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Chapitre 3- La part du milieu : quelques éléments sur le paysage

4. L‘organisation de l’espace domestique

Dans cette longue évolution, nombreuses sont les étapes en matière d’évolution culturelle. Rien n'a jamais ni commencement ni fin, et toute forme de découpage est donc d'une certaine façon arbitraire. (Ibid., Forest, p. 21) Nous sommes cependant contraints d'établir des césures dans le cours de la longue histoire de l’appropriation du territoire par l’action d’habiter. Selon la variation des conditions environnementales entre le Nord et le Sud de la vallée mésopotamienne, trois types d’organisation de l’espace domestique ont existés. Deux types ont évolués et existent encore aujourd’hui comme on va le voir.

4.1. L’organisation monocellulaire de l’espace « la tholoi »

La culture de Half ainsi que ses cractéristiques architecturales ont fait l’objet de plusieurs études (Mallowan et Rose (1935), Merpert, Munchaev et Bader (1981), Hours et Copeland (1987), Breniquet (1987). L’ensemble de ces études montre que le mode de vie halafien est original par rapport à celui des autre groupes humains du Proche-Orient. Alors que l’architecture rectangulaire tend à se généraliser dès le 8e millénaire, l’habitat halafien est toujours circulaire, fait de la juxtapositions de petites cellules rondes (appelées tholoi), de taille et de fonctions différentes, parfois associées à des batiments quadrangulaires (Breniquet 1987, p. 237)198

.

Tandis que l’abri en roseau, probablement, existe au sud de la vallée, la tholoi circulaire, représente l’habitat le plus ancien et le plus primitif découvert dans la partie nord de la vallée mésopotamienne. L’habitat halafien avec des constructions monocellulaires, juxtaposant des cases sans doute individuelles tend à devenir quadrangulaire (et pluricellulaire) à l’extrême fin de la période 5 600/5 500 av. J.-C., selon les évidences archéologiques figure (3-17).

198

Breniquet, C., 1987, Nouvelle Hypothèse sur la Disparitions de la Culture de Halaf, in Préhistoire de la Mésopotamie, Editions du CNRS, Paris, pp.231-241.

Figure (3-17) : plan des tholoi halafiennes d’Arpachiyab, au 6e siècle av. J.-C., d’après Mallowan et Rose 1935, p25.199 La photographie est une carte postale de la fin des

années trente montrant un village à la campagne au nord-est de d'Alep, en Syrie (Peter Akkermans 2010, p. 26)200

.

Certaines tholois possèdent un foyer ou une annexe, tandis que d'autres ont probablement servi au stockage du grain. Certaines cases rondes, parmi les plus vastes, sont associées à une pièce rectangulaire (destinée peut-être à la réception), et forment avec celle-ci un plan "en trou de serrure" caractéristique de l’architecture halafienne (Ibid., Forest, p. 28). Cela suffit à montrer que toutes les tholois n'ont pas la même fonction, et donc, selon Forest, que l'habitat halafien était composite. (Ibid., p. 30)

Chaque habitation abrite une famille (nucléaire en raison de la taille des installations), plutôt qu'un individu unique. L’essor démographique n'aboutit pas à la formation de communautés plus vastes, et le dynamisme du Halaf se manifeste à travers 1'expansion géographique dans la partie nord de la vallée mésopotamienne, d'où la notion de communautés domestiques agricoles segmentaires (Ibid., p. 51).

La forme de cet habitat a beaucoup surpris, a la fois parce qu'elle tranche sur 1'architecture quadrangulaire complexe adoptée par les autres cultures de l'époque (Samarra et Obeid), et parce qu'elle semble s'écarter de la tendance évolutive générale,

199

Mallowan, M.E.L. et J.C. Rose 1935, Excavation at Tell Arpachiyah, 1933, Iraq 2, 1-178.

