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Chapitre 3 : L’entreprise : un ensemble d’outils de gestion dédiés aux « ressources » et aux « capacités »

10. Les outils « corporate » ou de déploiement de la stratégie

10.5. L’ingénierie des capacités

L’ingénierie des capacités est définie par Pagotto et Walker (2005) comme une « nouvelle méthodologie offrant la possibilité de transformer la planification et les acquisitions pour la défense ».

Conception – Acquisition – Management du cycle de vie – Elimination

Conception – Acquisition – Management du cycle de vie – Elimination

Management du cycle de vie – Disparition

Conception – Acquisition – Management du Evolution de la capacité

Aujourd’hui Demain Futur

Intégration

Interopérabilité

Système 1

Système 3

Syst..

Figure 25 : Illustration conceptuelle du contexte d’ingénierie de la capacité, selon Pagotto et Walker (2005)

Selon les auteurs, l’ingénierie de la capacité part d’une mise en correspondance de l’orientation stratégique en matière de défense avec les capacités de défense au moyen de modèles architecturaux qui prennent en compte les gens, les processus et les besoins en matériel à l’égard de chaque capacité, considérée comme un système de systèmes. Pour une capacité donnée, on applique avec rigueur la métrologie à ces modèles afin d’évaluer leur aptitude à apporter les résultats voulus au regard de la capacité militaire, tels que déterminés en fonction d’un ensemble de tâches prédéfinies et de scénarios de planification de la force. La programmation de la modification de ces tâches et la planification de scénarios au fil du temps en fonction de l’évolution des objectifs liés aux capacités rend possible la détermination de lacunes quantifiables dans les capacités, ce qui permet d’orienter le processus vers les options à retenir pour combler ces lacunes. Le plan de mise en œuvre de ces options constitue une feuille de route pour l’évolution des capacités, à l’appui de la prise de décisions concernant les investissements en matière de défense ».

Pour expliquer leur méthodologie, les auteurs commencent par définir ce qu’ils entendent par « gestion des capacités ». Pour eux, la gestion des capacités est « le fait de gérer les capacités en fonction d’un cadre intégré qui englobe les fonctions interdépendantes que sont la création, le maintien, la préparation et l’utilisation. La création de capacités renvoie à la conceptualisation de capacités nouvelles par le biais du développement, de la planification, de l’acquisition et de la gestion du cycle de vie sous les aspects des capacités qui ont trait aux personnes, au processus et au matériel. L’horizon temporel pertinent va du moment présent à environ 10 à 15 ans plus tard, ou plus. Le maintien et la préparation des capacités renvoient au fait de maintenir une capacité à un niveau adéquat de préparation, le plus souvent dans un horizon temporel allant du moment présent à environ cinq ans plus tard. L’utilisation des capacités s’entend de la planification et de la réalisation d’opérations militaires faisant appel aux capacités en question ».

Ingénierie des capacités

Trois fonctions distinctes mais inter-reliées Création de capacités Maintien et préparation

des capacités Utilisation des capacités Identifier, définir, acquérir, développer, améliorer Maintien au niveau adéquat Opérations

Tableau 23 selon Pagotto, Walker (2005).

Pour les auteurs, ce glissement vers une ingénierie de la capacité répond à un besoin essentiel : gérer des capacités qui « font intervenir de façon inhérente des systèmes de systèmes conjoints ». En effet, auparavant, « les organisations du secteur de la défense avaient attribué la responsabilité des fonctions de gestion des capacités à des niveaux variés, suivant des axes organisationnels ou de service, et en fonction plus particulièrement des modèles d’utilisation et de fonctionnement interarmées des forces de la nation concernée ».

Ainsi l’ingénierie des capacités repose sur quatre activités :

 Évaluation de l’état actuel de la capacité : il s’agit pour les auteurs de « comprendre, modéliser (schématiser) et faire valider par les parties intéressées l’état actuel des forces qui sont chargées de fournir les capacités militaires autorisées » ;

 Définition des options pour le niveau de capacité souhaité : il s’agit pour les auteurs de « modéliser les différentes options d’architecture souhaitée qui s’avèrent

prometteuses pour la réalisation des objectifs en matière de capacité, comme celles qui sont tirées du processus de développement et expérimentation de concept » ;  Solutions pour combler l’écart : il s’agit ici de réaliser « une analyse du risque et des

options pour créer un programme d’acquisition évolutive qui permettra d’apporter à l’architecture dans son état actuel les changements identifiés de sorte qu’elle évolue de façon mesurable vers le niveau souhaité. Les domaines du maintien et de l’utilisation des capacités doivent retourner rapidement l’information au domaine de la création de capacités pour que les changements nécessaires en matière de métrologie et d’architecture puissent être apportés afin d’obtenir les résultats attendus» ;

 Évolution des capacités : il s’agit pour les auteurs de développer un processus itératif qui se prolonge dans le temps. Ainsi, avec l’ajout de nouvelles directives stratégiques dans le domaine de la planification basée sur les capacités, les changements concomitants en matière d’architecture des capacités seront réalisés en fonction des modifications qui doivent être apportées aux listes de tâches interarmées, aux scénarios de planification de la force et à la métrologie des capacités, éléments qui sont utilisés pour évaluer l’état actuel des capacités et pour déterminer leur niveau souhaité.

