• Aucun résultat trouvé

AUX DROITS CONTESTÉS ?

Dans le document LES ENFANTS PEUVENT BIEN ATTENDRE (Page 53-57)

Cardinal ANDRÉ VINGT-TROIS

Archevêque de Paris.

Qu’il soit donc permis de rappeler ici une évidence : il ne peut pas y avoir de reconnaissance collective de droits si ne figure pas en regard une reconnaissance collective de devoirs qui en sont les garants. Cette recon-naissance collective est évidemment gagée sur un consensus social et culturel qui définit une éthique et favorise les droits des plus faibles. Ce consensus culturel et social est lui-même reconnu, soutenu et sanctionné par la législation. Or, chez nous, un courant culturel se fait de plus en plus normatif. Il exprime de façon unilatérale et absolue le « droit à l’enfant », non seulement de couples constitués mais même d’individus sans parte-naire. Cette dynamique du droit à l’enfant est acceptée par beaucoup comme allant de soi sans que jamais ne soit posée la question du droit de l’enfant. Comment ne pas reconnaître que nous sommes là devant une concurrence entre deux logiques difficilement compatibles ? D’un côté, la Convention internationale des droits de l’enfant développe des objectifs qui ont vocation à s’imposer à des conceptions particulières héritées de traditions anciennes ou imposées par des contraintes socio-politiques. De l’autre côté, la tentation de faire du désir individuel le seul critère des décisions sans envisager les conséquences pour autrui. Cet individualisme éthique pourrait et devrait être compensé et contraint par une législation qui soit l’expression du bien commun qui impose à tous les individus des limites à la réalisation de leurs désirs. En fait, nous assistons à un processus inverse par lequel l’élaboration des lois se transforme en légalisation des mœurs particulières.

Cette concurrence entre le bien commun d’une société et, à travers elle de l’humanité entière, est particulièrement notable au regard de plusieurs articles de la convention internationale :

• Article 6/1. Tout enfant a un droit inhérent à la vie. Quel que soit le juge-ment moral que l’on peut formuler au sujet des pratiques abortives et de leurs dérives eugéniques (élimination des embryons supposés menacés de handicap), il est clair aujourd’hui que le droit retenu comme pertinent pour la décision de laisser venir à la vie ou de refuser la naissance est exclusivement le droit de la femme à disposer de son corps. L’embryon peut être reconnu comme un « ayant-droit » légal et économique pour hériter de son père, mais il est sans droit devant le droit de vie et de mort reconnu à la seule femme.

• Article 7/1. L’enfant… a le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.

L’affirmation de ce droit renvoie évidemment au Préambule de la conven-tion qui exprime la convicconven-tion « que la famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres et en particulier des enfants… ». Pour conforter ce droit, la

convention engage les États parties à apporter la protection et l’aide nécessaires à la famille pour qu’elle puisse jouer pleinement son rôle dans la communauté. Au cours des trois dernières décennies, l’affaiblissement du soutien de l’État à une forme définie et identifiable de la famille au profit de différents modèles qui favorisent une « parentalité » élective fragilise la constitution d’un milieu favorable à l’épanouissement des enfants.

Dans le contexte socio-économique qui est le nôtre, nous constatons que les conditions de réussite de l’aventure familiale paraissent de plus en plus exigeantes. Cela signifie que les individus ont besoin du soutien de la société pour y satisfaire. Or, c’est le moment où nous voyons notre société laisser s’affaiblir les contours de la cellule familiale et s’établir une sorte de caléidoscope de modèles familiaux dont le moins que l’on puisse dire est que « l’intérêt supérieur des enfants » n’est pas le souci premier.

• Article 28. Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’édu-cation… Ce droit à l’éducation s’appuie dans notre pays sur une longue tradition. Il a pris une force nouvelle à la fin du XIXe siècle avec la volonté de le rendre effectif pour tous les enfants d’une classe d’âge. Nul ne peut contester que cet effort national a porté du fruit et que le niveau scolaire de l’ensemble de la population s’est réellement élevé. Mais ce progrès est aussi un progrès fragile. Nous devons d’abord constater que, malgré le développement de la scolarisation, un nombre relativement important de nos jeunes concitoyens ne maîtrise pas couramment notre langue et que certains sont proches de l’illettrisme. Cette poche de résistance attire l’attention sur le fait que l’éducation ne se limite pas à un dispositif scolaire performant. Elle suppose un engagement de l’ensemble de la société dans un projet de transmission de ses valeurs.

