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LE JEU VIDEO COMME INTERPRETATION : RECEPTION ET DECODAGE DE LA

Deuxième partie : Comment pense-t-on le jeu vidéo ?

8. LE JEU VIDEO COMME INTERPRETATION : RECEPTION ET DECODAGE DE LA

CULTURE VIDEOLUDIQUE

,

LES POINTS DE VUE DES JOUEURS

En croisant certaines analyses de contenus avec la description des pratiques vidéoludiques, les jeux vidéo et les MMO apparaissent clairement à certains chercheurs comme des espaces de (re)production d’idéologies, de thématiques guerrières, de hiérarchies sociales mais également de stéréotypes de genre qui influenceraient le comportement des joueurs. Cependant, plusieurs réserves sont formulées dans la littérature à l’égard de cette thèse sur « les effets des jeux vidéo »1. En premier lieu, on reproche à certains travaux de produire « des effets de réel » en lisant le jeu vidéo à l’aune de la grille critique et cultivée du chercheur, en la décrivant comme « la réalité » du contenu (la seule valable), en ne donnant pas ou peu la parole aux acteurs et en considérant ces derniers comme des « idiot(e)s culturel(le)s » mystifiés par les industries du jeu vidéo, qui produiraient et reproduiraient sans le savoir les stéréotypes imposés par les fabricants et le marketing. Parce qu’elles arrêtent leur recueil de données et leurs analyses aux titres pratiqués par les joueurs, parce qu’elles prennent peu en compte leurs points de vue, certaines études écraseraient la diversité des usages et ignoreraient les façons dont les jeux vidéo font sens chez les joueu(rs)ses.

En analysant le jeu vidéo les Sims (qui invite ses joueurs à vivre une deuxième vie : se marier, acheter un pavillon, une voiture, fonder une famille), Mary Flanagan2 remarque que ce produit peut être lu sans difficulté à l’aune d’une idéologie bourgeoise. Le jeu met en scène une certaine forme de l’American Way of Life, promeut les bienfaits du capitalisme et valorise la jouissance de l’individu dans la consommation de masse. Cet univers propose au joueur d’adhérer à un ensemble de valeurs normatives et économiques selon lesquelles « l’argent fait le bonheur ». Cependant, elle constate que du côté des joueuses, les perceptions peuvent être radicalement différentes. Quelques-unes, en effet, lisent le jeu à l’inverse de la lecture idéologique et voient au contraire dans l’adhésion flagrante du jeu et des personnages à la consommation de masse une marque d’ironie3. Plus encore, certains joueurs et joueuses n’hésitent pas à tricher pour gagner de l’argent (en tapant des codes) afin de pouvoir consommer sans travailler et de jouir des bienfaits de la société de consommation sans « jouer le jeu ». Quelques-uns, enfin, détournent le logiciel pour expérimenter tout un ensemble de pratiques qui n’ont plus grand-chose à voir avec les objectifs fixés dans le jeu : copuler, voler ou tuer d’autres personnages.4 En somme, le jeu vidéo apparaît ici d’abord comme une affaire d’interprétation, de cadre et de pratique.

Une seconde critique est formulée à l’égard de la thèse des jeux vidéo conçus comme des espaces de reproduction des genres et des classes sociales. En effet, souligner une division des pratiques en fonction des milieux ou des sexes produirait selon certains une vision parfois rapide, simpliste des « classes sociales », des « ethnies », des « filles » et sous-estimerait « la

1 Derrière le jeu vidéo, on retrouve plus largement la question des « effets des médias » qui reste un débat dans la littérature largement ouvert. Comme le souligne Stephen Kline, chacun des deux camps s’affronte et chacun déploie arguments, contre-arguments et études empiriques. Sur les traces de Raymond Williams, Stephen Kline constate que les études sur les « effets des médias » tendent souvent à réduire la complexité des processus sociaux à une cause extérieure, générale et abstraite : les médias. Les modèles que proposent Kline et Brougère sur le jeu (vidéo), et sur lesquels nous nous appuyons, consistent moins à chercher des intentions et des responsables que de comprendre les forces économiques et sociales en présences ainsi l’ensemble des interactions culturelles qui contribuent à produire certains types de contenus. On retrouve d’ailleurs sensiblement les mêmes discussions sur la question de la violence à la télévision. Cf. Stephen Kline, Nick Dyer-Whiteford, Greig de Peuter, Digital Play, op. cit., p. 277.