Cette ingénierie de la capacité doit satisfaire trois exigences :

 Favoriser l’agilité stratégique dans la planification fondée sur les capacités : pour les auteurs, le processus d’ingénierie de la capacité « doit pouvoir s’adapter à un environnement en évolution rapide, caractérisé par des modifications des objectifs stratégiques plus fréquentes que ce que nous avons observé par le passé. Il pourra par exemple s’agir d’identifier les changements concrets à apporter au carnet de route pour l’évolution de la capacité en vue de donner suite le plus rapidement possible à une nouvelle intention stratégique. La capacité de respecter une échelle temporelle restreinte dans le contexte de la planification stratégique et de la mise à exécution sur le terrain de capacités adéquatement modifiées renforcera l’agilité du processus de planification dans son ensemble » ;

 Appuyer les équipes de projet intégrées : il s’agit « d’inclure des intervenants de nations alliées et qui sont responsables de la création de capacités, au moyen d’une méthodologie collaborative répartie d’ingénierie de système de systèmes. Au moyen d’un cadre architectural, cette méthodologie décompose une capacité en modèles

représentant les gens, le processus et le matériel, qu’il est possible de partager par le biais de répertoires en ligne permettant de concevoir les capacités futures en mettant à profit les connaissances acquises dans le passé. Une telle approche fondée sur un système de systèmes remplit un rôle crucial dans la mise en place de concepts réseau essentiels à la transformation ;

 Passer d’un processus d’acquisition pour la défense centré sur une plate-forme et orienté en fonction des services en un mécanisme géré en fonction des capacités.

En résumé, nous avons avec l’ingénierie des capacités initiée par le secteur de la Défense canadienne un véritable corpus de connaissances pour la gestion des capacités. Cette nécessité d’un passage à la gestion des capacités voire à l’ingénierie des capacités répond à une complexification des activités de défense, au besoin d’assurer le présent tout en préparant l’avenir, mais aussi à la nécessité d’une meilleure intégration des fondamentaux de la défense. La gestion par les capacités organisationnelles est ainsi appliquée à une problématique complexe qui est celle de la défense. Une démarche en 4 étapes (que nous avons essayé de résumer ci-dessus) est proposée, accompagnée d’un corpus théorique. Il y a dans cette démarche d’ingénierie des capacités organisationnelles, la volonté de mieux accompagner la réalisation des objectifs stratégiques du secteur de la défense, secteur hautement stratégique pour la défense des territoires et des nations dans un contexte politique hautement sensible et imprévisible. Il demeure néanmoins quelques trous noirs comme la juste définition de ce qu’est une capacité, comment celle-ci se matérialise. Ces critiques, nous les avons déjà adressées à la démarche St-Amant de développement des capacités organisationnelles. Tous les acteurs de la recherche sur les capacités organisationnelles ont ceci de commun : appréhender l’organisation comme un ensemble de capacités organisationnelles permet de réfléchir sur des façons plus efficaces de déployer les stratégies des organisations dans des environnements à risques et/ ou hautement concurrentiels. Néanmoins, il y a une certaine hétérogénéité des sujets de recherche même s’ils s’inscrivent tous dans une approche par les capacités organisationnelles. Ainsi, le CBEA est focalisé sur le déploiement de la stratégie via les capacités organisationnelles dans une optique plutôt généraliste : il s’agit d’une méthode générique de déploiement des stratégies via les capacités organisationnelles mais aucune définition claire et actionnable n’est donnée de la capacité organisationnelle. C’est un corpus intéressant qui reste cependant très théorique. Le CPX framework a des prétentions plus limitées en se focalisant sur les capacités organisationnelles des systèmes d’information des PME. Il s’agit de doter les PME, qui sont dans des marchés ou elles ne peuvent ni imposer

leurs prix ni jouer sur les quantités, des facultés leur permettant de développer les capacités organisationnelles nécessaires pour leurs systèmes d’information porteurs potentiellement d’un vrai avantage concurrentiel. La méthode repose sur un processus astucieux de déconstruction des capacités organisationnelles pour travailler sur ses composants essentiels. Avec cette méthode, nous n’échappons pas aux problèmes de définition des mots clés comme « compétence ». Enfin la démarche St-Amant, fruit des travaux de recherche de St-Amant et Renard de l’université du Québec sur les capacités organisationnelles, est une des méthodologies les plus abouties. Bien que très contextuelle au départ, il s’agit du déploiement des capacités organisationnelles de l’administration électronique, cette démarche propose un canevas de déploiement des stratégies via les capacités organisationnelles très construit. Néanmoins, la démarche proposée reste peu intégrée et très étagée. Il s’agit d’un ensemble d’activités à réaliser avec des outils différents (modèle d’évolution, modèle de maturité, modèles normatifs…), ce qui nécessite du temps et des ressources. Cette démarche est-elle facilement transposable dans un contexte concurrentiel et mouvant comme le monde des entreprises ?

