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Deuxième partie : Comment pense-t-on le jeu vidéo ?

10. L E JEU VIDEO COMME APPRENTISSAGE ( S )

Dans la filiation des travaux précédents, on peut distinguer un ensemble de publications qui s’intéresse à l’expérience individuelle des joueurs de jeu vidéo et, en lien, à la question des apprentissages. Comme le souligne Dominique Pasquier dans son analyse des pratiques culturelles des lycéens, un adolescent « peut acquérir des compétences quand il est jeune, dans le secteur des jeux vidéo ou de la bande dessinée en même temps qu’il se familiarise à l’école avec des formes culturelles plus légitimes comme la littérature »1. A en croire certains chercheurs comme Jacques Perriault, l’utilisation de consoles de jeux, de logiciels, du réseau mondial aurait des effets sur les joueurs en termes de développement de compétences cognitives tel que le raisonnement inductif, la coopération, le traitement simultané de plusieurs niveaux d’informations ainsi que des compétences langagières2.

Au regard de la littérature, deux types de travaux traitent des relations entre jeu vidéo et apprentissage. Un premier ensemble de publications, marquées le plus souvent par la psychologie cognitive, s’intéresse aux conséquences directes de la pratique vidéoludique, autrement dit aux effets de l’activité en termes de développement, d’acquisition et d’habileté. Dans ce cadre, il s’agit de repérer un ensemble de compétences acquises par les joueurs, mais également de comprendre les propriétés didactiques du jeu vidéo, qui peuvent potentiellement le transformer en un pertinent dispositif d’apprentissage. Toute une littérature s’est ainsi développée sur ces problématiques et connaît par ailleurs un succès redoublé avec l’émergence sur le marché des serious games, ces jeux vidéo à la frontière entre le jeu et la formation3. A un second niveau, d’autres travaux s’intéressent moins à l’activité ludique elle-même mais aux « autours » de la pratique. Plus sensibles aux sociabilités, aux créations des joueurs, à la notion d’expérience, cette littérature analyse le jeu vidéo sous l’angle d’un support d’éducation informelle entendue ici dans son sens commun, « hors de l’école » et sans intentionnalité éducative4. Elles considèrent le jeu vidéo comme des occasions d’expérimentation, de réflexivité identitaire, de construction de soi.

Le développement de « skills »5

A en croire plusieurs études menées dans le champ de la psychologie, la pratique du jeu vidéo aurait des « effets cognitifs » sur les joueurs et plus particulièrement sur la mémoire, l’attention visuelle, la représentation iconique6. L’un des premiers apprentissages qu’ont à faire les joueurs de jeux vidéo est l’appropriation d’un espace virtuel et l’incorporation de « compétences visuelles et spatiales »7 et notamment la manipulation et la représentation d’espaces en trois dimensions8. Il s’agit en effet de pouvoir se repérer, estimer des distances d’un lieu à un autre et le temps nécessaire pour s’y rendre. Les joueurs de jeux vidéo développeraient au fur et à mesure de leurs pratiques des systèmes de représentation cognitive d’un espace numérique, des sortes de cartes mentales pour se repérer, pour se déplacer et se représenter l’espace.

On insiste parallèlement sur les schèmes sensori-moteurs acquis par la pratique vidéoludique. Pour David Sudnow9, les jeux vidéo, du type Breakout, développent la dextérité manuelle, la coordination « main-œil » et l’anticipation, thèse reprise notamment dans

1Ibid.

2 Jacques Perriault, Éducation & nouvelles technologies. Théorie et pratiques, Paris: Nathan, 2002.

3 Julian Alvarez, Du jeu vidéo au serious game :Approches culturelle, pragmatique et formelle,op. cit.

4 Cf. Gilles Brougère, Hélène Bézille, « De l’usage de la notion d’informel dans le champ de l’éducation », op. cit.

5 Habileté en anglais.

6 Sandra Calvert, « Cognitive effects of video Games », op. cit.

7 Patricia Greenfield, « Action video games and informal education : effects on strategies for dividing visual attention »,

Journal of Applied Developmental Psychology, vol.15, 1994, pp. 105-124.

