• Aucun résultat trouvé

c.I. Caldwell : psychothérapie, danse et bouddhisme

Dans le document Td corrigé A - Td corrigé pdf (Page 53-56)

Le 31 juillet 2004, à Hambourg en Allemagne, j'ai assisté à un cours de Christine Caldwell, professeur de psychologie à la Faculté bouddhiste de Naropa, Boulder, Colorado, USA. Elle donnait un cours de formation de danse-thérapie. Une des participantes - une danseuse - m'explique qu'elle ne peut que développer des gestes et des sensations qui sont potentiellement en elle. Christine Caldwell me parle d'une fable bouddhiste selon laquelle un des

« corps » de l'humain33 contient en germe tout ce qu'un humain peut développer. Passer du temps à contempler un germe, c'est déjà l'arroser, c'est l'aider à fleurir en soi. Selon cette conception une personne qui parle de sa dépression à un thérapeute, l'arrose ; une personne qui lutte contre sa perception, l'arrose ; alors qu'une personne dépressive qui pense à sa créativité ou à sa joie de vivre arrose autre chose en elle, et aura, par conséquent, plus de chance de guérir. À un moment du stage, Christine Caldwell nous demande de fermer les yeux, d'explorer ce qui se passe en nous, et de sentir si un geste essaye d'exister. Elle nous demande de sentir ce geste et de le laisser prendre sa place dans notre être. Il ne s'agit pas de l'aider à nous bouger, mais de ne pas l'en empêcher. Ce type d'écoute est pour elle une sorte « d'enquête » effectuée à l'intérieur de soi, afin de contacter cette partie de nous qui sait quel mouvement pourrait faire du bien à l'ensemble de l'organisme. Il y aurait en chacun de nous, un savoir réparateur qui sait ce que nous devrions faire pour aller mieux. Comme chez Platon, ce potentiel a besoin d'une permission, d'une attention consciente pour se manifester. Cette vision était aussi celle du psychiatre suisse Jung, pour qui ‘la fonction générale des rêves est d’essayer de rétablir notre équilibre psychologique à l’aide d’un matériel onirique qui, d’une façon subtile, reconstitue l’équilibre total de notre psychisme’34.

L'association entre pouvoir de guérison et pouvoir des Idées, est faite par Platon dans le Timée, dans lequel il prend une position qui est proche de celle de l'homéopathie aujourd'hui :

Or, de tous les mouvements, celui que l'on accomplit en soi et par soi est le meilleur mouvement ; c'est celui qui, en effet, avec le mouvement de la pensée et celui de l'Univers a la plus grande parenté ; le mouvement qui vient d'autrui est moins bon. Mais le pire de tous, c'est celui d'un corps couché et demeurant au repos, mais qui est mû dans ses parties par des actions étrangères. Aussi, de tous les moyens

33 La théorie bouddhiste suppose que l’humain a plusieurs corps (un corps mental, un corps physique, un corps de l’affect, un corps spirituel, etc.).

34 Jung 1964, p.75.

de purger et de disposer le corps, le meilleur est- il gymnastique ; le second, le balancement que procure la navigation et tous les véhicules où l'on ne se fatigue pas ; la troisième espèce de mouvement peut rendre de grands services en cas de nécessité ; mais en dehors de là, un homme sensé n'y a jamais recours ; c'est la médicamentation par drogues purgatives. Les maladies, en effet, tant qu'elles ne présentent pas de graves dangers, ne doivent point être irritées par des drogues.

Toute formation morbide, en effet, sous un certain rapport a de la ressemblance avec la nature des vivants. En ceux-ci, la réunion des parties s'effectue pour des délais de vie définis, propres à l'espèce entière, et, individuellement, chaque être vivant naît pour une durée de vie fixée par le sort, sauf accidents venus de la nécessité (…). Il en va de même aussi dans la formation des maladies ; lorsqu'en dehors du terme fixé par le temps on la fait avorter par des drogues ce sont à la fois des maladies graves, au lieu de légères, multiples au lieu d'un petit nombre, qui ont coutume de se produire. (Platon, Timée 89 a-c, traduction de Robin, ii, pp. 519-520)

