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4. L ES BASES NEUROBIOLOGIQUES DE LA DYSLEXIE

4.2. D ONNEES ANATOMIQUES E TUDES POST - MORTEM

Les travaux de référence dans le domaine de l’anatomie cérébrale chez les dyslexiques sont ceux de Galaburda et de ses collaborateurs, qui ont réalisé une série d’études post-mortem sur des cas diagnostiqués dyslexiques (Galaburda et al., 1985 ; Galaburda et al., 1994 ; Galaburda & Livingstone, 1993 ; Humphreys, Kaufmann, & Galaburda, 1990). De manière générale ces études suggèrent la présence d’anomalies anatomiques dans le cerveau dyslexique, dont la présence d’ectopies (petites masses de neurones ayant une localisation anormale) et de dysplasies (organisation anarchique au sein des couches cellulaires). Ces anomalies diffèrent en nombre selon les cerveaux et, de manière importante, semblent inclure les aires du langage péri-sylviennes, avec une prédominance dans l’hémisphère gauche (voir Figure 1.18). Elles affectent également les voies magnocellulaires auditive et visuelle, avec une désorganisation de la couche magnocellulaire du noyau géniculé latéral ; les corps cellulaires des neurones magnocellulaires sont par ailleurs plus petits et possèdent une forme plus variable chez les dyslexiques (Galaburda & Livingstone, 1993 ; Livingstone et al., 1991). De même, dans le système auditif, Galaburda et al. (1994) trouvent des neurones magnocellulaires au niveau du noyau géniculé médian plus petits du côté gauche que du côté droit, alors qu’aucune asymétrie n’était visible dans les cerveaux contrôles. En revanche, aucune différence n’était observée dans les couches parvocellulaires.

Un autre élément important est l’observation d’une modification du pattern d’asymétrie hémisphérique du planum temporale. Le planum temporale coïncide à gauche avec une partie de l’aire de Wernicke, impliquée dans la compréhension du langage. Chez l’adulte sain, cette aire présente une asymétrie en faveur de la gauche dans 73.5% des cas, et est considérée comme un facteur important de la latéralisation gauche du langage. Or, dans les 5 cas dyslexiques observés par Galaburda, aucun ne présentait cette asymétrie gauche, mais plutôt une symétrie résultant d’un élargissement du planum temporale droit.

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Figure 1.18. Anomalies trouvées dans un cerveau dyslexique. Cercles : ectopies et dysplasies ; w : verrues corticales ; PT : planum temporale ; H : gyrus de Heschl. L : gauche ; R : droite. Tiré de Galaburda et al. (1985).

Ces anomalies neuro-anatomiques pourraient refléter une altération de la migration et de la maturation neuronale, pouvant au final perturber la connectivité cortico-corticale. Cette migration anormale pourrait découler de mutations présentes dans les gènes décrits dans la partie précédente, comme les gènes DYX1C1, KIAA0319, DCDC2 et ROBO1 (Galaburda, Lo Turco, Ramus, Fitch, & Rosen, 2006). Cependant certaines considérations méthodologiques peuvent remettre en cause l’interprétation de ces données : la plupart des sujets avaient un historique de comorbidité ou de traumatisme crânien. Une autre critique ayant été avancée vis-à-vis de ces résultats est la conservation à longue durée de ces cerveaux, et le faible nombre de cas étudiés.

Nous allons donc détailler dans la partie suivante les données neuro-anatomiques acquises grâce à l’IRM anatomique, aux techniques de VBM et de DTI.

MATIERE GRISE : ETUDES EN NEUROIMAGERIE

Les études en neuroimagerie anatomique ont partiellement confirmé les résultats obtenus par Galaburda, en montrant des altérations locales de la matière grise dans certaines régions cérébrales, et notamment dans les structures périsylviennes.