8 Sherry Turkle, Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet, New York: Simon & Schuster, 1995.

l’analyse du jeu vidéo Counterstrike par Stuart Reeves, Eric Laurier, Barry Brown: « le joueur doit développer des compétences importantes telles que regarder en courant, lire rapidement la trajectoire de l’ennemi ». 1 Dans l’analyse du même jeu, Magaly Moisy et Philippe Mora constatent que les joueurs de haut niveau développent « des formes de dextérité sans doute inégalées parmi l’ensemble des usages en réseau »2.

L’observation de joueurs en train de pratiquer montre en effet qu’à partir d’un certain stade de maîtrise du jeu, le niveau de conscience réflexive diminue, les mains semblent s’activer seules, hors de tout contrôle délibéré. « La maîtrise technique du jeu peut être considérée comme l’aboutissement d’un processus d’ « incorporation » : tel le conducteur automobile n’ayant plus à réfléchir pour passer les vitesses, le passionné de jeu vidéo a acquis un ensemble de stéréotypes moteurs ».3 Plus encore, l’observation des joueurs de jeux vidéo révèle chez les joueurs le développement de compétences pour le « multitâche », une capacité à gérer une multiplicité de conversations, de rôles et d’activités simultanément, capacité qui augmente au fur et à mesure de l’engagement du joueur dans la pratique vidéoludique. On parle ainsi de « présence distribuée »4 ou « d’attention divisée »5 pour qualifier cette automatisation de l’attention des joueurs dans la réalisation simultanée de plusieurs activités.

Enfin à un niveau plus abstrait, les joueurs, selon Gee6 et Raessens, acquièrent une connaissance très précise non seulement des règles du jeu (ils deviennent ainsi capables de mettre en place des stratégies complexes pour progresser rapidement) mais également de la façon dont le logiciel fonctionne, ce que l’on peut appeler une méta-connaissance sur le jeu. Il s’agit moins d’une curiosité scientifique désintéressée de la part des joueurs, que bien souvent d’une volonté d’optimisation de leur personnage, de rentabilité parfois dans le but plus ou moins avoué de trouver les « bugs » du jeu qui les rendraient potentiellement invincibles et surpuissants. Raessens emprunte la notion derridienne de « déconstruction » pour qualifier ce processus intellectuel que développent les joueurs, et « qui consiste à mettre au premier plan les éléments qui le soutiennent souterrainement »7. Les joueurs de jeu vidéo ont une culture du « test en profondeur », qui revient à chercher partout les failles d’un jeu, dans ce qu’il n’autorise pas ou apparemment pas, dans ses règles explicites jusque dans sa programmation. Les jeux vidéo encouragent les joueurs à penser des systèmes de façon globale, et non en termes d'éléments isolés, de découpage de savoirs, de compétences séparées,8 et développent selon certains une « pensée en hypertexte »9. Les structures cognitives sont parallèles et non plus séquentielles. « Apprendre et juger les relations entre des systèmes de signes (images, mots, actions, symboles, artefacts, …) comme un système complexe est au cœur d’une expérience d’apprentissage »10.

Apprendre en jouant ?

Si certaines recherches analysent ainsi les effets cognitifs du jeu vidéo sur ses pratiquants, d’autres s’intéressent plus particulièrement aux propriétés même du média pour comprendre

1 Stuart Reeves, Eric Laurier, Barry Brown, « L’art de jouer à Counterstrike », in Franck Beau (dir.), Culture d’univers, jeux en réseaux, mondes virtuels, le nouvel âge de la société numérique, Limoges : FYP, 2007, p. 138.

2 Magali Moisy, Philippe Mora, « Rencontre avec les champions : les goodgame », in Franck Beau (dir.), Culture d’univers, jeux en réseaux, mondes virtuels, le nouvel âge de la société numérique, Limoges : FYP, 2007, p.146.

3 Jean-Baptiste Clais, Mélanie Roustan, « "Les jeux vidéo, c’est physique !" Réalité virtuelle et engagement du corps dans la pratique vidéoludique », op. cit., p.41-42.

4 Sherry Turkle, Life on the Screen, op. cit.

5 Patricia Greenfield, « Action video games and informal education : effects on strategies for dividing visual attention », op. cit.

6 James Gee, What Video Games have to teach us about literacy and Learning, op. cit.

7 Joost Raessens, « Computer Games as Participatory Media Culture », op. cit., p. 376.

8 James Gee, « Questions à James Gee », in Gilles Brougère, Anne-Lise Ulmann (dir.), Apprendre de la vie quotidienne,

Presses Universitaires de France, 2009, p. 148.

