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Chapitre 2- Repères historiques et géographiques

4. Les habitants des marais

Démographiquement, les marais ont été dans le temps le lieu de résidence de plusieurs centaines de milliers d'habitants (les habitants des marais). Malheureusement, il n’y a pas de données officielles disponibles concernant la population et la densité des habitants.

Les estimations de la taille de la population ont varié largement à cause du manque de données officielles du gouvernement et de l'inaccessibilité relative de la région. Cependant une étude anthropologique estime leur nombre à 400 000 dans les années 1950. (Salim 1962, p. 11)167 Mais, la migration économique entre les années 1960 et 1980 a réduit la population

à quelque 250 000 en 1991, selon les statistiques gouvernementales.

L’origine de toutes les grandes tribus des habitants des marais remonte à l’une ou l'autre des tribus connues de l'Arabie. Leurs revendications ne sont pas entièrement conformes aux vues des archéologues et des anthropologues. Quand Henry Field a visité la région des marais et a

167

Salim S.M., 1962, Marsh dwellers of the Euphrates delta, School of economics monographs on social anthropology, University of London, the Athlone press, London.

souhaité connaître la relation des habitants des marais avec les arabes des environs, il a rappelé la théorie selon laquelle les arabes des marais sont les descendants directs des Sumériens qui vivaient en Iraq, il y a environ 5 000 ans, et qu'ils ont été conduits dans les marais pour leur protection. (Field 1936)168

Henri Francfort considère que les iraquiens des marais étaient déjà installés aux cours des cinquième et quatrième millénaire avant J.C. L’opinion de Francfort était fondée sur des preuves archéologiques, que « la poterie montre les premiers colons de la Mésopotamie du sud et suppose qu'ils sont venus de la Perse ». (Francfort 1951, pp. 44-50)169

Un autre archéologue, Seton Lloyd (1943), soutient ce point de vue. « Ce serait une erreur, cependant, d'imaginer que tous les cultivateurs du sud de l’Iraq sont fournis par l'apurement progressif des arabes nomades. Lloyd justifie ce constat par des observations:

« Any anthropologist who has watched a brachycéphalie Mesopotamian fellah

patiently trenching his field with the identical spade which appears in Assyrian reliefs or carrying home on his shoulder the elementary wooden plough of Sumerian drawings, must realize that this Iraqi at least has his roots in the pre- Arab past of the country.170 » (Lloyd 1943, pp. 17-18)171

Dans un autre travail Seton Lloyd affirme à propos des Arabes des marais que « leur vie présente des circonstances très proches de celles des premiers habitants préhistoriques. » il ajoute que « les jolies maisons d'hôtes de leurs cheikhs, qui sont une analogie des cathédrales ornées, entièrement construites en roseaux et en terre, se rapprochent des premières représentations des temples proto-sumériens du quatrième millénaire avant J.-C. ». (Lloyd 1947, p.20)172

Wilfred Thesiger explique que les anglophones appellent souvent les habitants « Arabes des marais » mais lui ne préfère pas ce nom ; il est convaincu que :

« Most of them [the inhabitants] are not pure Arabs but belong to earlier stock.

Among the Ma’dan there is probably Sumerian, Babylonian, and Persian blood.

168

Field H., 1936, Marsh Arabs of Iraq, Asia, August.

169

Francfort H., 1951, The Birth of Civilization in the Near East, London.

170

Traduction : Tout anthropologue qui a regardé un fellah mésopotamien brachycéphale laboureur patiemment son champ avec la même bêche que l’un observe sur les reliefs assyriens ou ramenant chez lui, sur son épaule, la charrue élémentaire en bois des de dessins sumériens, doit réaliser que ce iraquien a au moins ses racines dans la passé pré-Arabe du pays.

171

Lloyd S., 1943, Iraq, Oxford Pamphlets on Indian Affaires, No.13, Bombay.

172

The Ma’dan are buffalo-owning marsh dwellers. In the same tribe, or even in the same family, living on the edge of the marshes, one man may call himself a fellah, or cultivator of the soil, another Ma’di, or marshman. The difference is not one of race but of habitat, and to some extent of occupation. »173 (Thesiger 1958, p. 212)174

Il marque une différence entre le fellah et le Maadan :

« Ma’dan and fellah both keep buffaloes, grow rice, move about in canoes, and

spear fish. Among the Ma’dan the emphasis is on buffaloes. There animals are the most important things in their lives, as vital to them as camels are to peoples of the desert; among the fellahs it is cultivation of the soil that matters most. »175 (Ibid)

Dans toutes les discussions sur l'origine des habitants des marais iraquiens, il y a des points qui doivent être considérés, comme l’affirme l’anthropologue iraquien Salim M. Salim. Premièrement, il est essentiel de distinguer à la fois culturellement et racialement entre un "Groupe de l'Est" des habitants Maadans des marais, et d'autres tribus du Tigre implanté sur l'un des côtés, et un «groupe de l’Ouest » des habitants non Maadans de l'Euphrate implanté sur l’autre côté.

Deuxièmement, il est probablement prudent de supposer que les tribus des marais du Tigre, depuis des temps immémoriaux, étaient en contact étroit avec leurs voisins de l'Est (habitants perses) des marais tandis que les habitants des marais de l'Euphrate ont été en contact avec leurs voisins bédouins de l'Ouest.

Troisièmement, toute la plaine alluviale du sud de l'Iraq a été le site de l’ancien royaume sumérien et babylonien. Ainsi, Salim affirme : « il semble raisonnable de penser que les habitants des marais de l'Iraq sont en partie des descendants des Sumériens et des Babyloniens, bien que leur nombre ait augmenté avec les immigrations et les mariages mixtes avec les Perses à l'Est et les Bédouins, à l'Ouest. Une telle vue est compatible avec les

173

Traduction: la plupart d'entre eux (les habitants) ne sont pas des purs Arabes mais appartiennent à un stock plus ancien. Parmi les Maadans il ya probablement individus de sang sumérien, babylonien, persan. Les Maadans sont des habitants des marais propriétaires de buffles. Dans la même tradition, ou même dans la même famille, vivant sur la bordure des marais, un homme pourrait se dénommer lui-même fellah ou cultivateur de la terre et autre Maadan ou homme des marais. La différence n'est pas celle de race mais celle de l'habitat, et dans une certaine mesure, celle de l'occupation.

174

Thesiger W., 1958, Marsh Dwellers of Southern Iraq, the national geographic magazine, vol. CXIII, n°2.

175

Traduction : le Maadan et le fellah, tous deux, gardent des buffles, cultivent du riz, se déplacent en canoës et pêchent du poisson. Chez les Maadans l'accent est mit sur les buffles. Là, leurs animaux font ce qui le plus important dans leurs vies, aussi vitale pour eux que le font les chameaux pour les peuples du désert ; parmi les

découvertes archéologiques, et explique les différences physiques et culturelles entre les deux groupes distincts des habitants des marais tels qu'ils existent aujourd'hui ». (Ibid., Salim 1962, pp. 8-9)

Les désignations de la population comme « Arabes des marais » et Maadans, ou la question de leurs origines, ne sont pas le sujet ici comme d’ailleurs dans la plupart des études sur cette région. Aussi, dans cette thèse qui s’intéresse à l’habitat et à les conditions environnementales, économiques et sociales, on utilise le mot « habitants » et on distingue, théoriquement, trois groupes d’habitants des marais quelle que soit leur origine : le groupe des cultivateurs, le groupe des cueilleurs de roseaux et le groupe des éleveurs de buffles que nous décrivons section dans suivante.