• Aucun résultat trouvé

La crise environnementale et humanitaire dans les marais de Mésopotamie

Chapitre 2- Repères historiques et géographiques

2. La crise environnementale et humanitaire dans les marais de Mésopotamie

drainage très étendus, en partie à cause de l'accumulation de barrages construits en amont sur le Tigre et l’Euphrate et par des opérations de drainage massif durant le précédent régime iraquien. En 2001, l’organisation des Nations Unies a alerté le monde sur cette situation critique révélée par la diffusion d’images satellites montrant que 90% des ces zones humides légendaires, avait été détruit. (Ibid., PNUE, Demise of an Ecosystem, 2001) (Figure 1-2) D’autres études publiées en 2003 ont démontré que 3% supplémentaire, soit 325 km2, avait disparu. Les marais Mésopotamiens sont alors sur le point d’être rayés de la carte par les ingénieurs de Saddam Hussein.

De ce fait, les nombreux avantages économiques fournis par les marais, la pêche, la chasse, la culture du riz, l’approvisionnement en roseaux pour la construction ainsi que le tourisme, ont été perdus. « Comme leur écosystème qui maintient la vie a disparu, au moins 40 000 habitants environ, soit un demi million d'Arabes des marais ont cherché refuge en Iran, tandis que le reste a été déplacé dans des conditions inconnues à l'intérieur de l'Iraq ». (Ibid., p. 10)

Historiquement, pendant la guerre entre l’Iran et l’Iraq (1980-1988) et après l’évacuation du Koweït par l’armée iraquienne, des milliers d’iraquiens, fuyant la terrible répression qui suivit l’échec de leur soulèvement (mars-avril 1991), ont cherché eux aussi un refuge dans les marais, d’où ils tentaient de poursuivre la lutte. La répression contre les habitants des marais depuis 1988 a été motivée par une combinaison de différents facteurs. En outre « le fait que les habitants des marais sont chiites, les autorités iraquiennes les ont pris pour cible car les marais sont un terrain de refuge pour les opposants politiques du régime mais aussi parce que, en 1991, les habitants des marais eux-mêmes ont pris part à la rébellion contre le

gouvernement de Bagdad ». (HRW 2003)154 En 1993, Human Rights Watch estimait la

population rurale des marais à environ 200 000, ayant pris en compte le grand nombre de déserteurs de l'armée et les opposants politiques qui cherchaient refuge dans la région après 1991 » (HRW 1993).155

En 2002, on comptait environ 20 000 habitants d'origine, le reste ayant fui ou émigré vers l'Iran ou ailleurs, et un minimum approximatif de 100 000 installés dans d’autres régions d’Iraq156

. Dans la même année, Minority Rights Group estime que la taille de la population indigène avait diminué à environ 50 000. (MRG 1993)157

Human Rights Watch estime que la plupart des actes de répression systématique du

gouvernement iraquien sur les habitants des marais constituent un crime contre l'humanité. Les crimes ont été commis dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique contre la population civile des marais au cours de la décennie des années 1990. Selon Human Rights

Watch les crimes sous-jacents comprennent: (Ibid., HRW 2003, p. 2)

• L’assassinat de milliers de civils non armés en mars 1991 après l’insurrection avortée, par exécutions sommaires, bombardements aveugles et bombardements de zones résidentielles dans les villes et villages des environs de Basra, Nasiriya, Amara et dans la région des marais;

• L’expulsion de la population : transfert forcé d'une partie de la population arabe des marais de leurs villages d'origine vers des colonies situées sur la terre ferme à la périphérie des marais et le long des routes principales pour faciliter le contrôle du gouvernement sur elles;

• L'emprisonnement arbitraire et prolongé de milliers de personnes qui avaient été arrêtées du jour au lendemain après le bombardement militaire des zones

154

Human Rights Watch, 2003, The Iraqi Government Assault on the Marsh Arabs, Briefing Paper, [en ligne] disponible sur: http://reliefweb.int/node/117836

155

Middle East Watch (now Human Rights Watch/Middle East and North Africa), 1993, Current Human Rights Conditions among the Iraq Shi'a: Summary of Findings of a Middle East Watch Mission, January 28- February 14, 1993.

156

Brookings estime qu'entre 20 000 à 40 000 individus issus de la population locale font peut-être encore dans la région des marais, et que « plus de 100 000 ont du être déplacés. Source: John Fawcett & Victor Tanner, the Internally Displaced People of Iraq. The Brookings Institution, 2002, Washington D.C., SAIS Project on Internal Displacement, p.31.

