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B. L ES AIRES DU LANGAGE : NEUROBIOLOGIE DE LA PERCEPTION DE LA PAROLE

2. L ANGAGE ET LATERALISATION HEMISPHERIQUE

2.3. F ACTEURS INFLUENÇANT L ’ ASYMETRIE DES AIRES DU LANGAGE

PREFERENCE MANUELLE

Comme nous l’avons évoqué précédemment, parmi les facteurs influençant la latéralisation hémisphérique du langage, la latéralité manuelle est certainement le plus étudié et son implication est clairement établie. La latéralité manuelle prédit la latéralité du langage chez 95% des droitiers (Pujol et al., 1999 ; Rasmussen & Milner, 1977). Par exemple, Pujol et al.

(1999) ont réalisé une étude en IRMf chez 100 participants sains, dont 50% de droitiers et 50% de gauchers. En évaluant l’activité du cortex frontal pendant une tâche de génération silencieuse de mots, ils ont ainsi montré que 96% des droitiers sont latéralisés à gauche ; chez les gauchers, 76% sont latéralisés à gauche, et parmi ceux ne montrant pas de latéralisation gauche, 14% présentent une symétrie, et 10% une latéralisation droite.

EFFET DU GENRE

L’effet du genre sur la latéralisation du langage a également été étudié de longue date, bien qu’encore assez mal caractérisé. Les données semblent prouver une latéralisation à gauche légèrement plus importante chez les hommes que chez les femmes (Beaton, 1997 ; Blanton et al., 2004). Ce résultat semble être confirmé par des études en écoute dichotique montrant chez les droitiers un REA plus important chez les hommes que chez les femmes (Voyer, 2011 ; Wadnerkar, Whiteside, & Cowell, 2008). Par ailleurs, cette différence de genre serait hormone-dépendante (Cowell, Ledger, Wadnerkar, Skilling, & Whiteside, 2011).

L’effet du genre sur la latéralisation du langage est cependant loin de faire l’unanimité, de nombreuses études ayant échoué à démontrer une telle différence (Buckner, Raichle, &

Petersen, 1995 ; Dos Santos Sequeira et al., 2006 ; Frost et al., 1999 ; Kertesz & Benke, 1989), ou montrant une différence inverse (Obleser, Eulitz, Lahiri, & Elbert, 2001).

EFFET DE LAGE

Les données concernant l’effet de l’âge sur la latéralisation du langage sont peu consistantes ; Leneberg (1967) propose que l’asymétrie hémisphérique pour les fonctions du langage n’apparaisse que vers l’âge de deux ans, pour se développer jusqu’à la puberté. En réalité, les travaux plus récents ne montrent pas d’effet très clair de l’âge sur la latéralisation hémisphérique du langage, ce qui suggère plutôt qu’elle soit présente dès le plus jeune âge

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(Preis, Jancke, Schmitz-Hillebrecht, & Steinmetz, 1999). Amunts et al. (2003) ont par exemple mesuré l’asymétrie cytoarchitectonique des aires 44 et 45 de l’aire de Broca dans 34 cerveaux âgés de 3.4 mois à 85 ans. Ils montrent d’une part que l’asymétrie gauche est déjà présente chez l’enfant de 1 an, mais aussi qu’elle tend à augmenter avec l’âge pour arriver à sa maturation à 5 ans pour l’aire 45 et 11 ans pour l’aire 44.

Des données en IRMf acquises chez des enfants de 6 à 8 ans suggèrent également la présence d’une forte latéralisation gauche de l’aire de Wernicke et des régions frontales médianes (Gaillard, Balsamo, Ibrahim, Sachs, & Xu, 2003 ; voir aussi Ahmad, Balsamo, Sachs, Xu, & Gaillard, 2003). Concernant la matière blanche, une étude sur l’asymétrie du faisceau arqué chez des participants droitiers de 5 à 30 ans met en évidence là encore une asymétrie présente dès l’âge de 5 ans, sans effet significatif de l’âge (Lebel & Beaulieu, 2009). Enfin, les résultats d’une étude réalisée sur des nouveau-nés prématurés montrent une latéralisation gauche des parties postérieures du faisceau longitudinal supérieur, suggérant ainsi une latéralisation des réseaux langagiers présente avant toute exposition au langage (Liu et al., 2010).

