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L’INTÉRÊT DE L’ENFANT : UN SANCTUAIRE POUR LA CONTINUITÉ DU MONDE

Dans le document LES ENFANTS PEUVENT BIEN ATTENDRE (Page 153-159)

Edouard DURAND

Magistrat, conseiller à la cour d’appel d’Orléans

1. Théry Irène, Le démariage, Odile Jacob, 1989, p. 370

* Note de l’éditeur : Ce texte est un extrait de l’article « l’autonomie de l’enfant : construire un passé positif » publié dans le Sociographe, hors-série n°6, 2013

de l’enfant s’est orientée vers une conciliation de deux impératifs : à la protection traditionnelle de l’enfant, et de ses conditions de développe-ment, s’est plus récemment ajoutée la reconnaissance d’une certaine autonomie du mineur dès lors qu’il est doué de discernement et capable d’exprimer sa volonté. La protection du mineur n’est en effet pas inconci-liable avec une autonomie relative et plus encore avec la reconnaissance de sa responsabilité, notamment pénale, lorsqu’il adopte des comporte-ments contraires à l’intérêt collectif ». (Bonfils et Gouttenoire, 2008, p. 56).

L’enfant a en premier lieu une part d’autonomie pour certains actes du quotidien, conformément aux dispositions de l’article 389-3 précité du code civil qui prévoit la représentation légale du mineur, « sauf dans les cas où la loi ou l’usage autorise le mineur à agir lui-même » (menus achats…).

Par ailleurs, s’agissant de l’insertion du mineur, celui-ci dispose d’une autonomie dans l’engagement professionnel. Même si ses représentants légaux doivent l’accompagner, l’enfant, dès lors qu’il a au moins seize ans, ne peut être représenté pour la signature d’un contrat de travail, en raison du lien de subordination qui impose le consentement personnel de celui qui s’y engage (jurisprudence de la Cour de cassation, Chambre sociale, 19 juillet 1995). En revanche, le contrat d’apprentissage est signé par le mineur ou ses représentants légaux (art. L6221-1 du code du travail).

Toutefois, la loi a élargi cette capacité du mineur à des situations corres-pondant à des actes graves ne relevant pas du quotidien. Il en est ainsi particulièrement de la santé et de la sexualité. Ainsi, et par dérogation expresse aux dispositions relatives à l’autorité parentale, le médecin peut pratiquer un acte nécessaire à la sauvegarde de la santé d’un enfant sans obtenir le consentement des titulaires de l’autorité parentale si l’enfant s’y oppose (art. L1111-5 du code de la santé publique). Il en est de même pour une interruption volontaire de grossesse sollicitée par une jeune fille mineure (art. L2212-7 du même code). Dans les deux cas, le médecin doit s’efforcer d’obtenir le consentement de la personne mineure à la consul-tation de ses parents et en tout état de cause, une personne majeure de son choix devra l’accompagner. Par ailleurs, le consentement des titulaires de l’autorité parentale n’est pas requis pour la délivrance ou l’administration de contraceptifs aux personnes mineures (art. L5134-1 du code de la santé publique).

Enfin, la revendication d’une autonomie de l’enfant se développe dans l’expression de sa parole et sa prise en compte dans les procédures judiciaires qui le concernent, tout spécialement celles qui ont trait à l’organisation de la vie familiale.

Conformément aux dispositions de l’article 12 de la Convention internatio-nale des droits de l’enfant, « Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la légis-lation nationale ».

Le principe de l’audition de l’enfant capable de discernement est prévu dans la législation nationale à l’article 388-1 du code civil, qui dispose d’une part que « cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande » et d’autre part que « lorsque le mineur refuse d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. » Toutefois, la loi précise que

« l’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procé-dure » (art. 388-1 al 3 c.civ).