2 Mary Flanagan, « Une maison de poupée virtuelle capitaliste ? The Sims : domesticité, consommation et féminité », in Mélanie Roustan (dir.), La pratique du jeu vidéo : réalité ou virtualité ?, Paris : L’Harmattan, 2003, pp. 175-188.

3Ibid., p. 183.

4 Dans le cadre d’une observation des pratiques et des usages du jeu vidéo en ludothèque, nous avions également observé des joueurs de Sims. Ces préadolescents (9-10 ans) ne suivaient aucunement les règles prescrites par le jeu. Leur activité consistait principalement à trouver le moyen le plus « cruel » pour faire mourir leur personnage. L’un d’entre eux construisait ainsi une piscine et, une fois son personnage dans l’eau, il retirait l’échelle et construisait des murs autour.

multiplicité des plaisirs »1, la « diversité des expériences »2. Plus encore, selon Jo Bryce3, certaines études sur la pratique vidéoludique tendraient à faire disparaitre les pratiques féminines « hégémoniques », c’est-à-dire « quand les filles jouent comme des garçons », car, précise l’auteur, elles posent des problèmes théoriques majeurs au chercheur : Que faire des exceptions ? Comment les comprendre ? Comment les analyser ? La tentation est souvent d’en faire « des exceptions qui confirment la règle » sinon de les éluder.

A cette analyse du jeu vidéo s’oppose un ensemble de publications qui, tout en constatant la prédominance de thématiques spécifiques, guerrières et masculines, s’intéresse plus particulièrement à la question de la réception. Il s’agit alors de comprendre la façon dont cette culture est décodée, lue, interprétée par les joueurs, comment elle fait sens auprès d’un public. A la vision « macrologique » d’une culture vidéoludique qui reproduirait aussi bien au niveau de contenus que des pratiques un ensemble de divisions sexuelles, sociales voire des visions idéologiques, s’oppose ainsi une analyse plus ethnographique qui s’intéresse au jeu vidéo dans sa logique propre, spécifique et quotidienne. Ces travaux, souvent anglo-saxons, sont plus sensibles à la notion de réception, d'interprétations et de décodage, en somme par l'approche théorique et méthodologique de ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui les « cultural studies de Birmingham » dont on reconnaît comme fondateurs de cette entreprise scientifique, Raymond Williams, Edward Thompson, Stuart Hall et Richard Hoggart.

Les cultural studies : codages et décodages

Inspirés par les théories marxistes, l’école de Francfort et la sémiotique française, les pionniers de cette « école » se sont très tôt attachés à l’étude des médias et des cultures de masse : magazines « people », feuilletons radiophoniques, sitcom, etc. Ils considèrent, comme dans les analyses développées plus haut, les productions populaires et les médias comme des « textes » dans lesquels sont inscrits un ensemble de codes, de « significations » sociales, de conflits, de rapports homme femme, de genre, de classe. Cependant, tout en conservant pour partie les acquis du marxisme et des théories de l'école de Francfort, les membres de ce département se sont détournés au cours de leur histoire4 d'une conception de la culture comme simple lecture d'un texte marqué par les luttes sociales, des idéologies ou des discours dominants, comme dans les analyses précédentes, au profit d'une conception de la culture comme d'un texte que l'on décode selon des niveaux divers, que l’on recode, voir auquel on « résiste ».

Comme le souligne l'un des fondateurs de ce « courant », Richard Hoggart, à propos des « effets des industries culturelles », on tend souvent « à surestimer leur influence sur les classes populaires. Il ne faut pourtant jamais oublier que ces influences culturelles n’ont qu’une action fort lente sur la transformation des attitudes et qu’elles sont souvent neutralisées par des forces plus anciennes »5. Dans la perspective de Hoggart, et d’autres dans ses traces, « les usages sociaux des médias n’obéissent pas forcément à la logique d’un pouvoir dévastateur, inscrit dans les traits structurels des messages »6. On surestime non seulement « les effets des médias », mais on minore dans le même temps le contexte, l’espace