9 Termes de William Winn, repris par Marc Prensky, « Computer Games and Learning », op. cit., p. 99.

en quoi ils peuvent être de « bons dispositifs d’apprentissage », de pertinents modèles pédagogiques. En somme, certains auteurs, comme Gee, s’intéressent à ce « ce que les jeux vidéo ont à nous apprendre sur l’apprentissage »1. En première analyse, tout un ensemble de travaux s’accordent à souligner la dimension active et intégrée de l’apprentissage dans un jeu vidéo. Comme Greenfield2 et d’autres ont pu l’observer, les joueurs ne lisent pas ou rarement les manuels, mais jouent directement au jeu. Contrairement à une situation scolaire, ou à d’autres activités ludiques (tels que les échecs, le go, le foot), il n’y a pas de règles à apprendre préalablement. L’apprentissage se fait par et dans la pratique : il est totalement intégré dans le jeu. On pratique et l’on apprend au fur et à mesure : « L’apprentissage de ce point de vue fait partie du jeu »3.

Parallèlement à cela, on souligne également les conditions particulières dans lesquelles les savoirs et les apprentissages font jour. Dans les jeux vidéo, souligne James Gee, les défis sont hiérarchisés et ordonnés – ils sont souvent structurés sous forme de niveaux ou de tableaux – de sorte que les premiers problèmes rencontrés amènent les joueurs à élaborer des hypothèses qui leur permettront de résoudre les problèmes suivants. Les jeux vidéo laissent les joueurs en situation de manipulation de problèmes jusqu'à ce qu'ils finissent par les maîtriser. Le jeu propose alors une nouvelle difficulté qui exige du joueur qu'il repense et accède à un nouveau domaine de compétence. Ce cycle de relations entre « consolidations et nouveaux défis » est la base même, selon James Gee, du développement d'une expertise dans un domaine. Certains jeux vidéo se révèlent être, selon lui, d’excellents dispositifs d’apprentissage, précisément quand ils restent « à la limite du régime de compétence des joueurs » : entre le « faisable » et le « difficile », « au bon moment », « juste à temps », ou « à la demande », autrement dit quand les joueurs en ont besoin, quand ils ont à s'en servir4.

Le caractère encourageant des dispositifs vidéoludiques est souvent souligné par certains théoriciens du jeu vidéo. Quand les joueurs échouent, ils peuvent en effet recommencer à partir de leur dernière sauvegarde : le joueur est ainsi encouragé à prendre des risques, à explorer, à essayer de nouvelles choses. « La structure du jeu, le game-play, est construit sur une mécanique « d'essai/erreur », d'hypothèses que le joueur doit élaborer, d'ajustement nécessaires de ses actions s'il veut obtenir de meilleurs résultats, « tout comme dans une situation de recherche scientifique »5. Si les jeux vidéo minimisent souvent les conséquences d'un échec6, on souligne également leur dimension gratifiante. En effet, une caractéristique fondamentale qui tend à faire apparaître les jeux vidéo comme de bons dispositifs d’apprentissage est la question du feedback, « du retour », de la récompense. Les jeux vidéo fonctionnent sur des logiques de feedback rapides : changement de niveaux, nouveaux scores atteints, nouveaux équipements, … « Les natifs du numérique »7 sont sensibles à des investissements vite récompensés. Gee parle quant à lui du principe d’amplification de l’entrée (input) : « les jeux vidéo fournissent pour une petite entrée beaucoup de retours. (Conduire une voiture est un bon exemple : vous pressez une petite pédale et vous avancez.) Dans un jeu vidéo, vous pressez quelques boutons dans le monde réel et tout un monde interactif virtuel vient à la vie. L’amplification de l’input est hautement motivant dans un processus d’apprentissage » 8.

Enfin on souligne la question du plaisir dans les jeux vidéo. Ils suscitent en effet différents

1Ibid.

2 Patricia Greenfield, « Action video games and informal education : effects on strategies for dividing visual attention », op. cit.

3 James Gee, What Video Games have to teach us about literacy and Learning, op. cit., p. 48.

4 James Gee, « Questions à James Gee », op. cit., p. 146.

5Ibid.