Chapitre 1E. Troubles du langage : le cas de la dyslexie développementale travaux de Larsen à une augmentation de taille du côté droit, et dans les travaux de Hynd, à une réduction de la taille du planum temporale gauche. D’autres études plus récentes n’ont cependant pas réussi à répliquer ces résultats (Best & Demb, 1999 ; Heiervang et al., 2000 ; Léonard et al., 1993 ; Robichon, Levrier, Farnarier, & Habib, 2000). Par exemple, Léonard et al. (1993, 2001) montrent une asymétrie gauche exagérée au niveau du planum temporale.

Brambati et al. (2004) montrent par VBM une diminution de la densité de matière grise dans le planum temporale, mais de manière bilatérale.

Ces données sont confirmées par les données de Steinbrick et al. (2008) montrant une réduction de la densité de matière grise au niveau du STG bilatéral (aire 22) ; Silani et al.

(2005) ont également observé chez des dyslexiques une réduction locale de la matière grise au niveau du MTG gauche, accompagnée d’une augmentation de matière grise postérieurement à cette région. Ils ont également montré que cette augmentation de matière grise était négativement corrélée avec les scores en lecture. Pour ces auteurs, l’augmentation locale de densité de matière grise serait le reflet des ectopies observées par Galaburda ; ils concluent également que plus la pathologie microscopique est sévère plus les déficits comportementaux sont plus importants.

GYRUS FRONTAL INFERIEUR (IFG)

Un défaut d’asymétrie anatomique a également été retrouvé au niveau de l’IFG. Robichon et al. (2000) ont par exemple montré une prévalence droite de l’aire de Broca plus importante chez des participants dyslexiques que chez des normo-lecteurs. Cette aire possède une connexion privilégiée avec le STG, et cette connexion est probablement critique pour le développement du langage (Hickock, Buchsbaum, Humphries, & Muftuler, 2003). Il pourrait donc exister un lien entre l’asymétrie anormale de l’aire de Broca et les troubles phonologiques chez les dyslexiques. En VBM, Brown et al. (2001) ont montré une diminution de la densité de matière grise au niveau de l’IFG gauche, en accord avec les résultats des travaux de Robichon. Eckert et al. (2003, 2005) ont également montré chez des enfants dyslexiques des différences anatomiques au niveau de la pars triangularis (BA 45), des mesures manuelles montrant une diminution de la taille de cette région (Eckert et al., 2003), tandis que la VBM montrait une réduction bilatérale de la densité de matière grise (Eckert et al., 2005). Une corrélation positive entre la taille de cette région et les performances comportementales sur une tâche de dénomination rapide était également présente.

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LOBULE PARIETAL INFERIEUR

Certains travaux ont également mis en lumière des différences morphologiques au niveau des régions temporo-pariétales, notamment au niveau du planum parietale (Leonard et al., 2001 ; Robichon, Levrier, et al., 2000). Le planum parietale fait partie du gyrus supramarginal, région impliquée dans le traitement du langage, et plus particulièrement dans la mémoire de travail phonologique (Thierry, Boulanouar, Kherif, Ranjeva, & Démonet, 1999), et l’appariement entre les représentations phonologiques et orthographiques (Chen, Fu, Iversen, Smith, & Matthews, 2002). Léonard et al. (2001) et Robichon et al. (2000) ont trouvé chez des étudiants dyslexiques une asymétrie gauche exagérée au niveau du planum parietale ; par ailleurs dans l’étude de Robichon et al. (2000), une corrélation significative entre l’asymétrie du planum parietale et les performances dans une tâche de dictée de non-mots était remarquée.

Il semble donc que les dyslexiques présentent des différences morphologiques au niveau du gyrus pariétal ; ces différences anatomiques sont probablement critiques pour expliquer les causes sous-jacentes de la dyslexie puisque cette région cérébrale est impliquée dans le traitement phonologique, et plus particulièrement dans la conversion graphème-phonème, déficitaire chez les dyslexiques.