Cette transmission ne vise pas seulement les programmes scolaires et le personnel qualifié chargé de les mettre en œuvre. Elle concerne plus largement tous ceux qui sont engagés dans l’éducation et prioritairement les familles. Or nous devons constater que, malgré un désir réel de bien préparer leurs enfants à leur vie d’adultes, beaucoup de familles sont démunies sur le contenu des valeurs à leur transmettre. Qu’il s’agisse de l’éducation morale, ce qui est bien et mal, ou de l’éducation religieuse au sens large, beaucoup doutent de leur légitimité à proposer des modèles et se laissent entraîner dans une sorte de relativisme, même à leur corps défendant.

On perçoit de moins en moins clairement que les apprentissages tech-niques de la lecture, de l’écriture et du calcul élémentaire, que nous appelons les « fondamentaux » n’ont pas leur propre justification en eux-mêmes et ne suffisent pas à mobiliser les capacités et les efforts nécessaires à leur acquisition. Une certaine incapacité à se représenter

les progrès possibles et souhaitables entame la motivation nécessaire des jeunes. Leurs parents et leurs éducateurs eux-mêmes peinent souvent à leur transmettre le minimum de désir nécessaire pour supporter les contraintes d’une éducation à la responsabilité humaine.

• Art. 10. La réunification familiale. En cette période où les flux migratoires prennent une ampleur particulière, il n’est pas inutile de considérer le sort des enfants, même très jeunes qui sont concernés par ce phénomène. En ratifiant la convention universelle les États parties ont pris un engage-ment réel à veiller d’une façon particulière à la manière dont sont traités les enfants et leurs familles dans l’accueil ou le refus d’accueillir des demandes migratoires. Nous devons être scrupuleux non seulement sur les dispositions légales prises par les États, mais encore sur la manière dont ces dispositions sont appliquées quant à la séparation des membres d’une même famille et sur les conditions d’internement administratif. C’est à cette aune que peut être jugé le degré de civilisation dont nous nous honorons à juste titre.

Si nous ne voulons pas que la convention des droits de l’enfant se réduise à une sorte d’incantation moralisatrice pour nous donner bonne conscience, il nous faut accepter d’être confrontés aux incohérences et aux contradictions qui marquent cette profession de foi généreuse au regard des comportements personnels et collectifs qui expriment très concrètement quelles valeurs sont mises en œuvre dans nos sociétés.

Nous nous sommes donné une sorte de modèle de « l’enfant-roi », mais nous devons reconnaître que les droits de cet enfant sont souvent contredits par les pratiques et les formulations d’autres droits qui contestent les siens.

Janusz Korczak, dont on sait l’importance du combat pour la recon-naissance des droits de l’enfant, voyait, à leur origine, la nécessaire reconnaissance par les adultes de l’enfant comme être, tout à la fois,

« complet » et « inachevé », « sujet à respecter » et « sujet à promouvoir ».

« Sujet à respecter » parce qu’un enfant est déjà un être qui participe pleinement de « l’humaine condition » (« Les chagrins des petits ne sont pas des petits chagrins. », rappelle-t-il très justement). Et « sujet à promou-voir », car l’enfant, inachevé, est un être fragile à qui nous devons garantir les droits fondamentaux qui lui permettent de vivre et de se développer.

« DROITS CRÉANCES » ET « DROITS LIBERTÉS » DANS LA CONVENTION

La Convention internationale des droits de l’enfant reprend à sa manière ce double volet en énonçant deux types de droits : les droits-créances et les droits-libertés. Les « droits-créances » sont « les droits à… » que toute société doit garantir à ses enfants et qui constituent autant d’obligations pour les adultes : droit à un nom et une nationalité, droit de connaître ses parents, droit à un cadre familial, droit à être correctement nourri et logé, droit d’accès aux soins, droit à une aide adaptée pour les enfants handicapés, droit à l’éducation scolaire, droit à sa vie privée, droit à être protégé contre toute forme de maltraitance et d’exploitation économique, droit de bénéfi cier de toutes les garanties judiciaires requises en cas de suspicion d’infraction à la loi pénale… Les droits-libertés, qui sont énoncés, en particulier, dans les articles 12 à 15, sont « les droits de… ».

Ils reconnaissent la possibilité pour l’enfant d’exercer lui-même diverses

DROITS DE L’ENFANT

Dans le document LES ENFANTS PEUVENT BIEN ATTENDRE (Page 53-57)