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L A PRATIQUE DU JEU VIDEO : DES DIVISIONS SEXUELLES DANS UN UNIVERS

Deuxième partie : Comment pense-t-on le jeu vidéo ?

7. L A PRATIQUE DU JEU VIDEO : DES DIVISIONS SEXUELLES DANS UN UNIVERS

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DISTINGUE

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Comme pour d’autres loisirs, on trouve dans la littérature des analyses quantitatives du jeu vidéo qui cherchent à identifier les joueurs, leurs profils et leurs caractéristiques en termes d’âge, de sexe, de milieu social. Cette approche pose cependant un certain nombre de difficultés dont la principale reste toujours celle de la définition même du terme jeu vidéo. En effet, en regroupant sous le terme des pratiques et des objets divers, il y a toujours le risque de constituer un « modèle artificiel. En amalgamant par exemple la pratique très occasionnelle d'une lycéenne issue d'un milieu aisé qui fera un puzzle sur son portable entre deux messages adressés à ses copines à celle d'un adolescent de milieu populaire en voie de déscolarisation qui passe dix heures par jour à jouer à un jeu de course automobile seul sur sa console, on fait l'inverse de ce qu'il faudrait faire dans une perspective sociologique. On forge ainsi des "moyennes" politiquement et culturellement correctes dont les industriels du multimédia sont les premiers à se satisfaire »1.

Plus encore, la rapidité des évolutions technologiques rendent certains résultats rapidement obsolètes. Le marché du jeu vidéo se renouvelle sur un cycle de 5 ans, intervalle qui se termine par l’arrivée de consoles de jeux dites « de nouvelles générations »2. Des études construisent par ailleurs le plus souvent leurs estimations sur la base des ventes de jeux ou de matériel de jeu vendus dans le commerce. Or, tout un ensemble de produits et de pratiques composant les jeux vidéo est « invisible ». D’une part, il y a les jeux gratuits sur Internet ou les jeux intégrés à une machine (le jeu du démineur et de la dame de pique fourni avec le

système d’exploitation Windows, par exemple). D’autre part, les consommations

« clandestines », telles que le téléchargement, la copie ou le piratage sont par définition « cachées » et donc difficilement quantifiables. Enfin, si la pratique des jeux vidéo concerne toutes les tranches d’âge, et reste particulièrement forte pour les 8-193, les sondages et les enquêtes réalisés concernent souvent les adolescents et les adultes (15 et ans et plus). On ne sait en conséquence que peu de choses sur les jeunes joueurs, sinon ce que les parents en disent4. Pour toutes ces raisons, les moyennes d’âge et de temps de jeu proposées par certaines études sur « le jeu vidéo » en général peuvent parfois apparaître comme artificielles ou du moins peu éclairantes.

Cependant, tout un ensemble d’études, souvent anglo-saxonnes, permettent de baliser ce loisir et de repérer clairement des « significations distributionnelles »5, autrement dit des divisions des publics et des pratiques sur certains titres, ou genres de jeu (notamment dans le domaine des MMO) selon un ensemble de variables sociales et culturelles dont au premier plan apparaît nettement le sexe et le milieu social. Avec toutes les prudences requises quant à la fiabilité des chiffres fournis par différentes études, regardons quelques éléments concernant la pratique vidéoludique sur lesquels la littérature semble s’accorder.

1 « Les jeux vidéos jouent un rôle de normalisation », entretien [en ligne] avec Laurent Trémel. Disponible sur : <http://index.atelier.fr/_actualites/statistiques/succes/modele.html>