Il n’est pas contestable que la participation de l’enfant aux procédures judiciaires qui aboutiront à un jugement susceptible de déterminer ses conditions de vie et de développement est essentielle. Il est souhaitable en effet qu’il puisse exprimer sa pensée et/ou ses émotions, et en retour qu’il entende la parole des adultes et de l’institution judiciaire, afin que cette décision fasse sens pour lui et lui permette d’élaborer une pensée autonome dans le respect de la décision rendue, et donc de la loi.

Si les dispositions relatives à l’audition de l’enfant sont spécifiques devant le juge des enfants s’agissant de l’assistance éducative (le mineur peut saisir lui-même le juge des enfants 2, il est entendu sauf dispense par le juge des enfants 3 et il peut relever appel de la décision dès lors qu’il est capable de discernement 4), la pratique des fonctions de juge des enfants m’a conduit à entendre systématiquement les enfants, quel que soit leur âge ou leur développement, afin de dialoguer avec eux, de recueillir leur point de vue mais également de leur expliquer que si leur parole était prise en compte aussi sérieusement que celle de leurs parents ou de leurs éducateurs, en aucun cas la décision ne serait rendue pour satisfaire leur demande, en d’autres termes qu’il n’aurait pas à porter la responsabilité du jugement. Il paraît en effet essentiel que l’enfant conserve en tout état de cause, dans la procédure suivie par le juge des enfants mais également dans celle suivie par le juge aux affaires familiales, sa place singulière, celle de l’enfant dont l’intérêt doit toujours être recherché.

L’examen de l’évolution des normes internationale et nationale relatives aux droits de l’enfant met donc en évidence la reconnaissance

progres-2. Article 375 du code civil 3. Article 1189 du code de procédure civile 4. Article 1191 du code de procédure civile et arrêt de la cour de cassation, Civ 1re, 21 novembre 1995

sive d’une sphère d’autonomie de l’enfant, qui tout en maintenant celui-ci sous la protection de ses parents titulaires de l’autorité parentale, est susceptible parfois d’y faire échec (par exemple relativement à la sexua-lité). La loi se montre donc à la recherche d’un équilibre subtil entre la protection de l’enfant vulnérable et la reconnaissance d’une autonomie, donc d’une prise de risque.

Certes, le risque est inhérent à l’existence et l’enfant doit lui-même l’expérimenter par ses choix et ses engagements. Il doit d’ailleurs pouvoir le faire avec le soutien d’adultes sécurisants, ses parents au premier chef, veillant notamment à ce que le risque inhérent à l’autonomie ne dégénère pas en conduites à risque, telles que les adolescents les plus en diffi-culté les mettent en acte (errance, toxicomanie, relations dangereuses, délinquance…). Ces mises en danger sont susceptibles de conduire à la saisine du juge des enfants et à la mise en œuvre de mesures de protection.

La préservation de cet équilibre entre la protection et l’apprentissage de l’autonomie est-elle compatible avec une nouvelle extension du domaine de l’autonomie de l’enfant ? Il en est ainsi notamment de l’éventuelle reconnaissance d’une capacité juridique de l’enfant. Référons-nous ici aux Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants (17 novembre 2010) et notamment aux prescriptions relatives à la participation de l’enfant aux procédures le concernant, qui est énoncée avant l’étude de l’intérêt supérieur de l’enfant. Au titre de la participation, est notamment énoncé que « les enfants devraient être considérés et traités en tant que titulaires à part entière de leurs droits et devraient être habilités à les exercer tous d’une manière qui reconnaisse leur discernement et selon les circonstances de l’espèce. 5 »

Cette préconisation fait par ailleurs écho au vœu parfois exprimé de

« l’autonomie décisionnelle » de l’enfant doué de discernement et qui devrait conduire le juge à statuer, par principe et sauf exception, « dans le sens voulu par le mineur », ainsi qu’à la proposition d’accorder à l’enfant un statut de prémajorité 6, conformément auquel l’enfant pourrait dès l’âge de seize ans prendre seul les décisions le concernant, sauf opposition des parents si le projet de leur enfant leur paraît gravement contraire à son intérêt supérieur. L’enfant pourrait alors saisir le juge aux affaires familiales pour trancher ce conflit entre lui-même et ses parents. Ce projet répondait notamment à l’idée que l’autorité parentale est une forme d’em-prise de la famille sur le jeune.