6 Marc Prensky, « Computer Games and Learning », op. cit., p. 99.

7 Terme de Marc Prensky (Digital Natives) pour qualifier cette génération de jeunes nés dans les années 90 ayant connu dès leur plus jeune âge les TIC. Ibid.

types de motivations : joie, plaisir, adrénaline, gratification personnelle1… Selon James Gee, les jeux vidéo parviennent à rendre attractifs, efficaces et plaisants des processus d'apprentissage. Cette thèse du jeu vidéo comme dispositif didactique est aujourd’hui encore plus développée, et plus à la mode pourrait-on dire, avec l’émergence, peut-être éphémère, des serious games, ces produits vendus sur le marché comme outils d’apprentissage2.

Pour certains de ces théoriciens du jeu vidéo, les compétences acquises dans le jeu vidéo sont transférables vers d’autres domaines. Negroponte précise ainsi que « les jeux vidéo enseignent aux enfants des stratégies et exigent un ensemble de compétences qu’ils utiliseront plus tard dans la vie ».3 Cette transférabilité des connaissances est une analyse que développent également Moisy et Mora à propos des joueurs de Counterstrike. Ils repèrent l’acquisition d’un ensemble de savoir-faire et de compétences sociales chez les joueurs autour du jeu : entraide, écoute des autres, apprentissage de la gestion des conflits au sein d’un même groupe. « Le jeu nourrit incontestablement des expériences coopératives que les joueurs peuvent réutiliser dans le quotidien ».4 De la même façon, dans leur analyse des guildes et des clans sur Internet qui se créent autour des MMO, ces rencontres et ces pratiques vidéoludiques sont, selon Nachez et Schmoll, des « formes d’apprentissage de la sociabilité »,5 « un moyen ludique de se conformer à un savoir-vivre-ensemble »6.

Appropriation et création de contenus : des apprentissages informels

Parallèlement à ces processus d’apprentissages liés à l’activité vidéoludique, d’autres auteurs portent plus particulièrement leur attention sur les pratiques des « fans » et aux apprentissages que leurs passions provoquent. Autour des jeux vidéo, et tout particulièrement des jeux vidéo en ligne, se sont en effet développées depuis quelques années des pratiques sur Internet qui consistent à produire des images, des textes, des films, des programmes, des vidéos consacrés à un jeu vidéo. Franck Beau nomme craftware7ce processus d’appropriation, de création et de prolongement du jeu. Certains joueurs fabriquent des logiciels de jeu qu’ils mettent en ligne sur leur pages personnelles, écrivent sur leurs blogs des histoires rapportant leurs aventures dans les MMO, développent des vidéos qu'ils postent sur le site Youtube.

Analysant quelques-unes de ces productions vidéoludiques, Maude Bonenfant voit dans ces pratiques des espaces et des actes d’appropriation qui « peuvent s’exprimer dans une perspective ludique, mais aussi esthétique, éthique, sociale politique dans laquelle ils s’inscrivent. »8. Patrick Schmoll dans son analyse du MMO Mankind parle de « production culturelle collatérale » pour désigner l’ensemble des activités déployées autour du jeu9. Constatant ce même phénomène, Joost Raessens10 développe la notion de « culture participative médiatique » (participatory media culture), et distingue ainsi trois niveaux de participation :

- L’interprétation : les différentes stratégies de lecture pour interpréter et les discussions autour des jeux vidéo

- La reconfiguration : la transformation des contenus vidéoludiques

- La construction : la création de nouveaux éléments et de contenus originaux

1 Marc Prensky, « Computer Games and Learning », op. cit.

2 Julian Alvarez, Du jeu vidéo au serious game :Approches culturelle, pragmatique et formelle, op. cit.

3 Nicholas Negroponte, Being Digital, London: Hodder and Stoughton, 1995, p.229.

4 Magali Moisy, Philippe Mora, « Rencontre avec les champions : les goodgame », op. cit., p.146.

5 Michel Nachez, Patrick Schmoll, « Violence et sociabilité dans les jeux vidéos en ligne », op. cit., p.14.

6Ibid., p.16.

7 Frank Beau, « L’âge du craftware », in Frank Beau (dir.), Culture d’univers, jeux en réseaux, mondes virtuels, le nouvel âge de la société numérique, Limoges : FYP, 2007, pp. 269-282.