1 T. L. Taylor, « Multiple Pleasures: Women and Online Gaming », op. cit., p.27.

2 Elisabeth Hayes, « Women and video gaming: Gendered identities at play », op. cit.

3 Jo Bryce, Jason Rutter, « gendered gaming in gendered space », op. cit.

4 Les cultural studies ont connu cependant plusieurs « tournants ». Partant d’une analyse marxiste de la culture, ce champ de recherche a évolué en se spécialisant (media studies, queer studies, porn studies, game studies, gender studies, ethnic studies), parfois de façon assez éloignée des travaux fondateurs. Pour une histoire des cultural studies, cf. Armand Mattelard, Erik Neveu, Introduction aux cultural studies, op. cit. Hervé Glevarec, Eric Macé, Eric Maigret, Cultural Studies, Anthologie, op. cit. Anne Chalard-Fillaudeau, « Cultural Studies et géométrie des sphères », ATALA, mars 2004, n°5, Rennes, 2004. Disponible sur : http://www.lycee-chateaubriand.fr/cru-atala/publications/Chalard.htm.

5 Richard Hoggart, La culture du pauvre, Paris : les éditions de Minuit, 1970, p.379.

6 Armand Mattelart, Erik Neveu, « Cultural studies' stories. La domestication d'une pensée sauvage ? », Réseaux, vol. 14, n° 80, 1996, p. 17.

social, familial et les attitudes mêmes des récepteurs qui donnent sens à ces produits. Les individus ont recours à des ressources puisées dans leur environnement culturel pour reprendre à leur compte des œuvres venues d’ailleurs1. Le message est toujours objet de distorsion, de « consommation nonchalante », de « consommation distraite », du « cause toujours », ou encore d’« attention oblique», cette « attitude qui consiste à "savoir en prendre et en laisser", une forme de réception qui trouve dans un acquiescement peu engagé à l’écoute le moyen de ne pas s’en laisser compter par le message »2.

Les cultural studies se sont ainsi affirmées contre une vision de classes populaires « crédules, manipulés »3, incapables de « maintenir une séparation entre « la vie réelle et sérieuse et le monde du divertissement »4 au profit d’une analyse ethnographique de la complexité des processus de réception d’une œuvre. Dans un célèbre article, « Codage/Décodage »5, Stuart Hall, affirme qu’il n’y a aucune garantie que les significations inscrites par les producteurs dans un texte soient décodées de la même façon par les destinataires. Toute expression culturelle ne contient pas seulement une opinion, un message ou une idéologie dominante, mais la signification est formée par différents facteurs dans le processus de communication qui s’étend de la fabrication, de la production (codage), en passant par la distribution, la vente jusqu’à la consommation (décodage). L’expression d’une culture est toujours polysémique, ouverte à des lectures diverses, nécessairement réinterprétée.

Stuart Hall distingue ainsi trois types de décryptage possibles, que le (télé)spectateur/lecteur/décodeur adopte pour interpréter un texte et qui constitue de ce point de vue la « réalité » culturelle du texte :

- une position dominante/hégémonique : « lorsqu’un spectateur intègre directement et sans restriction le sens connoté d’informations télévisées ou d’une émission d’actualités par exemple »6. La lecture est alors en accord avec le codage des créateurs, l’interprétation est conforme au sens dominant du message.

- une position négociée : le lecteur s’accommode du sens du message, accepte certains éléments du code initial, en refuse d’autres, et/ou apporte de nouvelles significations. « Les codes négociés fonctionnent à travers ce que l’on pourrait appeler des logiques situées, ou particulières ».7

- une lecture d’opposition : on s'oppose, conteste et dénonce l'idéologie du texte. Le lecteur comprend parfaitement « toutes les inflexions littérales et connotatives fournies par un discours, mais décode le message de manière globalement contraire ».8

Ce modèle «encodage/décodage», sur lequel s’appuie en partie Stephen Kline9 dans son analyse des industries vidéoludiques, est considéré par beaucoup comme « fondateur des

1 On retrouve l’équivalent en France avec les travaux de De Certeau, sur les usages braconniers, clandestins, « ces manières de faire qui constituent les mille pratiques par lesquelles des utilisateurs se réapproprient l’espace organisé par les techniques de la production socioculturelle ». Michel de Certeau, L’invention du quotidien. Arts de Faire, op. cit., p.14.

2 Jean-Claude Passeron, « Littérature et sociologie : retour sur Richard Hoggart », in Pierre Michel Menger, Jean-Claude Passeron (dir.), L’Art de la recherche, Paris : La Documentation française, 1994, p. 289.

