Chapitre I. Être une femme au siècle des Lumières : Polémique ou
1.1. Le Magasin des pauvres, artisans, domestiques et gens de la campagne
1.1.2. L’omniprésence de la religion dans l’Espagne rurale des Lumières
Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, l’Église catholique eut une forte
influence sur les institutions politiques et la vie quotidienne de la société espagnole du XVIII
esiècle. Dans les exemples précédents, nous pouvons repérer, pour la plupart des références
espagnoles, cette omniprésence religieuse.
350
Leprince de Beaumont, Marie, Le Magasin des pauvres, artisans, domestiques et gens de la campagne, op. cit., p. 48.
351
Id., Conversaciones familiares de doctrina cristiana entre gentes del campo, artesanos, criados y pobres, op. cit., p. 50.
352 Id., Le Magasin des pauvres, artisans, domestiques et gens de la campagne, op. cit., p. 95.
353
Id., Conversaciones familiares de doctrina cristiana entre gentes del campo, artesanos, criados y pobres, op. cit., p. 73.
354 Id., Le Magasin des pauvres, artisans, domestiques et gens de la campagne, op. cit., p. 186.
355
Id., Conversaciones familiares de doctrina cristiana entre gentes del campo, artesanos, criados y pobres, op. cit., p. 207.
356
Id., Le Magasin des pauvres, artisans, domestiques et gens de la campagne, op. cit., p. 183.
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Cette influence est tellement présente dans la version de Linacero que les ecclésiastiques et
le vocabulaire religieux constituent les protagonistes secondaires indiscutables de sa traduction.
Les passages où le traducteur espagnol salue le travail des religieux sont nombreux. À
plusieurs reprises, il incite subtilement les paysans espagnols à fréquenter assidûment les
églises, à verser le denier du culte et à confesser leurs péchés aux prêtres. À la différence de
Leprince de Beaumont, Linacero commence sa défense de la Sainte Église catholique dès les
premières pages de sa traduction. Les menaces de l’enfer et des châtiments éternels sont
récurrentes dans la version espagnole. Des phrases comme « no es Dios, quién te dará el cielo,
si tienes la dicha de ir a él… »
358ou « irán para siempre a sufrir un fuerte fuego terrible… »
359sont fréquentes dans la traduction.
Les obligations d’un bon chrétien constituent aussi l’un des thèmes principaux de
beaucoup de passages sortis de la plume de Linacero. La confession et la sincérité envers son
confesseur forment le chemin essentiel pour éviter d’aller en enfer. Ce thème marque aussi un
écart entre les deux versions. Pendant que Marie Leprince de Beaumont défend la confession
comme un acte évident et volontaire pour un bon chrétien, pour l’Espagnol, elle est primordiale
et obligatoire. Linacero, à la différence de la Française, magnifie la figure du confesseur. Le
traducteur dépeint le confesseur comme le représentant terrestre de Dieu. Le lien entre la terre
et le ciel est alors cette personne qu’il faut respecter, apprécier, et surtout à qui il ne faut pas
mentir. Par exemple, dans une conversation entre Nicolas (Le Fermier) et Doña Prudencia (La
Bonne), ajoutée par Linacero, nous lisons, précisément, comment la locutrice blâme Nicolas
pour ses considérations néfastes à propos des confesseurs : « Usted quiere engañar al Confesor,
eso es muy fácil, porque el está obligado a creer a usted sobre su palabra : pero no podrá usted
engañar a Dios. »
360Une autre évidence de l’omniprésence de la religion dans l’Espagne de l’époque est la
présence de plusieurs passages bibliques tout au long de la version du religieux. Les
transcriptions directes des Saintes Écritures dans la version originale de Madame Leprince de
358
Leprince de Beaumont, Marie, Conversaciones familiares de doctrina cristiana entre gentes del campo, artesanos,
criados y pobres, op. cit., p. 13.
359
Ibid., t. I, p. 62. « Ils subiront pour toujours un puissant et terrible feu éternel. » (N.T.)
360
Ibid., p. 259. « Vous voulez tromper le confesseur, cela semble très facile, parce qu’il est obligé de vous croire, mais vous
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Beaumont sont rares : à la différence du traducteur espagnol, elle a recours plutôt à la
paraphrase pour mieux développer ses enseignements.
Le Magasin des pauvres, artisans, domestiques et gens de la campagne
(1768)
Conversaciones familiares de doctrina cristiana entre gentes del campo, artesanos, criados y pobres
(1778) La Bonne : Des paroles terribles, ma pauvre
Nanon, il leur dira avec un visage sévère : retirez-vous de moi et allez dans le feu éternel. Imaginez-vous, Mère-Jeanne, que votre mari, au lieu d’être mort, est allé faire un grand voyage et qu’il reviendra ce soir.361
Doña Prudencia: Apartaos de mi, malditos, id al fuego eterno, que está preparado para el diablo y para sus ángeles. Imagínese usted señora Juana que su marido no murió sino que se fue a un País muy distante pero ya sabe usted que llegará esta noche…362
La Bonne : Qui vous a dit qu’il n’avait pas un sol quand il est entré dans sa Cure ? Avait-il compté avec vous ? avez-vous oublié que Jésus vous a défendu de juger les autres à moins que vous ne vouliez être jugés vous-mêmes ?363
Doña Prudencia: Jesucristo decía a las gentes que le oían: Vuestros sacerdotes son muy malos; pero os hablan de parte de Dios, y así haced lo que os dicen, y no hagáis lo que ellos hacen.364
Comme nous l’avons souligné, le traducteur justifia ses réflexions grâce à la transcription
de certains passages bibliques. En outre, il décida de matérialiser les paroles divines par des
caractères italiques, peut-être pour évoquer l’importance des lignes ou pour mieux accentuer les
exemples face à ses destinataires moins lettrés. La répétition des passages bibliques ou de
paroles propres aux religieux pendant les différentes liturgies est récurrente dans cette
traduction.
En survolant le panorama social espagnol, nous comprenons un peu mieux les raisons pour
lesquelles Linacero trouva dans les passages bibliques une manière excellente de formuler ses
préceptes.
Les sermons religieux constituaient, pour les Espagnols moins cultivés, le meilleur moyen
hebdomadaire d’accéder à la culture. L’Église, consciente de cet important pouvoir
d’instruction, éduquait ses fidèles grâce aux paroles religieuses. Comme nous le savons déjà, le
taux d’alphabétisation était si insignifiant dans l’Espagne rurale que les Saintes Écritures furent
le moyen le plus adéquat pour l’instruction collective. Conscient de cet important pouvoir
didactique, le religieux porta énormément d’attention aux passages traduits. Certains passages
trop compliqués ou certains propos pas très appropriés pour les connaissances religieuses
361 Leprince de Beaumont, Marie, Le Magasin des pauvres, artisans, domestiques et gens de la campagne, op. cit., p. 81.
362
Id., Conversaciones familiares de doctrina cristiana entre gentes del campo, artesanos, criados y pobres, op. cit., p.59.
363
Id., Le Magasin des pauvres, artisans, domestiques et gens de la campagne, op. cit., p. 103.
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