur des tâches de décision lexicale incluant des pseudo-homophones (‘aricaut’, ‘jardain’), où leur jugement se base uniquement sur la prononciation et les fait accepter les pseudo-homophones comme de vrais mots.

La dyslexie de surface s’accompagne généralement d’une dysorthographie de surface, caractérisée par des difficultés à produire des mots irréguliers et complexes. Les erreurs sont généralement phonologiquement plausibles, mais ne tiennent pas compte des particularités orthographiques des mots (par exemple, ‘monsieur’ écrit ‘meussieu’).

2.3. D

YSLEXIE DEVELOPPEMENTALE MIXTE

Enfin la dyslexie mixte serait la conséquence d’une atteinte des deux voies de lecture : la voie lexicale et la voie phonologique. Par conséquent elle se caractérise par des difficultés en lecture et en écriture de mots réguliers, irréguliers, et de pseudomots et concernerait environ 70% des enfants dyslexiques (Castles & Coltheart, 1993).

2.4. L

A DYSLEXIE DEVELOPPEMENTALE CHEZ L

ADULTE

Comme nous l’avons mentionné, malgré qu’elle soit un trouble développemental, la dyslexie persiste à l’âge adulte. De nombreux travaux ont donc cherché à déterminer les capacités cognitives et de traitement du langage chez les dyslexiques adultes (Brunswick, McCrory, Price, Frith, & Frith, 1999 ; Downey, Snyder, & Hill, 2000 ; Finch, Nicolson, & Fawcett, 2002 ; Frauenheim, 1978 ; Pennington et al., 1986 ; Pennington, Van Orden, Smith, Green, & Haith, 1990; Reid, Szczerbinski, Iskierka-Kasperek, & Hansen, 2007 ; Robichon, Levrier, Farnarier, &

Habib, 2000 ; Stoodley, Harrisson, & Stein, 2006).

Frauenheim (1978), par exemple, a évalué les capacités en lecture, en orthographe et en arithmétique chez 40 adultes ayant été diagnostiqués dyslexiques pendant leur enfance, et a ainsi prouvé la persistance de leurs difficultés. De même, Pennington et al. (1986) montrent que des adultes dyslexiques produisent davantage d’erreurs de dictée que des normo-lecteurs. Le traitement phonologique est également toujours déficitaire à l’âge adulte ; Pennington et al. (1990) ont par exemple montré chez les dyslexiques adultes des scores réduits sur des tâches de conscience phonologique ainsi que sur les capacités de mémoire verbale à court terme.

Malgré la persistance de leur déficit, il est largement admis que les dyslexiques mettent généralement en place des stratégies compensatoires (Kershner & Micallef, 1992 ; McNulty, 2003 ; Pugh et al., 2000 ; Shaywitz et al., 2003). Shaywitz et al. (2003), par exemple, ont testé par IRMf un groupe de dyslexiques ayant bien compensé leur trouble, un groupe de dyslexiques ayant peu compensé, et un groupe de normo-lecteurs, sur une tâche de lecture de mots et de pseudomots. Ils ont montré que les dyslexiques ayant bien compensé sont

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précis mais restent lents dans leur lecture ; ils ont également observé lors de la tâche de lecture une hypo-activation modérée au niveau des zones impliquées dans la lecture, comme les régions pariéto-temporales et occipito-temporales. Inversement, les dyslexiques ayant moins bien compensé, qui montrent une précision plus faible et une vitesse plus lente dans leur lecture, engagent durant la lecture un réseau neuronal tout à fait différent de celui des normo-lecteurs et des dyslexiques ayant bien compensé, se basant davantage sur les réseaux impliqués dans la mémoire.

Des enquêtes psychosociales ont également été menées afin d’évaluer l’impact de leur trouble sur le quotidien des adultes dyslexiques. Par exemple, Undheim (2003) a réalisé des questionnaires, des tests, et des entretiens personnels avec des adultes dyslexiques. Elle démontre que les dyslexiques ont généralement un niveau éducatif ainsi qu’une satisfaction de vie plus faibles que les normo-lecteurs. De manière générale, ces enquêtes mettent l’accent sur une estime de soi altérée chez les dyslexiques, ce qui peut compliquer leurs relations sociales. Une prise en charge orthophonique et psychothérapique le plus tôt possible semble donc appropriée.