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b. « L’inconscient de Freud est structuré comme un langage »

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L'Être est donc à la fois unique et multiple. Pour simplifier la discussion, l'Étranger a donc distingué 4 états de l'être : le mouvement, le repos, l'autre et le même. Il s'est ensuite acharné à distinguer les fonctions de ces dimensions, et leurs relations.

Théoriquement, il est possible d'envisager toutes les combinaisons, mais dans la pratique, comme je l’ai montré à propos de la notion de personnalité de base, certaines sont plus probables et d'autres impossibles91. Il faut donc bien admettre que les relations entre chaque état suivent certaines règles, selon une procédure proche de celles des lettres. Certaines se combinent plus facilement que d'autres, tandis que certaines combinaisons entre voyelles et consonnes sont, par exemple, impossibles. 92.

Cette organisation quasi phonétique des dimensions de base d'un organisme, existe indépendamment de ce qu'un individu en pense consciemment. De mon point de vue, elle est donc nonconsciente, mais gère des mécanismes proches de l'inconscient freudien. Ne serait-ce pas cette articulation, en faîte, qui est désignée par Jacques Lacan, grand connaisseur de Platon, lorsqu'il déclare que « l’inconscient de Freud est structuré comme un langage »93?

Lacan est pour moi un des premiers psychanalystes à ressentir qu’il est cliniquement pertinent de distinguer le nonconscient94 de l’inconscient freudien. C’est cette intuition de l’articulation entre inconscient et nonconscient qui lui a permis de penser qu’il existe un lieu mental qui règle, à l’insu de la conscience, l'utilisation des mots, des concepts, des représentations ainsi que la structure profonde de la grammaire décrite par Chomsky. Elle relie les connaissances de l'âme aux coutumes d'une cité. Ces mécanismes inconscients sont d'un type bien particulier, puisque paradoxalement la conscience y joue un rôle nécessaire, et qu'ils ne peuvent se former que soutenus par des dimensions explicites et complexes, ressenties comme faisant partie d'une co-conscience, langage, coutumes, rituels, etc. C'est parce que ces

91 Platon, Le sophiste, traduction de Léon Robin, 252b, p.312.

92 Platon, Le sophiste, traduction de Léon Robin, 253a, p.313.

93 Entretien de Jacques Lacan avec Gilles Lapouge, Le Figaro Littéraire, 1er décembre 1966, n. 1076, p. 2. Voir aussi Jacques Lacan 1973, pp.25-78; 1975, p.

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94 Lacan n’a pas distingué de façon explicite, comme je le fais, le nonconscient et l’inconscient. Mais sa pensée rode clairement autour de cette distinction dans le deuxième livre de son séminaire, quand il parle de répétition, et associe psychanalyse et cybernétique (p.350-354).

mécanismes inconscients jouent un rôle essentiel dans les fonctions expressives de l’être et dans sa capacité de réaction à autrui, qu'un blocage de ces mécanismes peut avoir des conséquences désastreuses sur les systèmes de régulation de l'organisme. C'est aussi parce que ces mécanismes inconscients coordonnent âme et société par le truchement de la conscience que le blocage de certains fonctionnements conscients se décèle rapidement : lapsus du langage, dérèglement des rituels d'une famille, etc.

Ce serait au niveau de l’articulation entre inconscient et nonconscient que je situerais la capacité d’organiser les cinq états de base décrits par Platon. Comme l’organisation simultanée de cinq éléments s’avère impossible avec une dialectique qui ne peut qu’organiser des éléments par couple, Platon cherche à la fin de sa vie une forme de dialectique élargie capable de gérer plus de deux éléments à la fois (cinq en l’occurrence). Il n’aura pas le temps dernier Platon. Pour Platon, la pensée naît de la prise de contact entre les âmes individuelles de chaque citoyen de la cité et les savoirs socialement élaborés comme la philosophie et les lois ; et le langage est, à la fois personnel, et structuré par la société dans laquelle les individus évoluent. Dans la théorie des Idées, le lien entre les âmes était une source d'inspiration commune construite entre deux vies. À l’approche de la mort, Platon commence à trouver sa théorie des Idées un peu sommaire et essaye d'en créer une autre, plus affinée, plus concrète. Dans le Sophiste, par exemple, il compare sa théorie des Idées au matérialisme, comme s’il s’agissait de deux théories existantes qui ont chacune leurs atouts et leurs limites95.

Platon en arrive donc à penser que l'Être est structure, c'est-à-dire, à la fois une multiplicité d'éléments et une organisation de ces éléments. Les dynamiques de l’attention montrent bien comme les distinctions de Platon opèrent. Dès que l’esprit se focalise sur un objet, il se dynamise et se met à penser à autre chose. Dès que l’attention se fige, l’esprit se trouve en état d’apesanteur, comme en méditation, et perd de vue l’objet qui avait attiré son attention.

La conscience est en effet une spectatrice qui perçoit l'Être comme sur un écran de cinéma, et un élément de cet Être qu'elle essaye de situer.

Ce genre de discussion est bien connu de tous ceux qui s'intéressent aux implications paradoxales de la notion l'identité. Il n'a pas le temps d'explorer les méandres d'un discours sur l'être et le néant avec ses collègues ou avec ses patients, mais il doit être conscient que le sujet est difficile à cerner, et se méfier des idées reçues : exiger du patient qu'il adopte une stratégie toute faite sur

95 Platon, Le sophiste, traduction de Léon Robin, 245-248.

son identité. L’attitude raisonnable consiste à distinguer une position intermédiaire explicite (Monsieur X est un homme blanc âgé de 56 ans, etc.) et implicite (la sensation d'une ambiance diffuse qui semble être toujours la même dans la mémoire que j'ai de moi). La multiplicité dont parle Platon vise un Être unique qui, comme l'horizon, s'éloigne dès qu'on a l'impression de s'en approcher, mais qui demeure constamment visible. En même temps, cette multiplicité est contenue, voire canalisée, dans la mesure où elle se manifeste au sein d'un seul organisme et de son histoire une et multiple : le corps grandit puis vieillit, l'environnement se modifie sans cesse, mais le parcours reste le même.

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