Or, il est nécessaire de rappeler que l’autorité parentale ne saurait en aucune façon cautionner l’emprise des parents sur l’enfant. Le

bascu-5. Conseil de l’Europe, 6. Rapport « Affirmer et promouvoir les Droits de l’enfant », collectif, la Documentation française, 1993 cité par Françoise Dekeuwer-Desfossez, Les Droits de l’enfant, Que sais-je, PUF, 7e édition, 2006

lement d’un régime juridique de puissance (maritale jusqu’en 1938 et paternelle jusqu’en 1970) au régime de l’autorité parentale a consacré en droit le rejet de toute forme d’emprise (sur le corps et la personne) dans les rapports entre le mari et la femme, entre les parents et les enfants, en même temps que l’autorité a subordonné les droits et devoirs reconnus aux parents à l’intérêt de l’enfant (Durand, 2012).

Hannah Arendt a démontré que l’autorité « exclut le recours à des moyens extérieurs de coercition », c’est-à-dire à toute forme de violence ou d’em-prise sur l’autre. Sa pensée, dirigée vers la science politique, nous instruit néanmoins beaucoup sur les enjeux relatifs aux relations dans la famille.

Or, penser l’autorité que les parents exercent sur les enfants comme une forme d’emprise conduirait à délégitimer l’autorité elle-même, et ainsi à renvoyer l’enfant dans l’anomie.

L’évolution du droit de la famille et de la place reconnue à l’enfant dans sa famille et dans la société semble se situer, à la lecture des promoteurs des droits de l’enfant, sur une ligne de crête entre l’autonomie et l’emprise.

Cette alternative me semble excessive et susceptible de conduire à un risque plus réel et plus grave peut-être pour le développement de l’en-fant et son insertion dans la société. Ce risque serait de plonger l’enl’en-fant dans le gouffre de l’anomie (Bessette, 2010), comme prix d’une autonomie prématurée.

Les adultes ne peuvent offrir à l’enfant le « cadeau » de son auto-nomie sans assumer d’abord l’exigence de la transmission des valeurs communes par l’éducation et l’instruction. On songe au propos d’Hannah Arendt : « avec la conception et la naissance, les parents n’ont pas seule-ment donné la vie à leurs enfants : ils les ont en même temps introduits dans un monde. En les éduquant, ils assument la responsabilité de la vie et du développement de l’enfant, mais aussi celle de la continuité du monde 7 ».

7. Hannah Arendt, La crise de l’éducation, in La crise de la culture, Gallimard (Folio), 1972, p. 238

Alors que nous fêtons, en 2015, le 25e anniversaire de la signature de la Convention Internationale des droits de l’enfant par la France, celle-ci n’a toujours pas pris, comme elle s’est engagée à le faire, « toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appro-priées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confi é » (article 19), ni toutes les mesures pour « assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être » (article 3).

Il n’y a toujours pas de mesures législatives pour interdire spécifi que-ment les châtique-ments corporels à l’intérieur de la famille, et il manque cruellement de mesures effi caces pour prévenir et identifi er les violences faites aux enfants ; pour améliorer les lois existantes et leurs applications ; pour promouvoir la protection, la prise en charge et les soins des enfants victimes.

Au lieu d’être des univers de sécurité, la famille, les lieux de garde et les institutions restent pour de trop nombreux enfants des zones de non-droit, les enfants les plus vulnérables y étant les plus exposés. Quel que soit leur milieu social, c’est dans leur famille et dans les lieux d’accueil que

LE RESPECT DES DROITS DES ENFANTS

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