• Aucun résultat trouvé

1. Le droit au travail : un principe sous-jacent de validité et d’interprétation des clauses

1.1 La règle de l’article 2089 C.c.Q

1.1.2 Les critères prévus à l’article 2089 alinéa 2 C.c.Q

1.1.2.1 L’ordre public

Avant la codification de 1994, c’était sur la notion d’ordre public que les tribunaux se reposaient pour imposer des limitations de fond strictes à la validité des clauses de non- concurrence141. En effet, dans les arrêts de principe en matière de non-concurrence Cameron c. Canadian Factors Corporation Limited 142 et Elsey c. J.G. Collins Insurance Agencies Ltd.143, la

140 [2007] R.J.Q. 301 (C.A.), 2007 QCCA 284.

141 A. BUSWELL et A. PAUL-HUS, préc., note 4, p. 4 : « (…) avant l’adoption de l’article 2089 C.c.Q, les

tribunaux avaient, de leur propre chef, reconnu que les engagements contractuels apportant des limites à la liberté individuelle du salarié suite à la fin d’emploi devaient être raisonnables afin de respecter les exigences de l’ordre public.»

26

Cour suprême posa les fondements de son analyse sur cette notion. Elle indiqua clairement que l’ordre public commandait de concilier «les intérêts de l’employeur avec ceux d’un ex-employé relativement au besoin qu’éprouve celui-là de se protéger sur le plan commercial et celui-ci d’être mobile sur le marché du travail »144 et de « décourager les restrictions à la liberté du commerce et de maintenir une concurrence exempte des entraves que constituent les clauses restrictives»145. Ainsi, l’imposition des trois limitations de fond que sont la durée, le territoire et les activités reposait alors sur l’idée que l’ordre public146 ne pouvait tolérer une restriction indue à la liberté de commerce et au droit au travail, dont la liberté d’emploi et le droit de gagner sa vie dans le domaine de son choix. Les clauses de non-concurrence peuvaient devenir contraire à l’ordre public si elles heurtaient ces valeurs fondamentales147.

En 1994, les règles jurisprudentielles élaborées par les tribunaux en se basant sur la notion d’ordre public ont été codifiées dans un article qui ne fait aucune mention de ce principe; ainsi, « la notion d’ordre public a, dans une jurisprudence plus récente, en quelque sorte cédé le pas à celle de la protection des intérêts légitimes de l’employeur »148. La Cour supérieure avait déjà statué de même dans l’affaire 2865-8169 Québec inc. c. 2757-5131 Québec inc.149 en indiquant que «la validité des clauses de non-concurrence dans le domaine employeur employé n’est plus limitée par la notion d’ordre public, mais seulement par leur caractère de raisonnabilité eu égard aux intérêts légitimes de l’employeur»150. De plus, l’ordre public doit aussi être respecté à un autre niveau.

En effet, les clauses de non-concurrence ne doivent pas uniquement être limitées selon les critères de l’article 2089 C.c.Q. pour respecter les obligations d’ordre public comprises aux articles 9 C.c.Q.151 et 1373 C.c.Q.152 ; elles doivent aussi respecter les limitations relatives aux droits

143 Préc., note 47.

144 Cameron c. Canadian Factors Corporation Limited, préc., note 30, 163 et 164. 145 Elsey c. J.G. Collins Insurance Agencies Ltd., préc., note 47, 923.

146 Godbout c. Longueuil (ville de), [1995] R.J.Q. 2561, 2570.

147 N.-A. BÉLIVEAU et S. LEBEL, préc., note 99, p. 113, à la page 127 : «Les clauses de non-concurrence en

matière d’emploi ne sont donc pas a priori contraires à l’ordre public, encore heurtent-elles les valeurs fondamentales que constituent les libertés de travailler et de gagner sa vie. De telles clauses seront cependant considérées comme étant contraires à l’ordre public si leur caractère raisonnable, compte tenu des intérêts légitimes de l’employeur ou du cocontractant, ne peut être démontré.»