2 Cf. Stephen Kline, Nick Dyer-Whiteford, Greig de Peuter, Digital Play, op. cit.

3 Etude de la SOFRES 2007, « le marché du jeu vidéo jeu en 2007 ».

4 Ainsi Laurent Trémel remarque, à propos des données fournies par le syndicat des éditeurs de jeu en Amérique du Nord,

L’Electronique Software Association, qu’elles fixent à 39 ans l’âge moyen des joueurs de jeu vidéo : « Au niveau statistique, de telles « moyennes » sont souvent obtenues en « sondant » des panels de « répondants » âgés de 16 ans et plus, excluant donc d’emblée les plus jeunes et les critères retenus pour identifier les « joueurs » sont peu discriminants […] Dans d’autres enquêtes, où l’on affirme cette fois-ci s’intéresser aux pratiques des « plus jeunes », ce sont en fait toujours des répondants de plus de 16 ans qui sont sondés, mais on leur demande de décrire comment les autres membres du foyer « jouent aux jeux vidéo ». En pratique, ce sont donc fréquemment les parents qui sont amenés à « évaluer » la façon dont leurs enfants jouent aux jeux vidéo. Or, ce ne sont pas forcément les mieux placés, notamment lorsqu’il s’agit de savoir ce que font des adolescents... » Entretien avec Laurent Trémel sur le site Easy Bourse : http://www.easybourse.com/bourse/interview/laurent-tremel-musee-national-de-l-education-inrp-rouen-1284

Division sexuelle de la pratique vidéoludique

A l'origine peu présentes ou peu considérées dans les études1, les joueuses intéressent aujourd'hui aussi bien les chercheurs que les industriels. On constate en effet depuis une dizaine d'années un accroissement des pratiques féminines. Selon plusieurs études, près 40% des joueurs de jeu vidéo en Europe seraient du sexe féminin, et représenteraient en France plus d’un tiers des joueurs de 15 ans et plus2. Celles-ci se distingueraient cependant par leur comportement : plus « modérées » que les hommes, elles jouent moins et tendent à être des « casual gamers », des joueuses occasionnelles, s'investissant moins que le public masculin dans la pratique vidéoludique. Le monde des « hard gamers », des « gros joueurs » (plus de 15 heures par semaine), reste en effet essentiellement masculin.3

Le développement des pratiques vidéoludiques féminines n'est cependant pas uniforme. Les joueuses semblent en effet plus présentes non seulement sur certains titres et genres de jeu, mais également sur certaines plateformes, telles que les PC et les téléphones mobiles4. Tandis que les produits préférés des hommes restent, selon des schémas assez conventionnels5, les jeux d’action, de sports et de course, construits sur l'affrontement et la compétition, les femmes tendent à préférer les jeux « non compétitifs »6, basés sur le développement et le déroulement de récits, tels que les jeux dits « d'aventure » ou « d'enquête », dans lesquels il s’agit pour le joueur de faire « avancer et progresser une histoire »7 et dont les personnages présentent des « biographies complexes et sophistiquées »8. Si les joueurs masculins sont « motivés » par la victoire, la fin et l'achèvement du jeu, les joueuses semblent quant à elles plus sensibles au fait « de découvrir et d'accomplir quelque chose qui a une signification sociale et bénéfique »9.

On retrouve au final ce que d’autres recherches sur les médias en général (tout particulièrement dans le domaine du jouet10) ont pu constater : un public masculin intéressé par le spectacle de la guerre11 ; un public féminin tendant à ne pas souhaiter assister ou participer à la mise en scène de la violence12. Plus qu'un simple goût qui détermine le choix de titres ou de genres de jeu, les joueuses développent au cours même de leur pratique des

1 Cf. Joe Bryce, Jason Rutter, « Gendered Gaming in Gendered Space », in Jeffrey Goldstein, Joost Raessens (dir.),

Handbook of Computer Game Studies, London : MIT Press, 2005, pp. 301-310.

2 La répartition « homme/femme » est une donnée sur laquelle la plupart des études convergent. En revanche en ce qui concerne la moyenne de jeu par semaine (européenne ou française), on trouve là des écarts considérables selon les travaux : du simple au double (de 3 à 7 heures par semaine.) On voit bien la difficulté des études quantitatives sur des telles pratiques et les effets des protocoles de recherche employés. Si les études ne s’accordent pas sur une moyenne, toutes soulignent cependant un temps de jeu inférieur des joueuses à ceux des joueurs. Sources : Agence Française du Jeu Vidéo, étude de marché, statistiques, ventes, enquête de consommation. Disponible sur :< http://www.afjv.com/index.htm>. Régis Bigot, « La diffusion des technologies de l’information dans la société française », [étude du CREDOC en ligne], Document réalisé à la demande du Conseil Général des Technologies de l’Information du Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie et de l’Autorité de Régulation des Télécommunications, 2003. Disponible sur :

< http://www.art-telecom.fr/publications/etudes/et-credoc-2003.zip>. SOFRES (2004), « Le marché français des jeux vidéo auprès des adolescents et des adultes » [étude Sofres en ligne], étude réalisée en novembre 2004. Disponible sur : </www.tnssofres.com/etudes/it/181104_jeuxvideo_n.htm>. Pour les données les plus récentes cf. Eurostat, Consumer in Europe, Luxembourg : Statistical Book [Document de la communauté européenne], 2009. Disponible sur :

<http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-DY-09-001/EN/KS-DY-09-001-EN.PDF>

3 Lizzie Haines, Why are there so few women in games?, op. cit., p.7.

4Ibid.

