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a L’être et le paraître : la persistance de croyances surnaturelles

Comme nous avons pu l'observer à propos de la définition du verbe croire, le sens donné au terme de croyance renvoie à un processus de conviction subjectif, individuel :

« Ce mot signifie proprement la persuasion où l'on est de la vérité d'une chose, d'une proposition quelconque. Le consentement que l'esprit donne à quelque chose. Considéré comme synonyme à foi, il en diffère par sa généralité. »319

318Lenormand (Marie-Anne Adélaïde), op. cit., p.20. 319

Deux choses à retenir : la première, à laquelle nous nous attendions, qui se rapporte à la présence des notions de persuasion, et de consentement de l'esprit. La seconde, qui sans être surprenante revêt un sens particulier, se voit dans cette comparaison avec le terme de foi. Il s'agit plutôt, en fait, d'une différenciation, d'une volonté de distinction par rapport à l'acception générale de deux termes souvent confondus. Il n'est pas anodin que le Trévoux s'attache à distinguer ces deux notions, et on peut y déceler un indice à la fois de l'existence de ramifications au sein du surnaturel, mais également de la hiérarchie que l'on cherche à y greffer. En ce sens, foi et croyances doivent être distinguées voire opposées, puisqu'elles représentent respectivement aux yeux des autorités religieuses le surnaturel conventionnel d'une part, et le surnaturel dégénéré d'autre part. Il y a le surnaturel que l'on cherche à instituer et à contrôler, et celui que l'on cherche à éliminer car il est incontrôlable. Il peut être intéressant de noter que le terme de croyance n'a pas d'entrée dans l'Encyclopédie.

Cette définition analysée, le plus important pour nous est de voir que les croyances surnaturelles ont toujours existé du fait de l'hybridation qui s'opère continuellement dans l'esprit des hommes entre ce qui est, et ce qui paraît. Autrement dit, quels que puissent être les outils à sa disposition, l'Homme est libre d'interpréter les phénomènes comme bon lui semble, et le progrès ne représente pas une autorité incontestée, par l'expression d'une science qui se voudrait inébranlable. On trouve dans l'article Crédulité de l'Encyclopédie quelques phrases gravitant autour de cette notion de

paraître, et qui mettent en avant la dimension individuelle de la conviction, en tant

qu'élément primordial de cet ensemble auquel participent les avatars du progrès, avec l'avancée des connaissances humaines et leur diffusion, ou encore une scientificité qui se veut de plus en plus précise et exigeante :

« Mais il ne s'agit point de ce qui est ou de ce qui n'est pas, il est question de ce qui nous paroît. C'est avec nous mêmes qu'il importe de nous acquiter ; & quand nous serons de bonne foi, la vérité ne nous échappera pas. Il y a le même danger à tout rejetter & à tout admettre indistinctement ; c'est le cas de la crédulité, le vice le plus favorable au mensonge. »320

La crédulité est ici qualifiée de vice, et le contenu de cette définition est très clair. Dans le processus qui est celui de la distinction entre le vrai et le faux, la dimension subjective est centrale. L'auteur insiste en effet sur le fait qu'au-delà de la prise en compte des différentes théories et autres raisonnements scientifiques sur un problème donné, c'est

320

avec son propre esprit qu'il convient de faire la part des choses, en distinguant bien ce qu'il est censé devoir croire et ce qu'il a envie de croire. Une fois la bonne attitude adoptée, il semblerait que l'accès à la vérité ne soit plus qu'une formalité.

Ce qu'il faut retenir ici, c'est qu'il serait réducteur de considérer que le siècle des lumières balaye les croyances et les superstitions de manière totale et immédiate, sans prendre en compte la conscience qu'avaient les philosophes eux-mêmes de l'ambiguïté des processus de conviction, et de la force d'arguments se situant en dehors de la raison qu'ils prônaient, ou contre elle. La bibliographie nous renseigne sur un grand nombre d'exemples qui traduisent la persistance de phénomènes relatifs à ces interactions existant entre ce que la science, la philosophie ou la religion diffusent comme vérité, et la manière dont cette dernière se cristallise dans les esprits.

L'exemple de la perception de la maladie est très intéressant. On note en effet que

« les effets conjugués de l'Eglise et des Lumières »321 ne réussirent pas à venir à bout, dans certaines régions de France, de croyances bien ancrées comme celle de « l'origine

surnaturelle de la maladie, qui était générale »322. Une fois considérée cette pérennité de

certaines représentations, on s'étonnera moins du succès de personnages comme Cagliostro ou Casanova, qui brillèrent par leurs prétendues guérisons miraculeuses, ou par le succès d'individus restés moins célèbres mais dont la démarche fut plus sincère, comme Antoine Fabre d'Olivet (1767-1825). Ce dernier développa tout un système autour de ce que l'on appellerait aujourd'hui la musicothérapie323, et certains témoignages racontent des guérisons miraculeuses, avec des patients sourds-nés qui recouvrent l'ouïe. Si la maladie possède une origine surnaturelle, rien d'étonnant à ce que la guérison relève également de cette sphère.

Nous pourrions également citer l'exemple un peu plus complexe de la sorcellerie, lié à des représentations bien ancrées au sujet de l'action possible du diable dans le monde des hommes – véritable obsession pour certains jésuites – mais qui doit surtout être appréhendé en ce qu'il montre que « l'intervention, non seulement possible mais effective,

de Satan dans le monde était admise par tous, de haut en bas de l'échelle sociale et intellectuelle »324.

Un dernier élément peut-être moins connu, et mis en lumière dans une publication récente, concerne la recherche des trésors cachés dans le monde, qui prend « en France et

321Audisio (Gabriel), op. cit., p.316. 322Ibid.

323Fabre d’Olivet (Antoine), Notion sur le sens de l’ouïe, Paris, Chez C. Bretin, 1811. 324

en Europe, une ampleur inédite entre le XVIIIe et le XIXe siècle »325. Loin de réduire cela à

de la superstition, l'auteur indique que « cette pratique ancienne participe pleinement de la

logique économique propre au mercantilisme, fondée sur la richesse métallique dont la quantité globale serait limitée »326. Le surnaturel se glisse ici dans un domaine où on ne

l'attendait pas forcément.