3 Daniel Cefaï, Dominique Pasquier, « introduction », in Daniel Cefaï, Dominique Pasquier (dir.), Les sens du public. Publics politiques, publics médiatiques,op. cit, p. 36.

4 Jean-Claude Passeron « Présentation », in Richard Hoggart, La culture du pauvre, op. cit., p. 21.

5 Stuart Hall, « Codage/Décodage », in Hervé Glevarec, Eric Macé, Eric Maigret, Cultural Studies, Anthologie, Paris : Armand Colin, 2008, pp. 25-40. Le texte proposé dans ce livre est une reprise de la traduction de l’article de Hall (1973), traduit par Michèle Albaret et Marie-Christine Gamberini, dans la revue Réseaux, n° 68, p. 1994. La version complète est disponible en ligne : <http://enssibal.enssib.fr/autres-sites/reseaux-cnet/68/02-hall.pdf>

6 Stuart Hall, « Codage/Décodage », p. 37.

7Ibid., p. 38.

8Ibid., p. 40.

9 Dans son travail, Stephen Kline s’intéresse essentiellement à l’encodage des produits. Stephen Kline, Nick Dyer-Witheford, Greig De Peuter, Digital Play, op. cit., p. 42.

Cultural Studies ».1 Celles-ci vont ainsi réfuter l’idée d’une correspondance absolue entre le moment de la production (l’encodage) et celui de la réception (le décodage). Le sens s’articule avec les pratiques sociales de ceux qui consomment, de sorte qu’il est transformé en un sens nouveau. A l’origine, Stuart Hall accordait beaucoup d’importance aux statuts de classe. Son modèle sera cependant vite « détourné » dans et par d’autres (sous-)champs des

cultural studies pour être plus particulièrement confronté aux questions de genres, de sexes, d’ethnies : média,feminist, gender, ou ethnic studies… et game studies2.

Racisme et jeux vidéo : recodage et évitement

Dans la perspective de Hall, Anne Everett3 étudie la présence et le traitement des « races » dans les jeux vidéo. Elle souligne en analysant un certain nombre de titres – depuis les plus explicitement racistes comme Ethnic Cleaning, en passant par les jeux Civilization ou des jeux apparemment plus anodins tels que les jeux de boxes – la façon dont les africains, les asiatiques, les juifs sont souvent relégués, caricaturés ou stéréotypés. Les jeux vidéo, constate-t-elle, sont porteurs, comme d’autres textes médiatiques, d'un ensemble de visions de l'Amérique blanche dominante. Mais elle montre dans le même temps, à l'aune de sa propre subjectivité, l'ambivalence et la complexité des relations qu'elle entretient personnellement à l'égard de ces produits, liées à sa propre situation et à sa propre subjectivité : elle est chercheuse à l'université, spécialiste de la culture populaire noire (black comics, black movie), amatrice de jeu vidéo, adulte et afro-américaine.Elle souligne dans un premier temps que ces éléments biographiques, y compris son statut de joueuse, sont autant de variables qui structurent son propre rapport (goût et dégoût) aux contenus vidéoludiques.

Elle observe dans cette même idée que certains joueurs, concernés notamment par ces stéréotypes, peuvent très bien s'accommoder de cette idéologie. Dans les cas de personnages explicitement « anti-noirs », une partie du public afro-américain développe différentes stratégies de perceptions ; certains les lisent délibérément mal ou recodent ces personnages sur des valeurs plus générales. D'autres joueurs concernés par ces stéréotypes vont chercher des modèles non-racistes dans le jeu vidéo avec lesquels s’identifier. Quelques-uns, enfin, dénoncent le racisme de certains jeux vidéo. On retrouve là les différentes positions du modèle de Hall. Selon Everett, l’erreur serait de penser que les discours véhiculés par les jeux vidéo sont parfaitement reçus, intégrés et vécus comme tels par les destinataires. Il ne s’agit pas non plus de balayer ou d'évacuer les idéologies au nom des résistances de la part des joueurs mais de comprendre la complexité du jeu vidéo dans ses différents niveaux de lectures possibles : « les inscriptions culturelles acquièrent une signification seulement en tant que partie d’un système langagier. Comme Stuart Hall nous le rappelle, un discours dominant ne constitue pas un système fermé de significations dans les échanges entre émetteurs et récepteurs, parce que

le processus de réception d’un public est toujours objet de distorsions complexes ».4