200

Akkermans P., 2010, Late Neolithic Architectural Renewal : The Emerhence of Round House in the

Northern Levant, ca. 6500-600 BC, In Diane Bolger &Louise Maguire (eds.), The Development of Pre-

qui va globalement dans le sens d'une architecture ronde à une architecture quadrangulaire (Ibid, p. 27). Flannery (1972)201 estimait que le complexe constituait le

plus ancien type d'habitat qui ait existé au Proche-Orient, mais que les maisons rondes qui apparaissent dans les premières phases de la sédentarisation ne nous semblent pas participer de ce type. Le complexe n'est attesté que plus tard, lorsque l'agriculture et l'élevage sont totalement maitrisés, et doit d'ailleurs son existence à la nécessite pour un petit groupe humain de collaborer dans le cadre de ce nouveau mode de production. II ne représente de ce point de vue qu'une solution parmi d'autres, et ne constitue jamais la forme prédominante puisque les autres cultures de l'époque (comme nous le verrons) optent pour une autre solution. (Ibid, Forest, p. 31)

4.2. L’organisation tripartite de l'espace

L’organisation tripartite de l'espace est apparue vers 6 600/6 500 siècle av. J.-C. dans plusieurs cultures (Samarra au Nord de Bagdad actuel et Obeid dans le Sud près des marais actuels).

La tradition de Samarra et d’Obeid trouve son origine dans des zones moins favorables, développe (au contraire de la tradition d’Halaf) une structure d'entraide plus étendue, et admet par conséquent des unités de production restreintes, organisées en de véritables villages. Cette tradition d'entraide élargie se prête moins à la segmentation des communautés, et permet à celles-ci d'absorber l'essor démographique dans la partie sud de la vallée mésopotamienne, d’où la notion de communautés domestiques agricoles intégrées. (Ibid., p. 51)

L'espace s'organise à partir de trois oppositions binaires: centre/périphérie, gauche/droite, avant/arrière (figure 3-18). Chaque bâtiment comprend trois espaces proprement habitables: le hall central (de l’ordre de 30m2) et dans chaque aile une pièce de 13m2 en moyenne, associée à diverses annexes. La pièce principale rassemblait toute la maisonnée, tandis que les pièces d'habitation latérales scindaient le groupe familial en

201

C'est précisément cette forme d'habitat, très fréquente en Afrique, que Flannery (1972) propose comme modèle pour rendre compte du cas Natoufien, à l'aube du Néolithique au Proche- Orient. (Ibid., Forest, p. 30). Des habitats semblables existent encore actuellement en Afrique et sont le fait de communautés de taille restreinte, relativement mobiles et à tendance polygame (Ibid., Breniquet, pour des références plus complètes).

deux moitiés d'ampleur comparable, et un espace central communautaire s'opposait donc à des zones latérales privatives. L'opposition gauche/droite correspondait ainsi à l'isolement, de part et d'autre du hall central, des deux éléments qui constituaient le groupe familial. Enfin, la partie avant de la maison se définit par rapport à l'entrée, associée à une cage d'escalier à double volée (marquée par deux pièces allongées et parallèles dans un angle du bâtiment) qui menait aux terrasses. II y avait donc à l'avant des pièces utilitaires, vouées à la circulation et au rangement, tandis que les appartements privés étaient repoussés à l'arrière. On s'aperçoit cependant que cette opposition avant/arrière se manifeste également dans le hall central. Le rectangle, en raison même de sa forme allongée, engage à distinguer deux pôles. (Ibid., p. 41)

L’organisation tripartite de l'espace est une volonté de créer un centre de la vie domestique. Elle forme un bloc clos sur lui-même. L’espace dans lequel s’inscrivent la cour centrale et les pièces qui la bordent ne communique pas avec l’extérieur ; seule la cour fournit l’air et la lumière.

Figure (3-18): restitution isométrique partielle d’une maison tripartite de l’époque d’Obeid. (Roaf, 1982, p.43): S. Roaf, in Curtis, J. 1982, Fifty years of Mesopotamian

discovery, Londres.