5 Du moins dans le monde des jouets. Cf. Gilles Brougère, Jouets et Compagnie, op. cit.

6 Tilo Hartmann, Christoph Klimmt, « Gender and computer games: Exploring females’ dislikes », op. cit.

7 Elisabeth Hayes, « Women and video gaming : Gendered identities at play », Games & Culture, vol.2, n°1, 2005, pp. 23-48.

8 Hilde Corneliussen, Torill Elvira Mortensen, « The Non-sense of Gender in Neverwinter Nights», op. cit. Cf. également, Brenda Laurel, « An interview with Brenda Laurel », in Justine Cassell, Henry Jenkins (dir.), From Barbie to Mortal Kombat, Boston: The MIT Press,1998, pp. 118-135.

9 Sheri Graner Ray, Gender inclusive game design. Expanding the market, op. cit., p.105.

10 Gilles Brougère, Jouets et Compagnie, op. cit.

11 Michael D. Slater, « Alienation, aggression, and sensation seeking as predictors of adolescent use of violent film, computer, and website content », Journal of Communication, vol.53, n°1, 2003, pp. 105-121.

12 Mary B. Oliver, James B. Weaver, Stephanie L. Sargent, « An examination of factors related to sex differences in enjoyment of sad films », Journal of Broadcasting and Electronic Media, vol.44, n°2, 2000, pp.282-300.

stratégies d’évitement et des ruses pour esquiver les dimensions « déplaisantes » et

agonistiques de l'activité vidéoludique, comme le révèle l'étude d'Elisabeth Hayes1. Elle montre en effet comment des joueuses du jeu vidéo Morrowind « trichent » en utilisant des codes pour éviter les affrontements et les combats imposés par le jeu au profit des activités sociales du jeu : résoudre les énigmes et les quêtes, interagir avec les personnages du jeu, vendre et revendre des objets. La pratique des jeux vidéo serait marquée par une profonde division sexuelle et pourrait se résumer ainsi : des hommes, joueurs passionnés de jeux de combat tels que Counterstrike ou GTA d'un côté et, de l’autre, des femmes, joueuses occasionnelles, attirées par les Sims et Tetris2 ou encore par des produits, conçus, marquetés, et pensés par les fabricants pour elles : les « girls games ».

Girls Games : La vie (virtuelle) en rose

A partir des années 90 s’est développé un marché de jeux « pensés pour le public féminin», appelés dans la littérature « girls game » 3.Lié entre autres raisons à une saturation du marché, à une baisse de la consommation, à un accès plus grand des filles à l’ordinateur et à l'apparition des premières études marketing sur le public joueur de jeu vidéo, les éditeurs vont développer, sur la base de recherches plus ou moins empiriques, un ensemble de produits dont ils pensent qu'ils « séduiront les filles »4. Figure de proue de cette production vidéoludique, la société Mattel édite en 1996 le logiciel Barbie Fashion designer, qui permet aux utilisateurs de dessiner et d’imprimer des vêtements pour la plus célèbre des poupées blondes. Sur la base de ce considérable succès – 500.0000 copies vendues en 2 mois5 – Mattel adaptera ainsi sa gamme de jouets roses et développera d'autres produits « pour filles » : Riding Club, Barbie Detective, etc.

La société appliquera les logiques et stratégies éprouvées dans le domaine du jouet : « hyperféminisation » des personnages et des univers, création de codes couleurs et d’un domaine sémiotique marquant « un univers ludique féminin » (poupée, équitation), orientation des jeux autour de la consommation (robes, maisons), développement d’un

1 Elisabeth Hayes, « Women and video gaming : Gendered identities at play », op. cit.

2 Aleks Krotoski, Chicks and joysticks: An exploration of women and gaming, London : Entertainment & Leisure Software Publishers Association, 2004.