CERVELET

Enfin des anomalies de l’asymétrie ont également été observées au niveau du cervelet, plus particulièrement dans ses régions antérieures. Le cervelet possède des connexions avec l’IFG, le sulcus temporal supérieur et des régions associatives pariétales et postérieures (voir Middleton & Strick, 1998 pour revue). Un éventuel dysfonctionnement cérébelleux est à l’origine d’une des principales hypothèses explicatives de la dyslexie, et cette hypothèse semble être confirmée par des données neuroanatomiques, mettant en évidence des anomalies structurelles au niveau du cervelet. Rae et al. (2002) et Eckert et al. (2003) montrent par exemple une réduction de l’asymétrie droite du cervelet chez les dyslexiques, ceci étant dû à une réduction du volume de matière grise du côté droit. Plus l’asymétrie cérébelleuse était réduite, plus le déficit phonologique était important (Rae et al., 2002).

Plus récemment, Kronbichler et al. (2008) ont également trouvé des réductions de matière grise dans le cervelet antérieur, mais de manière bilatérale, le volume de matière grise dans cette région étant corrélé avec les performances en lecture, en dictée, et en dénomination de chiffres. Ceci suggère donc une implication des anomalies cérébelleuses dans les déficits comportementaux associés à la dyslexie.

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CONCLUSION

Pour conclure, l’ensemble des travaux ayant évalué les anomalies morphologiques dans la dyslexie confirment la nature neuroanatomique de ce syndrome en mettant en évidence des réductions des volumes de matière grise et des défauts d’asymétrie dans une variété de régions liées au traitement du langage, dont principalement le STG, l’IFG, le planum parietale et le cervelet. Ceci suggère que les déficits comportementaux pourraient découler d’anomalies morphologiques au niveau cortical. Cette hypothèse est par ailleurs confirmée par la présence de corrélations significatives entre les volumes de matière grise et les performances comportementales sur des tâches de lecture, de traitement phonologique ou de dénomination rapide.

Un autre aspect des études anatomiques consiste à évaluer si ces différences de matière grise s’associent à des altérations au niveau des fibres nerveuses connectant les neurones entre eux. Dans la suite de cette partie, nous allons par conséquent nous intéresser aux anomalies de la matière blanche, reflet de la connectivité cortico- corticale.

MATIERE BLANCHE

CONNECTIVITE INTER-HEMISPHERIQUE : LE CORPS CALLEUX

L’observation de défauts d’asymétrie anatomique et fonctionnelle (que nous détaillerons dans la partie suivante) a poussé les chercheurs à émettre l’hypothèse d’une implication du corps calleux dans le trouble dyslexique, le corps calleux étant la principale voie permettant l’intégration et la communication entre les deux hémisphères.

L’hypothèse sous-jacente serait que les réductions d’asymétrie observées dans la dyslexie pourraient résulter de perturbations de la connectivité inter-hémisphérique. Ces études se sont donc attachées à comparer la taille et la morphologie du corps calleux entre participants dyslexiques et normo-lecteurs. Les résultats sont cependant contrastés : Rumsey et al. (1996) ont trouvé chez les dyslexiques un élargissement du segment postérieur (correspondant à peu près à l’isthme et au splenium). Hynd et al. (1995), eux, ont montré chez des enfants dyslexiques un rétrécissement du genou, corrélé aux performances en lecture. Des altérations de la morphologie du corps calleux ont également été observées par Robichon et Habib (1998) chez des dyslexiques adultes, sous la forme d’un élargissement du volume total du corps calleux, en particulier au niveau de l’isthme, ainsi que d’une courbure plus accentuée chez les dyslexiques, ces résultats étant en accord avec ceux de von Plessen et al. (2002) montrant une forme anormale de l’isthme.

Pour résumer, la plupart des études sur le corps calleux chez les dyslexiques montrent des anomalies au niveau du splenium et de l’isthme. L’isthme contient les fibres des régions temporales supérieures et pariétales postérieures, tandis que le splenium contient les fibres connectant le cortex occipital dont la jonction temporo-pariéto-occipitale incluant le planum

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temporale. Ces segments contiennent donc les fibres reliant les différentes aires du langage de chaque hémisphère entre elles.