Ce type de maisons a généralement suivi un plan qui est encore habituel dans la région aujourd'hui (comme les maisons traditionnelles à Bagdad et Bassora). Le passage d'entrée

conduit dans une cour centrale, souvent fermée et, en tournant, est comme un bouclier faisant de telle sorte que l'intérieur de la maison est à l’abri des regards et de la poussière de la rue. Dans le climat de la Mésopotamie qui a une chaleur étouffante une grande partie de l'année, la cour fournit une combinaison d'air frais, d'ombre et de lumière, permettant qu’une grande partie de la vie soit vécue à l'extérieur mais dans l’espace privé (McIntosh, 2005, p. 152).

La tradition de Samarra et d’Obeid semble la plus dominante dans la vallée de la Mésopotamie et l’analyse de ce type d’organisation fait par les archéologues a fait ressortir le fait que l’on a cette fois affaire à une architecture intégrée.

4.3. L’organisation de la maison de roseaux

L’existence probable de huttes en roseaux sur les sites de l’Iraq méridional est prouvée indirectement par les empreintes laissées dans l’argile. Ces structures périssables ont laissé peu de traces pour les archéologues, de sorte qu'un nombre limité de maisons est connu (McIntosh, 2005, p. 58).202 (figure 3-19).

Figure (3-19) : l’habitat traditionnel en roseaux n’a guère changé avec le temps, et les grands mudifs qui le dominent (tout à la fois salles d’bote, salles de réception et salles d’hôte et de conseil) sont déjà représentés aux environs de 3 000 av. J.-C. selon Forest. (photo à gauche : Ibid., SARTEC Lausanne) (photo à droite : de l’auteur en 2008).

202

Un autre type de bateau qui remonte à des temps très ancien dans la région est la barque de roseaux, peu profonde et à fond construit de bottes de roseaux cousus ou liés avec des cordes en fibre de roseau ou de palmier. (Ibid. p. 140)

Ce genre de vestiges laisserait plutôt supposer l’existence de murs en clayonnage (Aurenche 1981, p.105)203, mais l’observation ethnographique montre que les deux types

vont de pair et que, dans les marais, les maisons en purs roseaux côtoient les maisons dont les parois végétales sont ensuite enduites de terre. Les premières semblent même plus répandues que les secondes. (Heinrich, 1934, p. 17)204 Il est probable qu’il en allait

de même dans l’Antiquité. On postule donc l’existence de constructions dont les parois sont en matériaux végétaux à Hajji Mohamed, à la période (5 000-4 500 av. J.-C.) (Ibid., Aurenche p.105). Des vestiges semblables ont été retrouvés à Uruk (figure 3-20), (Ibid., pp.12-19) et à Ubaid (Woooley, 1924, p. 344 ; Lloyd, 1960, p. 24 et pp. 23-31)205

. Le raisonnement de Woolley à Ur est proche et l’examen des empreintes conduit à la même conclusion :

« In the corrugations could be seen the imprint of the fibrous stems of reeds. It

was obvious this way was the clay plaster that had been applied to the side of a hut built of reeds precisely as reed huts in Lower Iraq today. »206 (Wooley,

1955, p. 7)

En effet, la proximité du marais suggère l’emploi de roseaux, ceux-ci fournissant un moyen de subsistance riche pour les chasseurs-cueilleurs de la préhistoire. Bien que leurs établissements n’aient pas été retrouvés, il est probable que les groupes de chasseurs- cueilleurs vivaient dans des constructions confectionnées exclusivement à l’aide de matériaux végétaux, roseaux, massettes ou joncs.207 « Les marais fournissaient

probablement aussi les roseaux nécessaires à la construction de huttes » (De Contenson, 1972, p. 79).

203

Olivier Aurenche, 1981, La maison orientale, l’architecture du Proche Orient ancien, des origines au

milieu du quatrième millénaire, Institut français d’archéologie du Proche Orient, Bibliothèque

archéologique et historique-T.CIX, Paris.