Anna Everett souligne enfin que la question du racisme dans le jeu vidéo – quand il n’est pas délibérément inscrit dans le produit comme pour Ethnic Cleaning – peut en fait se révéler ailleurs, dans les endroits les moins attendus, les moins visibles et notamment dans les commentaires sur les jeux vidéo. Elle analyse ainsi l'émission américaine Nightline (talk show

américain de type « débat de société »), qui a consacré un numéro spécial au jeu vidéo GTA5

autour de la question du racisme supposé de ce titre. Premier constat d’Everett : la très grande majorité des intervenants présents sur le plateau pour parler de la dimension anti-noire du jeu

1 Daniel Cefaï, Dominique Pasquier, « introduction », in Daniel Cefaï, Dominique Pasquier (dir.), Le sens du public,op. cit.,

p. 43.

2 Cf. Julien Rueff, « Ou en sont les games studies ? », Réseaux, vol. 26, n° 152, 2008 pp.139-166.

3 Anna Everett, « Serious play : Playing with Race in Contemporary Gaming Culture », in Jeffrey Goldstein, Joost Raessens (dir.), Handbook of Computer Game Studies, London : MIT Press, 2005, pp. 311-326.

4Ibid., p.312.

vidéo est blanche. Deuxième observation : un policier est là comme « expert » pour parler de la criminalité des noirs (elle se demande ainsi quel est le lien avec GTA). Troisième constat d’Everett : à aucun moment n’est montré qu’une partie des joueurs de GTA est noire. Dernière remarque : en fin d'émission, le « shérif » précise que certaines communautés, notamment la communauté noire, peuvent être plus sensibles à ce jeu vidéo et potentiellement passer à l’acte. Elle montre ainsi que ces commentaires et ces analyses, par leur simplicité et leur radicalité, sorte de « sociologisme rapide », contribuent à reproduire une vision raciste du monde social. C’est en évoquant la dimension raciste du jeu vidéo que tous les présupposés racistes sont dits.

Lara Croft et compagnie : des contenus « ambigus »

Sur la question du sexisme réel ou supposé des jeux vidéo, on trouve des analyses assez proches. Le travail de Birgit Richard et de Jutta Zaremba1 est à cet égard très intéressant. En étudiant la réception du personnage de Lara Croft, elles montrent qu'il est le parfait exemple des différentes possibilités de lectures de Hall. Du côté du public féminin, elles relèvent deux types de lectures possibles. Une première qui voit dans l'héroïne des jeux vidéo une « ennemie publique féminine n°1 », c'est-à-dire caricaturale jusque dans ses formes, une image réduite de la féminité, un concentré de mannequin idiote (au delà du jeu vidéo, Lara Croft a une vie de mannequin dans diverses publicités : Seat en France, pour le Câble aux Etats-Unis, mais également dans un clip musical du groupe rock « die Ärtze » en Allemagne). A l'opposé, elle est lue par d'autres comme une « icône féministe ». Lara Croft à certains égards correspond en effet à ce qu'elles appellent le post-féminisme, une forme de féminisme contemporain, assez paradoxal en ce qu'il essaie de réconcilier deux formes de féminismes historiques : un féminisme de l'égalité et un féminisme de la différence. Lara Croft n’est associée à aucune tâche domestique, aucune obligation familiale, elle gagne sa vie, elle est indépendante, elle est à la fois femme (dans ses formes), mais s'habille en homme ; elle est belle et sait se battre... elle apparaît au final comme une sorte d’archétype du héros masculin aux traits hyper-féminins2. Si la réception de cette héroïne vidéoludique est ambivalente, précisent les deux chercheuses, c’est parce que Lara Croft est construite sur des modèles ambivalents.

Capture d’écran du jeu vidéo Tomb Raider Underworld

1 Birgit Richard, Jutta Zaremba, « Gaming with Grrls : looking for sheroes in computer games », in Jeffrey Goldstein, Joost Raessens (dir.), Handbook of Computer Game Studies, London : MIT Press, 2005, pp. 283-300.

2 Assez proche de ce que l’on appelle le « girl power », pour qualifier ce mouvement porté dans les médias par des