Chez l’adulte, des données en IRMf suggèrent que la latéralisation des fonctions langagières diminuerait au cours du vieillissement (Szaflarski, Holland, Schmithorst, & Byars, 2000 ; voir aussi Springer et al., 1999). Bellis, Nicol, et Kraus (2000) montrent également par électrophysiologie une réduction de l’asymétrie hémisphérique gauche pour la perception de syllabes chez des sujets âgés de plus de 55 ans, associée à des capacités de discrimination plus faibles.

La latéralisation gauche des aires du langage serait donc mise en place dès les premiers stades du développement, et se poursuivrait jusqu’à l’âge adulte pour décliner progressivement au cours du vieillissement.

VARIATIONS DE LA MORPHOLOGIE DU CORPS CALLEUX

La constatation de la présence d’une asymétrie morphologique et fonctionnelle au niveau des aires du langage a poussé les chercheurs à évaluer l’implication du corps calleux dans le développement de cette asymétrie. En effet le corps calleux est la principale voie de communication et d’intégration inter-hémisphérique ; il s’agit d’une masse de 200 millions de fibres de matière blanches reliant les deux hémisphères entre eux. Il se compose de cinq parties, d’avant en arrière : le rostrum, le genou, le tronc, l’isthme et le splenium (Figure 1.15).

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Figure 1.15. Morphologie du corps calleux. Tiré de Westerhausen et Hugdahl, 2008.

La relation entre le corps calleux et la latéralisation du langage a été pour la première fois évoquée par Witelson (1985), dont les résultats ont démontré que le corps calleux était significativement plus développé chez les gauchers. Les travaux ultérieurs sont plutôt contrastés (voir Beaton et al., 1997 ; Westerhausen & Hugdahl, 2008 pour revue) : certains montrent une corrélation négative entre latéralisation du langage et taille du corps calleux au niveau de ses régions postérieures (Aboitiz, Scheibel, & Zaidel, 1992), antérieures (Clarke, Lufkin, & Zaidel, 1993), ou les deux (Gootjes et al., 2006).

Des relations entre la morphologie du corps calleux et le genre ou la latéralité manuelle ont par ailleurs également été suggérées (Clarke & Zaidel, 1994 ; Habib et al., 1991 ; Holloway, Anderson, Defendini, & Harper, 1993). Ainsi, Moffat, Hampson, et Lee (1998) ont montré que des sujets gauchers avec une latéralisation du langage à gauche possédaient un corps calleux significativement plus large que des sujets gauchers avec les fonctions du langage latéralisées à droite ou des sujets droitiers, suggérant une augmentation de la communication inter-hémisphérique lorsque l’asymétrie du langage et la latéralité manuelle sont opposées. Là encore, des données contradictoires ont cependant été obtenues (Morton

& Rafto, 2006).

Pour conclure cette partie, le traitement du langage implique un réseau neuronal largement distribué au sein du cortex cérébral ; ce réseau s’organiserait autour de pôles principaux : les aires temporales supérieures et médianes, où se produirait le décodage du signal de parole en ses composantes acoustiques, phonologiques, lexicales et sémantiques ; les aires frontales inférieures, lieu de stockage des représentations phonologiques et articulatoires.

Ces deux régions interagiraient entre elles via le faisceau arqué et interagiraient avec un

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réseau d’aires largement distribuées, dont les aires frontales médianes et supérieures, les aires pariétales, les aires motrices et pré-motrices, le cervelet et le gyrus temporal inférieur.

Une caractéristique bien établie de ce réseau est sa latéralisation gauche, tant anatomique que fonctionnelle, très consistante chez les sujets droitiers et plus variable chez les gauchers.

Néanmoins, une implication de l’hémisphère droit dans certains processus liés au traitement du langage a également été trouvée.

Après avoir décrit les réseaux neuronaux impliqués dans la perception du langage écrit et oral, nous allons dans la partie suivante nous intéresser plus spécifiquement à la perception du langage oral en décrivant les modèles psycholinguistiques de la perception de la parole.

Chapitre 1C. Les modèles psycholinguistiques de la perception de la parole