8 Maude Bonenfant, « Des espaces d’appropriation », Mediamorphoses, n°22, 2008, p. 65.

9 Patrick Schmoll, « Communautés de joueurs et mondes persistants », Mediamorphoses, n°22, 2008, p. 74.

Cependant, cette culture participative médiatique, insiste Joost Raessens, n’est pas nouvelle :

« l’idée que la participation est une caractéristique essentielle du jeu vidéo ignore le fait que dans

le cas de la radio, le cinéma et de la télévision, par exemple, chacun de ces médias avait leur propre version de ce concept. En 1932 ou 1934, Bertolt Brecht et Walter Benjamin militaient en faveur d’une transformation de la radio en dispositif de communication dans lequel l’auditeur ne

serait pas seulement un consommateur mais également un producteur d’information »1.

On peut rapprocher de ces analyses les travaux de Jenkins sur les Trekkies2, les communautés de fans de la série télévisée Star Trek, qui dès les origines du feuilleton, ont très largement influencé le contenu des épisodes en développant des magazines, « des fanzines », des nouvelles, des textes, des bandes dessinées avec des moyens de production souvent sommaires... Comme le souligne également Dominique Pasquier dans le cas de la série télévisée Hélène et les garçons, « le fan existe par sa capacité à agir sur un certain nombre de scènes sociales. »3 Contrairement à l’image d’un être isolé, désocialisé, qui dans sa chambre compenserait « dans le fétichisme son incapacité à vivre dans le monde qui l’entoure »4, l’amateur se caractérise d’abord par une forte participation en développant des activités sociales périphériques : il écrit, achète des magazines, se déplace aux conventions, salons, réunions, échange avec d’autres amateurs, essaie de convaincre ses pairs, etc.

Aussi bien pour Raessens que Jenkins, les technologies de l’information et de la communication ont facilité, voire accéléré, le phénomène des « fanfictions »,5 en mettant à la disposition des passionnés des moyens quasi-professionnels de production, en permettant à une diffusion large de leur production sur Internet, et plus encore en les confrontant à des publics, d’autres personnes passionnées du même produit culturel, qui vont peu à peu se constituer en communauté sur Internet. Ces regroupements sur le réseau mondial, consacrés aux loisirs, au divertissement ont en conséquence modifié la « donne» dans le champ des industries culturelles et les rapports entre producteurs, distributeurs et consommateurs. Les frontières entre professionnels et amateurs se déplacent au point que dans le cas d'une communauté de « fans » d'un programme télévisuel américain, the late show, le diffuseur sur Internet ne soit plus la chaîne mais la communauté elle-même6. On trouve des analyses similaires concernant le secteur du jeu vidéo : il existe une étroite collaboration entre les communautés de joueurs sur Internet et les concepteurs. Ces derniers sollicitent les membres des communautés comme testeurs au moment de la conception d’un jeu vidéo, les invitent à rapporter les dysfonctionnements et éventuellement à proposer des correctifs7.

Dans cette perspective, plusieurs travaux mettent en évidence des formes d’apprentissage, parfois proche de l’autodidaxie, de passionnés de musique, de jeu vidéo, de cinéma qui voient dans le réseau mondial une opportunité de créer. On peut ainsi penser au travail de Franck Léard qui constate dans le cas de la musique que le développement de plateformes multimédia telles que Dailymotion ou Youtube ont donné une visibilité aux pratiques amatrices et établi des nouveaux rapports entre créations, distributions et réceptions. Il s’intéresse à ces pratiques que l'on nomme « Lips-Sync », littéralement, « synchronisation des lèvres », où il s'agit de s'enregistrer en exécutant un « playback » parfait d'une chanson : « la chorégraphie ne doit rien à l’improvisation ou à la spontanéité d’un délire de fin d’après-midi : les paroles sont

1Ibid., p. 374.

2 Henry Jenkins, « la filk et la construction sociale de la communauté des fans de science fiction », in Hervé Glevarec, Eric Macé, Eric Maigret, Cultural Studies, Anthologie, Paris : Armand Colin, 2008, pp. 212-222

3 Dominique Pasquier, « la culture comme activité sociale », op. cit.

4Ibid.

5 Terme de Jenkins et des fans eux-mêmes pour désigner les créations réalisées par des passionnés d’un produit culturel.