157

résidentielles dans les marais, dont des civils et autres personnes soupçonnées d'activités anti-gouvernementales;

Selon l’enquête menée sur un total de 199 villages dans trois gouvernorats du sud de l’Iraq, réalisée en collaboration entre l’Université de Thi-Qar et le programme des Nations Unies pour l’Environnement, en septembre 2007, quatre types d'effets négatifs ont été spécifiés dans les villages des marais en raison de la politique brutale du dernier régime. (Thi-Qar &

PNUE 2007)158

Il s’agit de la destruction de soixante-treize villages, du bombardement de trente-deux villages, d’un déplacement de cent-soixante-trois villages (c'est l'effet le plus courant qui a affecté la plupart des villages), et de l’incendie qui a touché huit villages. Géographiquement et administrativement les marais étaient restés relativement isolés du contrôle du gouvernement central jusqu'à la fin de la guerre Iran- Iraq de 1980 à 1988. « Les marais centraux comme l’ensemble des marais mésopotamiens […] ont été dévastés par l'effet combiné de la construction de barrages en amont et du drainage massif qui a eu lieu dans le sud de l'Iraq vers la fin des années 1980 et au début des années 1990 » (Ibid., Partow 2001, p. 11). La destruction des marais iraquiens a mené à des conséquences graves pour la population humaine et pour la faune. Bien que la responsabilité des atrocités commises contre les habitants soit celle de Saddam Hussein, l'assèchement du marais peut être attribué à un certain nombre de décisions politiques prises dans le bassin de du Tigre et de l’Euphrate (figure 2-1).159

Le plan gouvernemental de cette époque incluait le creusement d’un immense canal, nommé « le projet de la mère des batailles », ou la « troisième rivière », long de 50 km et large d’un kilomètre! Ce canal, qui apparaît de façon spectaculaire, au sud de ville d’Amara, sur les photos prises par les pilotes alliés survolant les marais, est alimenté par une énorme digue transversale: le but était l’assèchement du lac Hammar, dont la superficie aurait déjà

158

Démographiques socio-économique étude des marais irakiens-Gouvernorats du sud, Rapport final, 2007,

édition université de Thi-Qar et le programme des Nations Unies pour l’Environnement.

159

Faire disparaître ce territoire des marais de la carte était une volonté politique : ce sanctuaire pratiquement impossible à contrôler est en effet situé dans une région aussi stratégique, à cheval sur la frontière avec l’Iran, pays voisin « ennemi abhorré ».Sous prétexte d’aménager la région pour la rendre “propice à l’agriculture”, les ingénieurs iraquiens ont entrepris, depuis la fin 1991, de creuser d’innombrables canaux de drainage, et ont construit de nombreuses routes sur des digues qui empêchent les eaux du Tigre et de l’Euphrate de s’écouler dans les marais. Ces digues permettent aussi à l’armée de pourchasser jusqu’au cœur des marais les chiites « irréguliers » qui s’y sont réfugiés: harcelés par les tirs de l’artillerie et des mortiers de l’armée iraquienne, plusieurs milliers d’habitants ont dû se réfugier en Iran.

diminuée de la moitié environ, entre 1984 et 1992 sur les images satellites. Les ingénieurs iraquiens ont entrepris également de gros travaux détournant les eaux du fleuve pour alimenter un lac artificiel de 60 kilomètres de long, en plein désert! Les “grands travaux” de Saddam Hussain et la réduction de débit provoqué par la construction des barrages en Turquie vont avoir des conséquences catastrophiques pour les marais du sud de l’Iraq et pour leur population, pour leur faune et pour leur flore.160

Nous estimons que ces modifications structurelles changent la nature même des marais mésopotamiens les faisant évoluer d’une zone humide « effective » (qu’on observe réellement sur le terrain, défini par des critères hydrologiques, de végétation et de sol) vers une zone humide « potentielle » (qui serait effective et efficace en l’absence de drainage ou de perturbations liées aux activités humaines en amont)161.

160

Les centres GRID de Genève et de Sioux Falls, en collaboration avec l'Office Régional du PNUE pour l'Asie Occidentale, se sont lancés dans une étude conjointe de surveillance des changements environnementaux du bassin de drainage du Tigre et de l'Euphrate. Les images obtenues par télédétection (Landsat MSS/ETM et Corona) et d'autres données annexes seront utilisées afin d'évaluer les changements qui ont eu lieu dans la région depuis 30 ans (1970-2000). Les résultats de cette étude ont été publiés au printemps 2001 et ont été accompagnés d'un site Web IMS interactif, d'une série de cartes et de posters afin de sensibiliser le monde et la région de l'ampleur et de l'importance de ces changements environnementaux, dans un des points les plus chauds du globe en matière d'eau. Le PNUE espère que de telles évaluations scientifiques pourront promouvoir une meilleure compréhension des défis que rencontrent les eaux transfrontalières au Moyen Orient dans ce nouveau millénaire et encourager la communauté internationale à assister les pays riverains pour qu'ils parviennent à un accord sur le partage des eaux des fleuves.

161

Parmi les diverses classifications des zones humides existantes, celle de P. Mérot propose trois catégories: les zones humides effectives, les zones humides efficaces, et les zones humides potentielles. In Cizel, Olivier, 2006, Les différentes définitions des zones humides et leurs implications, p.10 ; Source : documentation du Conservatoire des Espaces Naturels du Languedoc-Roussillon, Montpellier, France.

Figure (2-1) : les décisions politiques prises dans le bassin du Tigre et de l'Euphrate pour assèchement des marais mésopotamiens : (i) le projet du canal de drainage Aliz pour couper les eaux coulant de tous les défluents du Tigre dans la partie nord des marais centraux. (ii) la construction de digues le long des rives de l’Euphrate dans la partie sud des marais centraux. (iii) le projet de la troisième rivière pour changer le cours de l’Euphrate. Source du fond de carte : (New Eden 2006, Book1); le texte en rouge sur la carte est ajouté par l’auteur.