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Chapitre 2 : Enjeux et limites de la recherche en management stratégique

7. Le renouveau praxéologique de l’approche basée sur les ressources

7.4. Apport du concept de capacité dans la collaboration entre entreprises

Un des développements récents lié au concept de capacité consiste à l’appréhender comme un paramètre pouvant expliquer la collaboration entre entreprises.

Yan et al (2007) distinguent deux grands types de capacités : les capacités intrinsèques c'est-à- dire les capacités se trouvant à l’intérieur de l’organisation et les capacités extrinsèques c'est- à-dire celles qui lient l’entreprise à son environnement.

Pour les auteurs, les capacités intrinsèques ont un rôle à jouer dans la collaboration des entreprises. Ils prennent comme exemple les capacités intrinsèques en matière de technologie qui jouent un rôle dans leur collaboration en partie car « elles sont reconnues comme constituant une source d’hétérogénéité entre firmes au sein d’une industrie ». Pour les auteurs, les capacités intrinsèques résultent de « la possession d’habiletés techniques » ou encore de « l’expérience de l’organisation en matière de collaboration ». En ce qui concerne les habiletés techniques, les auteurs, dans la même perspective que Osborn et Baughn (1990), trouvent que l’intensité technologique et la R-D conjointe impactent de manière significative les formes de gouvernance adoptées par les alliances. Les auteurs citent les blocs d’alliances qui sont en concurrence pour l’établissement de normes communes et qui sont constitués de firmes possédant des capacités complémentaires (Vanhaverbeke et Noorderhaven, 2001). Ces habiletés peuvent avoir un « effet déterminant sur l’équilibre des relations entre des organisations interdépendantes, mais indépendantes ». In fine, pour Yan et al. (2007), les

capacités de nature technique sont donc critiques pour les alliances à plus d’un titre : leur contenu en connaissance tacite et de leur nature située.

En outre, pour Yan et al (2007), l’expérience d’une firme en matière de collaboration « pourrait avoir un effet sur sa collaboration avec d’autres firmes… C’est-à-dire qu’une firme ayant des succès en matière de collaboration au sens large pourrait s’engager plus aisément dans une telle démarche qu’une firme ayant subi des échecs en ce qu’elle pourrait s’avérer un partenaire plus intéressant. L’expérience d’une firme en matière de partenariat a une incidence positive sur la probabilité qu’elle a de conclure un partenariat (Gulati, 1999) ».

Les capacités extrinsèques ont aussi un rôle dans l’explication de la collaboration inter- organisationnelle. Pour Yan et al (2007), les capacités extrinsèques ne sont pas uniquement des « capacités d’accès au marché », elles représentent aussi « des capacités d’accès aux acteurs du réseau au sein duquel l’organisation est encastrée » au sens de Sobrero & Roberts, 2002. Les auteurs distinguent dans les capacités extrinsèques deux catégories au sens de Gulati, 1998, Rowley, Behrens et Krackhardt, 2000 : l’encastrement structurel et l’encastrement relationnel.

Pour Yan et al (2007), l’encastrement structurel d’un acteur ou d’une entreprise fait appel aux caractéristiques de sa « structure relationnelle ». « L’encastrement structurel de la firme, i.e. la structure des relations qui l’entourent, possède donc bel et bien un effet en ce qui touche sa collaboration avec d’autres firmes ». Ainsi, « un acteur donné pourra plus facilement collaborer avec un autre acteur situé dans la couronne immédiate des relations qui l’entourent, plutôt qu’avec des acteurs étant à l’extérieur de ladite couronne ».

L’encastrement relationnel est lié aux caractéristiques de la structure relationnelle d’un acteur. Ainsi « l’appartenance à un réseau social contribue à l’intégration de connaissance chez les partenaires ».

