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a. L'être, le mouvement, le repos, l'autre et le même

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L'Étranger dans le Sophiste de Platon, montre qu’une entité peut être décrite en fonction de cinq états de base : une chose (1) est ou n’est pas, est (2) en mouvement ou (3) au repos, et est (4) la même ou (5) autre. Avec ces qualificatifs, selon Platon, la plupart des phénomènes peuvent être à la fois distingués et caractérisés.

L’on peut se demander, par exemple, si une personne a, ou n’a pas, une personnalité intrinsèque ; si cette personnalité est statique ou dynamique, et si elle est « la même » tout le temps ou si elle devient « autre » ?88 Certaines catégories peuvent être combinées, d’autres pas. Si l’on démontre que les gens n’ont pas de personnalité intrinsèque, alors aucun des 4 autres états n’est pertinent. S’il est démontré que chaque humain a une personnalité de base, alors celle si ne peut pas être tout le temps la même et

« autre ». Ces dimensions demeurent primordiales dans la philosophie et la psychologie à l'aube du XXIe siècle.

Durant la première moitié de la discussion, les protagonistes s'amusent à médire sur les sophistes, passe-temps favori des personnages de Platon. Mais l'étranger s'ennuie, et dirige lentement mais sûrement la discussion vers des sujets plus profonds. Il fait remarquer à ses amis qu'il est facile de qualifier d'autres protagonistes de farfelus sans savoir réel, mais qu’il est plus difficile de démontrer que l'on a soi-même une connaissance solide, même quand on est un mathématicien aussi illustre que Théétète. Ainsi, savoir quelque chose sur un objet dont l'existence est tangible est relativement aisé, mais comment désigner l'objet d'une proposition qui est fausse ? L'étranger montre que sa question mène à un paradoxe insoluble. Si je mens à propos d'un objet, c'est soit que cet objet n'existe pas, soit que les qualités que je lui prête n'existent pas. L'étranger promène ses interlocuteurs à travers une longue série de questions qui sont toutes des variations sur le thème de l'être et du non-être. Qu'est-ce qu'être, qu'est-ce que ne pas être ?

De Platon à Camus, la réponse des philosophes tourne autour d'une seule tautologie : seule l’existence existe. Le sentiment d'exister se situe face au néant, car tout le reste n'est que spéculations. Dans son fameux « je pense donc je suis », Descartes remplace le terme d’existence par celui de pensée : la seule chose dont un philosophe peut-être sûr est l’existence de cette impression d’exister. Platon en reste au niveau des connaissances, des représentations. Il n'est pas possible de se représenter une

88 Je reprends les termes proposés par Léon Robin.

chose qui n'existe pas, comme une maison sans toit, sans murs, sans planchers, sans portes et sans fenêtres. Platon affirme qu'une connaissance est toujours positive. L'on ne peut étudier que ce qui existe, que ce qui excite les sens et se perçoit consciemment. Tout se passe, pour l'esprit, comme si ce qui n'est pas perçu, n'existe pas. L'autre implication de cette discussion est qu'il est impossible d'affirmer que quelque chose n'existe pas. Puisque la non-existence ne peut être observée ni étudiée, il est impossible d'en déduire sa non-existence. La question se pose néanmoins, car il faut gérer les connaissances fausses, qui désignent, par définition, quelque chose qui n'existe pas. Une connaissance fausse de quelque chose qui existe désigne des propriétés fausses de ce quelque chose qui existe.

La difficulté du philosophe face au sophiste est qu'il est impossible de démontrer que ce dont il parle n'existe pas. Pour le psychothérapeute que je suis, le sophiste est aussi le sophiste qui est en chacun de nous. Comment démontrer qu'une croyance, une projection ou un transfert, sont une expérience de quelque chose qui n'existe pas ? Ce problème est un casse-tête paradoxal pour tous les philosophes, et tous les psychothérapeutes. L'on a, depuis Platon, fait aussi bien que lui mais jamais mieux.

Pour Platon, le problème des représentations fausses est tellement inextricable qu'il ne sert à rien de s’y attarder, ou de vouloir faire comprendre à quelqu'un qui pense faux qu'il pense faux, ou à un croyant que ce qu'il ressent comme une vérité n'est qu'une illusion. La guerre est perdue d'avance. Mieux vaut se concentrer sur la compréhension de ce qui existe manifestement, car même ce champ d'études est incroyablement complexe. La créativité humaine est déjà dépassée par cette problématique-là ! Sentir son existence est une chose, mais préciser les contours et le contenu de cette expérience en est une autre. Ce n'est pas parce que je sens que ma chambre existe que j'arrive à préciser ce que cette sensation d'existence implique. Pour reprendre le parallèle que je suis en train d’établir entre Platon et le psychothérapeute, il ne sert à rien de vouloir montrer à un patient que ce qu’il prend pour réalité ne sont que des projections. Cette stratégie ne mène nulle part. Il vaut mieux se concentrer sur ce qu'il est, ce qu'il ressent, et sur ce qu’il peut saisir de la relation qui s'établit entre lui et son thérapeute. Ce n'est pas pour rien que Jung, qui était un spécialiste de la psychose et des hallucinations, affirmait que les ombres au fond de la Caverne de Platon sont aussi réelles que les êtres dont elles sont la projection. Une croyance est un phénomène réel, et le psychothérapeute peut encourager son patient à préciser les contours d'un fantasme, jusqu'à ce que le patient finisse par ressentir ce qu'il a de virtuel. Cette virtualité est réelle, mais pas de la même nature que la réalité qui se situe au-delà des organes de perception. Bref, « l'ici et maintenant » est un des concepts les plus utiles en psychothérapie face au délire. L'éprouvé du corps et des affects, celui des expériences sensorielles, permet déjà de décanter nombre de choses.

Peu à peu, le patient apprend à cerner de façon plus explicite son sentiment d'être, son Être. Il est alors confronté au fait angoissant qu’il est un et multiple à la fois, tiraillé par des passions contradictoires, parfois en guerre, parfois en recherche d'harmonie89.

Platon prône explicitement un dépassement de la dualité dialectique et l'instauration d'une pensée capable d'inclure plus de deux éléments dans un phénomène d'émergence90. Essayer d'appréhender ce qu'est l'ÊTRE, est presque aussi difficile que de manier le non-Être parce qu'il est à la fois un et multiple. Parfois la conscience a l'impression de saisir quelque chose qui semble être une émergence des forces qui nous animent, parfois elle saisit plus facilement une diversité qu'une unité, et parfois elle perçoit l'ÊTRE comme une des facettes de cette multiplicité.

C'est à ce stade du raisonnement que l'Étranger de Platon ressent le besoin d'introduire l'opposition dialectique entre mouvement et repos. Si je fixe mon attention sur cette impression que j'existe en tant que totalité, j'ai l'impression d'être une entité statique, qui conserve certaines propriétés, toute ma vie. Cette expérience est liée à l'impression que de ma naissance à ma mort, je suis essentiellement la même personne. Si, par contre, je concentre mon attention sur les multiples courants qui animent l'océan de mon monde intérieur, j'ai l'impression que tout change, tout bouge, et même parfois que chaque courant est quelque chose qui ne fait pas partit de mon Être. Ainsi, j'ai parfois l'impression qu'une colère s'empare de moi et me pollue, comme si cette colère ne faisait pas partie de moi. Pourtant c'est dans mon organisme que cette colère s'est activée.

89 La position que j'ai prise en discutant du Banquet est proche de celle du vieux Platon.

90 Platon, Le sophiste, traduction de Léon Robin, 244a, p.298.

E.b. « L’inconscient de Freud est structuré comme un

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