3 Justine Cassell, Henry Jenkins, « Chess for girls? Feminism and computer games », in Justine Cassell, Henry Jenkins (dir.),

From Barbie to Mortal Kombat, Boston: The MIT Press, 1998, pp. 4-46.

4Ibid., p. 11.

5 Justine Cassell, « Genderizing HCI », in Julie Jacko, Andrew Sears (dir.), Handbook of Human-Computer Interaction, Mahwah : Lawrence Erlbaum, pp. 402-411. Consulté sur :

marketing (et de publicités) qui s'adresse directement aux filles1. Suivi de près par son concurrent historique, la société Hasbro s'engagera dans cette même voie par le développement de produits sous licence (tel que mon petit poney) avec le même succès. D’autres industries suivront ce modèle en dessinant plus encore les frontières d’un territoire vidéoludique féminin : des jeux sur l’équitation (Alexandra Lederman), le maternage (Imagine Baby), le monde de la musique et des « rock stars » (Hanna Montana).

Avec le développement des girls games apparaît ainsi, comme dans le domaine du jouet, une sexualisation très forte de la pratique et des produits. Cette division des pratiques vidéoludiques est, selon certains, un réel problème. Ainsi, pour Henri Jenkins, ces produits contribuent à reproduire les stéréotypes de genres en « enseignant aux jeunes filles à agir comme les jeunes filles sont supposés agir »2. De la même façon, Helen Cunningham déplore cette sexualisation des pratiques, en constatant la pression normative plus grande sur les filles et le peu d’espace qui leur est globalement accordé à l’expression des pulsions. Elle estime de ce point de vue que ne pas jouer à des jeux vidéo violents mais aux girls games est une opportunité en moins offertes aux jeunes filles « d’exprimer cette agression dans un contexte sain »3.

« Pratiques de riches et pratiques de pauvres »4 : divisions, distinctions et différenciations sociales de la pratique vidéoludique

A cette division sexuelle, il faut ajouter certaines divisions « sociales » de la pratique vidéoludique. En effet, si la plupart des travaux – comme ceux de Pierre Bruno – constatent qu’aujourd’hui tous les milieux sociaux ou presque5 sont concernées par les jeux vidéo, il existe cependant tout un ensemble de différences qui fonctionnent comme autant de signes de distinctions, au sens bourdieusien6, entre classes sociales. Cependant, constate Pierre Bruno et d’autres études dans ses traces, le capital économique est une variable qui n’agit que très peu sur la présence ou non du jeu vidéo dans les foyers. Le jeu vidéo s’intègre en effet depuis le milieu des années 90 dans tous les milieux sociaux ou presque, et ne concerne plus exclusivement les foyers les plus aisés avec des jeunes enfants. De « nouveaux publics »7 sont

1 Cf. Stephen Kline, Out of the Garden. Toys and Children in the Age of TV Marketing, op. cit.

2 Justine Cassell, Henry Jenkins, « Chess for girls? Feminism and computer games », op. cit., p. 28.

3 Helen Cunningham, « Mortal Kombat and Computer Game Girls», in John Caldwell, Electronic Media and Technoculture, New Brunswick : Rutgers, 2000, p. 222.

4 Termes de Pierre Bruno, Les jeux vidéo, op. cit.

5 En France, l’ordinateur est présent dans plus d’un foyer sur deux (55%), tandis que les consoles de jeux (portable ou console de salon) le sont dans un peu moins foyer sur deux (41%). L’ordinateur reste la plate-forme de jeu la plus utilisée en France (mais aussi dans le monde). 63% des utilisateurs français de micro-ordinateurs jouent à des jeux ou se distraient grâce à leur ordinateur. Cependant, les joueurs jouent de moins ou moins exclusivement sur leur ordinateur, ils sont de plus en plus « multi-plateformes ». Régis Bigot, « La diffusion des technologies de l’information dans la société française », [étude du CREDOC en ligne], op. cit. SOFRES (2004), « Le marché français des jeux vidéo auprès des adolescents et des adultes », op. cit. Pour des données plus récentes cf. Eurostat, Consumer in Europe,op. cit.