148 Id., à la page 130. 149 Préc., note 107.

150 2865-8169 Québec inc. c. 2757-5131 Québec inc., préc., note 107, p. 17. Voir aussi par exemple : 4388241

Canada inc. c. Forget, préc., note 37, par. 107.

151 C.c.Q. art. 9 : « Dans l'exercice des droits civils, il peut être dérogé aux règles du présent code qui sont

supplétives de volonté; il ne peut, cependant, être dérogé à celles qui intéressent l'ordre public.»

152 C.c.Q. art. 1373 : « L'objet de l'obligation est la prestation à laquelle le débiteur est tenu envers le créancier

et qui consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose. La prestation doit être possible et déterminée ou déterminable; elle ne doit être ni prohibée par la loi ni contraire à l'ordre public. »

27 fondamentaux des personnes. « Les exemples les plus fréquents concernent les clauses de non- concurrence qui visent des professionnels, particulièrement les professionnels oeuvrant dans le domaine de la santé. »153 En effet, le public en général bénéficie d’un droit de choisir le professionnel de son choix, droit qui est présent dans la plupart des codes de déontologie des ordres professionnels154. Dans Mirarchi155, la Cour d’appel devait répondre à la question de savoir si « une clause restrictive de commerce comportant l’obligation, par un professionnel de la santé, de ne pas traiter ou de cesser de traiter ses patients, [était] contraire à l’ordre public »156. Le tribunal vint à la conclusion qu’il était contraire à l’ordre public d’empêcher un patient de choisir son médecin et que « la relation entre professionnels de la santé et patients est caractérisée par la confiance, la loyauté et le devoir de conseil, et ne saurait être réduite à une simple marchandisation »157.

Depuis 2007, cette décision a été citée à quelques reprises dans des affaires ne portant malheureusement pas sur des contrats de travail158, mais, selon les auteurs Saint-Pierre Plamondon et Grenier, elle serait parfaitement applicable dans ce cadre159. Cela est sans compter la décision

Groupe Serge Landry audioprothésistes Enr. c. Laliberté160, souvent passée sous silence par la doctrine, qui appliquait déjà le principe de l’arrêt Mirarchi en 2004 dans le contexte d’un contrat de travail. Dans cette affaire, la Cour supérieure indiqua, lors de l’analyse de la balance des inconvénients dans cette demande d’injonction, que les patients d’une clinique d’audioprothésiste « [avaient] droit de faire appel aux professionnels de leur choix. Il s’agit d’une considération d’intérêt public susceptible de faire pencher la balance en faveur des défendeurs »161.

En conclusion, selon la jurisprudence et la doctrine citée dans cette section, il est à notre avis encore tout à fait légitime pour les tribunaux d’indiquer que, quant au fond, la clause de non- concurrence doive respecter l’ordre public. Par contre, ce n’est pas non plus une erreur de droit que de ne pas mentionner le respect de l’ordre public lors de l’étude de la validité du fond de la clause, puisque cette notion est maintenant généralement comprise dans l’étude de la nécessité et de la raisonnabilité de la clause pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur. Toutefois, cette notion devra être indépendamment étudiée lorsque le cas en l’espèce mettra en cause des sociétés de professionnels.

153 M. GRENIER et M. ST-PIERRE PLAMONDON, préc., note 2, p. 8. 154 P. IANNUZZI, préc., note 29, par. 54.

155 Mirarchi c. Lussier, préc., note 140. 156 Id., par. 23.

157 Id., par. 50.

158 Voir par exemple : Théberge c. Lévesque, J.E. 2005-1663 (C.S.) ; 2007 QCCA 898 ; Riopel c. Talbot,

2007 QCCS 4664 ; 2009 QCCA 2245 ; Clinique médico-dentaire de la Gatineau inc. c. Boisvert, 2010 QCCS 448.

159 M. GRENIER et M. ST-PIERRE PLAMONDON, préc., note 2, p. 9. 160 2004 CanLII 11413 (QC C.S.).

28