En conclusion, nous avons un concept « capacité organisationnelle » qui depuis ces dix dernières années intéresse de très près les chercheurs et les praticiens du management.

Néanmoins, si nous considérons les capacités organisationnelles comme les conditions nécessaires pour une action performante (une définition très large), les entreprises ou les organisations n’ont pas attendu une approche formalisée pour répondre à ces exigences. Il va de soi que toutes les méthodes de type « outils d’amélioration continue » ou « outils de gouvernance organisationnelle » que nous avons traités ci-dessus, participent à la création des conditions pour une action efficace.

Pour les chercheurs et les praticiens du management, l’intérêt de ce concept réside dans le fait qu’il peut servir de courroie de transmission pour les objectifs stratégiques, opérationnels ou tactiques.

Cet intérêt est d’autant plus grand quand on voit que le déploiement des stratégies reste une activité à fort taux d’échec dans les sociétés privées (plus de 60 % des stratégies de changement ne créent pas les bénéfices escomptés selon le McKinsey Quarterly Global Survey of Business Executives, juin 2006). En outre, les nouvelles formes d’organisation et la rapidité des changements (technologiques, politiques, économiques etc.) nécessitent une gestion d’entreprise favorisant une exploitation optimale des ressources, des compétences et des connaissances (des capacités) mais aussi une exploration des nouvelles ressources, des

nouvelles compétences et des nouvelles connaissances pour préparer l’avenir et suivre les « caprices » du marché.

De plus, pour les chercheurs, l’approche par les capacités organisationnelles permet de pallier les insuffisances de l’approche basée sur les ressources (du moins sa version pure) en ne partant plus « d’hypothèses héroïques » mais d’un travail de gestion, de pilotage et de maturation des capacités organisationnelles.

La richesse du concept de capacité organisationnelle (dimension intégratrice, caractère dynamique, courroie de transmission de la stratégie, relais entre les objectifs stratégiques et les résultats) et ses diverses tentatives ou niveaux d’opérationnalisation (économie du développement pour la gestion des pays en voie de développement, gestion des politiques de défense dans un monde intégré à risques omniprésents, le passage de l’administration à l’e- administration, la gestion des capacités organisationnelles des systèmes d’information des PME) permettent de voir dans l’étude de cas une étape importante pour la recherche : il s’agit,

en effet, de mettre à l’épreuve la question du management des capacités organisationnelles au sein d’une grande entreprise multinationale multisite insérée dans un environnement très concurrentiel avec des exigences sans cesse renouvelées en termes de coûts et de qualité.

Nous sommes d’autant plus fondés à utiliser cette expérience comme l’étude de cas centrale en appui de notre thèse que l’entreprise étudiée a inventé, expérimenté et déployé un dispositif formalisé de pilotage du progrès et ce n’est qu’ensuite qu’il a été qualifié, par nous qui accompagnions et analysions l’expérience, comme dispositif de gestion des capacités. D’un point de vue méthodologique, on limite ainsi, en particulier, le risque de tautologie : risque de premier niveau sur le fait que tout soit « capacité » dans une organisation, risque de second niveau que le filtre « capacités organisationnelles » ne biaise l’analyse ou n’amène le chercheur qu’à des conclusions déjà contenues dans les prémisses (le dispositif est fait pour gérer des capacités, il gère effectivement des capacités).

Cette étude de cas, sur une entreprise pionnière, nous permet de revenir à une discussion sur le concept même de capacité, ainsi mis à l’épreuve de l’actionnabilité. Elle nous permet d’explorer les propriétés structurantes de la capacité organisationnelle comme « objet de gouvernement », dans l’objectif de mieux cerner sa « gestion », et faire des hypothèses sur la nature de l’avantage concurrentiel qui peut en découler.

DEUXIEME PARTIE :

RADIOSCOPIE DUN DISPOSITIF PIONNIER DE GESTION

SYSTEMATISE DU PROGRES PAR LES CAPACITES

ORGANISATIONNELLES CHEZ VALEO: LE ROADMAPPING DE

Chapitre 4 : Pilotage du progrès au sein d’une grande entreprise internationale