CONNECTIVITE INTRA-HEMISPHERIQUE

La DTI permet d’explorer la matière blanche, en mesurant l’anisotropie fractionnelle, reflet de la microstructure des faisceaux de matière blanche. Cette technique relativement récente a été utilisée pour évaluer la connectivité anatomique dans la dyslexie. Etant donné l’importance des régions frontales et temporales situées dans l’hémisphère gauche dans les processus de lecture et de perception de la parole ainsi que les anomalies morphologiques et fonctionnelles qui y ont été observées, il a été proposé que des anomalies de la matière blanche soient présentes chez les dyslexiques, au niveau du faisceau longitudinal supérieur reliant les composantes antérieures et postérieures des aires du langage. Cette hypothèse est partiellement corroborée par les données de Klingberg et al. (2000) montrant chez des dyslexiques une diminution de l’anisotropie fractionnelle (FA) dans les régions temporo-pariétales bilatérales, le long de l’axe antérieur-postérieur, dont la corona radiata supérieure. Cette réduction de FA était par ailleurs corrélée de manière significative avec les performances en lecture; ce résultat a été confirmé par la suite (Beaulieu et al., 2005 ; Deutsch et al., 2005 ; Niogi et al., 2006). En plus des régions temporo-pariétales, Richards et al. (2008) ont également observé des différences de diffusivité entre adultes dyslexiques et normo-lecteurs dans plusieurs régions liées au traitement du langage, comme les régions temporales (gyrus fusiforme et région temporale inférieure), les régions frontales (IFG bilatéral, gyrus frontal supérieur et médian droit), et des régions occipitales. En 2008, Steinbrick et al., en réalisant une étude en VBM conjointement avec la DTI (Figure 1.19), confirment la réduction de FA dans les régions temporo-pariétales gauches et fronto-temporales bilatérales (faisceau longitudinal inférieur et supérieur). Cette réduction était de plus associée à des réductions de volumes de matière grise dans les zones temporales supérieures, et corrélée aux vitesses de lecture de pseudomots. Ils en concluent que la vitesse de transfert de l’information est réduite chez les dyslexiques, et que la communication entre les régions cérébrales impliquées dans la lecture serait par conséquent plus lente et moins efficace.

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Figure 1.19. Altérations de la matière blanche mesurée en DTI et de la matière grise mesurée par VBM observées chez les dyslexiques. Gauche : réduction de FA dans les régions temporales, frontales et pariétales. Milieu : réduction de la diffusivité moyenne mesurée par DTI dans les régions frontales et temporales. Droite : réduction de la densité de matière grise dans les régions temporales. Tiré de Steinbrick et al. (2008).

Enfin des données longitudinales montrent que des enfants ayant une plus forte FA au niveau du faisceau longitudinal supérieur droit (incluant le faisceau arqué) obtiennent une amélioration plus importante sur des tests de lecture 2.5 ans après leur première évaluation.

Cette région semble donc être importante dans le processus de compensation chez les dyslexiques (Hoeft et al., 2011).

CONCLUSION :ALTERATIONS MORPHOLOGIQUES DANS LE CERVEAU DYSLEXIQUE

Pour conclure sur les altérations anatomiques, il semblerait que la dyslexie résulte d’une pathologie corticale diffuse incluant diverses régions liées au traitement du langage écrit et oral. Ces régions incluraient principalement le STG et l’IFG, impliqués dans le traitement phonologique, ainsi que le planum temporale, le planum parietale et le gyrus supramarginal, faisant partie de l’aire de Wernicke et siège potentiel des appariements entre représentations orthographiques et phonologiques. Ces altérations anatomiques s’accompagneraient d’anomalies affectant également les fibres nerveuses intra- et inter-hémisphériques, limitant probablement le transfert d’information et la communication entre ces différentes aires cérébrales.

Nous allons désormais nous intéresser aux travaux d’imagerie fonctionnelle, afin de mesurer l’impact de ces modifications neuroanatomiques sur l’activité fonctionnelle, et donc sur les performances comportementales.

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