204

Heinrich, 1934, Schilf und Lehm, Verlag fur Kunstwissenschaft, Berlin.

205

Woolley, 1924, Remains of huts built with daub and wattle walls, Excavations at Tell el Obeid, In

AntJ,4, pp. 329-346. Lloyd, S., 1960, Remnants of hut constructed of reeds and clay p24, pp. 23-31.

206

Traduction : dans les ondulations peut être vue l'empreinte des tiges fibreuses de roseaux. Il était évident que cela était le plâtre d'argile qui avait été appliqué sur le côté d'une hutte de roseaux construite précisément comme les huttes de roseaux dans le sud de l’Iraq actuel.

207

Figure (3-20) : salle des piliers à Uruk au bord des marais mésopotamiens (restitution proposée par Heinrich).

En effet, il n’y a aucune raison de penser qu’il n’en allait pas de même dans l’Antiquité, malgré l’absence de preuves formelles. Il est probable que les plus anciennes habitations aient été construites à l’aide de roseaux liés en bottes, lesquelles servaient à élever une charpente cintrée recouvertes de nattes tressées avec le même matériau. Comme les habitants des marais de la période récente, les habitants du Sud de la Mésopotamie construisent souvent leurs étables en roseaux. Ces étables sumériennes sont semblables à celles des Rabas (salle de famille en roseaux) d’aujourd’hui, dont le modèle nous a été transmis par des bas-reliefs datant du 2e millénaire av. J.-C. Une armature de bottes de roseaux forme des arceaux sur lesquels sont fixées des nattes. Au centre de la façade, la porte s’ouvre entre deux piliers de roseaux, et des piliers semblables contre-butent les angles et les côtés de la construction (figure 3-21).

Figure (3-21) : bas-reliefs datant du 2e millénaire av. J.-C. : (i) Timbre cylindré en pierre sur lequel avait été gravé une façade des étables et des abris de stockage en roseaux ; (ii) un fragment de tablette d’argile, sur lequel avait été dessinés un relief de corral avec des Buffles.

Espace d’accueil Espace privé

En général, les évidences archéologiques nous conduisent à deux types de construction : • la construction entière en roseaux tel qu’on peut la voir aujourd’hui et sur des

tablettes sumériennes (figure 3-22).

• La construction composée de murs en terre avec une toiture de roseaux dont la présence est prouvée indirectement par les empreintes laissées dans l’argile mais qu’on ne peut plus voir dans la période récente. L’archéologue Allemand E. Heinrich propose un dessin imaginaire du deuxième type (figure 3-23).

Figure (3-22) : la construction entièrement en roseaux où l’espace intérieur peut être divisée par une cloison intérieure en deux parties selon le besoin de la famille (Ibid., Heinrich, p. 14)

Aurenche affirme que le Proche-Orient ancien a connu ce types de construction, comme aujourd’hui, et sans doute dans les mêmes proportions, des constructions aux murs et aux parois entièrement fabriqués de bois ou d’élément végétaux. (Ibid., Aurenche p. 106) Malgré le caractère un peu particulier de ces constructions, il ne paraît donc pas impossible d’affirmer que ce type de construction a joué et joue un rôle important dans la tendance évolutive probable de ce territoire, et qu’il reste sans aucun doute un témoignage d’une véritable durabilité qui inscrit sa continuité de l’Antiquité à la période récente. Or, les preuves archéologiques d’Oschenschlager208 (2004) (un travail

d’excavation à Al-Hiba entre 1968-1990) montrent que le style de vie pré-drainage des habitants des marais a été comparable à celui des temps anciens ; il n'a pas été statique. Mais l’hypothèse la plus probable selon Martin Sauvage est celle d’une convergence technologique culturelle issue des conditions du milieu. Avec le roseau pour seul matériau de construction disponible en abondance, les capacités d’invention humaines aboutissent à des solutions techniques similaires.

5. L’évolution des premiers villages dans la partie sud de la vallée