6 Pierre Bourdieu, La distinction, op. cit.

apparus : des (jeunes) adultes célibataires ou en couples (dans lesquels la pratique peut être partagée), issus de milieux modestes, salariés ou non. Tout un ensemble de facteurs ont encouragé le développement de la pratique : matériel de moins en moins couteux à l’achat, développement d’un marché de l’occasion, possibilité de louer, de copier, de télécharger ou de jouer à des jeux gratuits sur Internet …. Le jeu vidéo est devenu une pratique qui concerne toutes les tranches d’âge ou presque, et toutes les classes sociales. En conséquence, remarque Pierre Bruno, « l’apparition de ce loisir dans des milieux populaires ne donnent plus à cette pratique, en elle-même, un caractère distinctif ».1

Cependant, les distinctions « pauvres/riches », selon l’auteur, se sont déplacées et de nouvelles distinctions ont fait jour. Tout d’abord, dans le choix de l’équipement, des marques et des produits vidéoludiques : entre les plateformes elles-mêmes (consoles et/ou ordinateurs), entre les marques et entre les différentes machines (MAC ou PC2, Sega ou Nintendo), le nombre de consoles et de type de consoles dans un foyer (consoles portables et/ou consoles de salon), l’achat de consoles « nouvelle génération » ou de console plus anciennes, l’acquisition de jeux neufs ou de jeux d’occasion (ou en promotion), l’achat des cartes graphiques les plus récentes pour les ordinateurs. Le type de jeu pratiqué serait également distribué socialement3. Pierre Bruno repère en effet une reproduction des hiérarchies sociales au sein des différents genres de jeux vidéo. Il distingue d'un côté, les « jeux d'arcades , qui font principalement appel à des compétences physiques (réflexes, adresse...) et des compétences intellectuelles mineures (mémorisation, résolution de petits casse-têtes...) »4. De l’autre, « les jeux de rôles et les divers jeux de simulation (wargame, jeux de gestion...), nécessitent l'élaboration de stratégies, la prise en compte de systèmes de données complexes ainsi que des compétences en diplomatie »5.

De ce fait, se reproduit selon lui dans la pratique des jeux vidéo, « la hiérarchie traditionnelle du monde du travail entre les tâches simples et les tâches complexes, les tâches d'exécution et tâches d'encadrement, les tâches physiques et les tâches intellectuelles. D'autres traits tendent à renforcer les différences. Les jeux d'arcades ne mettent en scène qu'une succession d'actions ponctuelles, limitées, à réaliser le plus souvent dans le temps imparti alors qu'un jeu de simulation se déroule sur le long terme nécessaire à la gestion d'un projet. De plus, les rapports sociaux sont le plus souvent, dans les jeux d'arcades, basés sur la force et la compétition, l'exécution tout à la fois des ennemis et de la mission, alors que nombre de jeux de simulation introduisent, dans des proportions tout à fait relatives, une gestion des rapports humains plus libérale. Cette segmentation des discours et compétences reproduit d'autant mieux la hiérarchisation sociale qu'elle recoupe les inégalités économiques. La répartition des formes de jeux selon les lecteurs est significative du lien établi entre le type de compétences mobilisé par le jeu, les différenciations

économiques et la hiérarchie des tâches.» 6

Les différences sociales entre « riches » et « pauvres » ne se joueraient donc plus sur le fait de pratiquer ou non, mais sur l’équipement, les types de jeux pratiqués mais aussi, remarque Bruno, sur les façons de jouer et les « modalités de la pratique », révélatrices selon lui d’une « pratique savante » qui s’opposerait à une « pratique vulgaire ». L’auteur distingue en effet une « pratique savante » du jeu vidéo marquée par la capacité des joueurs à s’investir dans le jeu, à développer une culture vidéoludique (mémorisation des titres, lecture de la presse spécialisée, affirmation d’un goût personnel), à construire un discours critique sur le jeu et à

1 Pierre Bruno, Les jeux vidéo, op. cit., p. 109.

2 Qui n’est pas pas une marque, mais un type d’ordinateur, tandis que le Macintosh reste une architecture dont la société Apple est propriétaire.

3 Pierre Bruno, Les jeux vidéo, op. cit.

4 Pierre Bruno « les jeux vidéo se "délitterarisent"», entretien en ligne, 2004. Disponible sur le site Planetjeux :