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b.I. L'analyse des défenses et la torpille

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La première fonction, illustrée surtout par les premiers dialogues, est celle de torpiller toute raideur de l'esprit, tout système de préjugés et de théories toutes faites (un talent que Platon a graduellement perdu après la mort de Socrate). L'utilité de déstabiliser une façon de faire afin d'ouvrir la voie à un meilleur équilibre est une notion assez courante, mais délicate à manier.

Certains croient que pour accomplir cette mission il suffit d'être impoli, provocateur, voire pervers. La fonction de torpille est parfois invoquée pour valoriser un comportement communicatif impulsif et irritant. Jeune homme, influencé par une vision soixante-huitarde25 à la Cohn-Bendit (qui n'avait pas ce défaut), j'avais tendance à être une torpille de ce type. Socrate avait des traits de caractère irritants et maniait fort bien l'ironie, mais demeurait toujours courtois, ferme, et sensible. Son outil d’attaque n’était jamais l’insulte ou la disqualification, mais toujours un raisonnement détaillé et digne.

Dans les psychothérapies inspirées par l’œuvre de Freud, l'on retrouve une stratégie de la torpille. Elle s’insère dans l'analyse des défenses. Dans le modèle fondateur de la psychanalyse, Freud et Breuer (1895) suggèrent que l'hystérie est le prix payé pour pouvoir refouler de façon systématique des souvenirs et des envies sexuels hors des dynamiques de la conscience. Madame Élisabeth Von R., par exemple, fait face au dilemme suivant. Elle ressent un amour sexualisé profond et intense pour le mari de sa sœur.

L'expression de ce désir implique un comportement qui est incompatible avec sa morale et lui ferait perdre l’estime qu'elle a pour elle-même. Elle fait donc tout ce qu'elle peut pour éteindre ce brasier et l’écarter de sa conscience. Vinrent alors les jours où elle soutenait son père mourant. Elle était particulièrement bouleversée et sensible à ce moment, et ne voulait pas mêler son amour pour son beau-frère aux pensées qu'elle voulait vivre avec son père. Un déclic se fit alors en elle. Une sorte de censure automatique se mit en place, interdisant au désir du beau — frère d'entrer dans sa conscience. Freud ne sait pas comment ce mécanisme de refoulement s'est mis en place, mais il distingue une double vie chez cette patiente :

1) une vie consciente sans désirs pour le beau-frère

2) une vie inconsciente dans laquelle ce désir continuait à mobiliser les dimensions psychophysiologiques du désir.

Ce clivage intérieur permit à la conscience de madame

25 Je fais référence aux évènements de Mai 1968 à Paris.

Élisabeth Von R. d'éviter bien des angoisses. Mais la mise en place de cette protection des dynamiques de la conscience coûte cher à l’organisme, puisqu’elle génère des symptômes hystériques qui empêchèrent madame Von R. de fonctionner de façon adéquate.

Ce mécanisme de refoulement se met en place de façon nonconsciente, créant en même temps un système de défense qui protège le mécanisme de refoulement. Ce système de défense crée une résistance au traitement. Toutes les ressources de l'organisme sont mobilisées par les défenses pour empêcher le thérapeute de désamorcer le mécanisme de refoulement. Ainsi, la patiente mènera sa conscience et celle du thérapeute sur de fausses pistes, et transformera les interprétations pertinentes du thérapeute en pétards mouillés. Une alliance thérapeutique entre patient et thérapeute mal informé peut ainsi renforcer le système de défense et intensifier les symptômes.

Ce schéma est, certes, un peu simpliste, mais il permet de situer en quelques lignes l'importance stratégique des mécanismes de résistance. En 1933, Wilhelm Reich publia la première version de son Analyse caractérielle, qui est notamment un manuel d'analyse du système de résistance. Il reprend la proposition de Freud de commencer par les résistances les plus proches de la conscience, afin de pouvoir progresser aussi vite que possible avant que le système de défense se sente dans l’obligation de réagir avec violence. Comme Socrate, les psychanalystes cherchent une façon de torpiller ces mécanismes de façon suffisamment fine pour que des résultats puissent être obtenus au détriment du système de défense, mais en faveur d’un réaménagement en profondeur des ressources de l’organisme.

Reich montre que le système de défense réduit non seulement le potentiel psychique, mais aussi corporel. La respiration est restreinte pour que le patient n’ait pas l'énergie d'avoir envie de se libérer de la prison qu'il s'est forgée. Une défense s'incruste comme une habitude psychocorporelle et devient chronique afin de passer aussi inaperçue que possible :

Un malade de caractère compulsif avait été analysé26 pendant douze ans sans résultat appréciable. Il n’ignorait aucun de ses conflits infantiles, notamment le conflit fondamental l’opposant à son père, mais il s’exprimait pendant l’analyse d’une manière monotone, en se tordant les mains. Je lui demandai si son comportement n’avait jamais été analysé ; il répondit par la négative. Un jour, je lui notai qu’il me parlait comme s’il récitait une prière et je lui en fis la remarque. Il me raconta alors que son père l’avait forcé à aller prier à la synagogue. Il s’y était rendu, mais toujours à contre-cœur. C’était exactement ce qu’il avait fait – pendant douze ans – devant l’analyste : Je ferai ce que vous me demanderez, mais seulement à contre-cœur ! » La découverte de ce détail en apparence peu important de son comportement ouvrit la voie à l’analyse et aboutit à la mise à jour des affects les plus cachés. (Reich 1933, Analyse Caractérielle I.IV.f.n1, p.84)

Ce récit confirme certains aspects du modèle platonicien, dans la mesure où il montre qu’il existe dans la psyché deux couches :

26 Ce texte est rédigé en 1927, à l’époque où Wilhelm Reich est encore psychanalyste.

l’une qui s’explicite dans la conscience et une autre qui fonctionne à l’insu de la pensée consciente… à moins que quelqu’un aide le sujet à créer une connexion entre les deux couches. Une fois cette connexion établie (ou rétablie), le contacte entre les deux couches deviens soudain plus aisé, plus courant. Ceci avait été perçu, semble-t-il, par Socrate. Par contre ce qui différencie Freud, Jung et Platon, c’est la compréhension de ce qui se trouve dans la seconde couche. Pour Freud et Jung l’inconscient véhicule des contenus élaborés par l’individu depuis sa naissance. Chez Jung et Platon l’inconscient véhicule des contenus transpersonnels, élaborés par la nature qui engendre les individus. Seul Platon ancre les contenus transpersonnels dans une âme qui est indépendante de la psyché.

La psyché platonicienne est un mécanisme qui se forme dans le corps, et meurt avec lui. L’âme, par contre, voyage non seulement d’un corps à l’autre, mais aussi d’une psyché à l’autre.

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