Au XXe siècle la position de Platon est notamment représentée par le noyau dur des psychothérapies corporelles norvégiennes : représentées par Ola Rakness et Gerda Boyesen, qui préconisent un travail sur des réactions spontanées de la respiration et des position des écoles dites de végéto-thérapie est déjà plus directive, puisque les thérapeutes stimulent des schémas respiratoires, le reflex orgastique, et l'expression émotionnelle. Le but des psychothérapies néo -Reichiennes, telles que l'Analyse bioénergétique d'Alexander Lowen et John C. Pierrakos, est de libérer la personnalité primaire des encrassements que lui impose la vie sociale moderne. Ces formulations ont précédé de peu les recherches qui montrent que des dynamiques physiologiques peuvent influencer des humeurs comme la dépression et l'angoisse, et certaines façons de percevoir ce qui se passe aussi bien en soi qu'autour de soi36. La position idéaliste oppose systématiquement réactions naturelles et spontanées aux propositions sociales, qualifiées d'artificielles. Je préfère la position marxiste qui souligne que le miel est qualifié de naturel alors qu'il est fabriqué par une société d'abeille, et qui se demande ce que sont les produits sociaux, s'ils ne sont pas naturels ? Ainsi, comme le souligne Derrida (1972), Platon valorise ce qui nous vient des profondeurs de l'être comme le souffle des Idées, et se méfie d'outils comme le langage qui sont utiles ou dangereux selon la façon dont on les utilise.

Bien que l’idéalisme se méfie des passions, il se méfie plus encore de ce qui s’oppose aux profondeurs de l’être. L’intuition

35 Reich 1951, chapitre II. Boyesen 1972

36 La sérotonine par exemple, avec laquelle il est possible de fabriquer le LSD et les antidépresseurs.

profonde est, par exemple, plus juste que ce qui se dit, s’écrit, et se construit socialement. Selon les élèves de Platon, le philosophe en saura toujours plus que le scientifique, parce qu’il a accès au monde des Idées. Il est vrai que cette discussion s’est construite à une époque où le savoir social était nettement moins robuste qu’aujourd’hui, mais les quelques exemples que je viens de donner montrent que cette position continue à se développer. De mon point de vu, il n’y a aucune raison pour que l’intuition l’emporte sur les connaissances socialement construites. Les deux types de connaissance sont, en effet, régulés par des mécanismes nonconscients, et l’expérience a souvent montré la faillibilité et la créativité de l’ensemble des systèmes de connaissance, conscients et inconscients, naturels ou sociaux. Les qualités et les défauts de l’intuition et de la science ont des qualités et des défauts particuliers, des performances qui peuvent se compléter, mais qui arrivent souvent à des conclusions contradictoires.

La notion de chaînes causales indépendantes est ici importante, et s'illustre pour le moment à partir des fables de Platon. Quand l’âme est libérée du corps, elle entre dans une chaîne causale particulière qui lui ouvre le monde des idées. C’est une autre chaîne causale qui permet au jeune esclave stimulé par Socrate de prendre conscience des lois de la géométrie. La prise de conscience platonicienne n'est possible que quand il y a intersection entre ces deux types de chaînes.

En psychothérapie, la force de la position idéaliste a toujours été la défense de ce que le patient ressent, de ce que le thérapeute ressent, et le refus de remettre en cause ces ressentis parce qu’ils ne sont pas compatibles avec des systèmes de savoir.

Avec ma grille de lecture, j’en arrive à ne favoriser aucun système de savoir, et par conséquent, à respecter ce qui est ressenti, autant que ce qui est socialement construit.

Ce raisonnement aboutit donc à une position théorique qui soutient une éthique de respect pour tous les systèmes de connaissance robustes, et qui met à jour les conclusions conflictuelles entre divers systèmes de connaissance.

Concrètement, cela veut dire que si un patient ressent une situation d’une façon qui contredit ce à quoi l’on peut s’attendre en tant que psychologue clinicien, je vais ouvertement exposer mon patient aux questions que je me pose, et explorer avec lui jusqu’à quel point mes théories et ses impressions doivent être remises en cause. Si mon patient n’est pas en état d’entrer dans un dialogue de ce type, j’ai la responsabilité de confronter les données produites par son intuition à celles qui sont décrites dans la littérature clinique.

Dans le document Td corrigé A - Td corrigé pdf (Page 53-56)