Dans cette recherche de l’explication de la collaboration entre les entreprises au travers du concept de capacité organisationnelle, Arrègle et al. (1998) se sont intéressés aux alliances : « le développement et le management d’alliances font appel à des capacités organisationnelles spécifiques ». Ainsi, « l’interaction de l’entreprise et d’un partenaire extérieur pose des problèmes à une entreprise et elle y répondra selon ses capacités organisationnelles actuelles ou, si elles ne sont pas pertinentes, elle en développera de nouvelles et adaptera son organisation et management ».

Les entreprises n’ont pas recours aux alliances uniquement pour des raisons liées à la formulation d’une stratégie et la réalisation d’un objectif. Elles peuvent faire des alliances car « elles ont les capacités organisationnelles qui se prêtent, ou non, à la gestion de ce type de

partenariat ». L’approche basée sur les ressources comme d’autres corpus de recherche à savoir les coûts de transaction, les systèmes sociaux etc peut donner une explication supplémentaire « des coopérations interentreprises selon le phénomène de path dependencies des capacités organisationnelles nécessaires à la bonne gestion de ces coopérations ».

Pour valider empiriquement cette hypothèse, Arrègle et al. (1998) distinguent deux dimensions pour caractériser les réseaux d’alliés : les capacités organisationnelles ont principalement un impact sur la dimension « nombre de partenaires ». Ils remarquent que le développement de cinq alliances avec le même partenaire fait surtout appel à la confiance qui s’est nouée entre ces deux entreprises. Les capacités organisationnelles sont donc reléguées pour ce type de cas à un rôle mineur. Seule la confiance y joue un rôle déterminant. Par contre, une entreprise qui développe cinq alliances avec cinq partenaires différents doit avoir une bonne adéquation des capacités organisationnelles avec les capacités nécessaires à la gestion de ces coopérations. Dans ce type de cas, les capacités organisationnelles jouent un rôle important et ont des impacts sur le nombre de partenaires et leur diversité.

Arrègle et al. (1998) déclinent leur hypothèse principale (les capacités organisationnelles ont un impact sur le nombre d’alliances développées via le nombre de partenaires) en sous hypothèses qui seront testées (cf. Tableau 10) :

Partage de ressources

Le partage de ressources entre activités ou divisions au sein d’une entreprise oblige différentes entités à collaborer et travailler ensemble de façon coordonnée mais non hiérarchique, comme c’est le cas dans une alliance.

H1 : plus le partage de ressources est important entre différentes activités de l’entreprise, plus l’entreprise aura tendance à avoir des entreprises alliées.

Décentralisation

Une entreprise décentralisée doit d’une certaine façon prendre en compte et gérer un grand nombre de composants qui bénéficient d’un certain pouvoir et autonomie d’action. Un niveau important de décentralisation peut se manifester de différentes façons (constellation d’équipes regroupées sur des bases fonctionnelles, importance de l’ajustement mutuel, unités fonctionnant de façon quasi- autonomes… [H. Mintzberg 1983, p. 102]. Les entreprises qui sont fortement décentralisées doivent donc développer des capacités organisationnelles qui leurs permettent de gérer, arbitrer ou encore motiver des composantes quasi-autonomes de l’entreprise.

H2 : plus l’entreprise est décentralisée, plus elle aura tendance à avoir des entreprises alliées.

Communication latérale

Selon l’importance et la façon dont est gérée la communication latérale dans l’entreprise, elle disposera de capacités facilitant la gestion des alliances. Les entreprises qui favorisent cette communication en la structurant (task forces, intégrateurs…) et en y ayant recours de façon explicite pour assurer le fonctionnement de l’entreprise, géreront plus facilement une alliance qui suppose généralement une importante communication (latérale) entre les entreprises impliquées.

H3 : plus l’entreprise utilise les structures de communication latérale, plus elle aura des entreprises alliées.

Sous-traitance

Les entreprises faisant appel de façon importante à la sous-traitance sont habituées à développer des relations avec d’autres entreprises pour réaliser leur activité. Elles peuvent ainsi développer des capacités qui, bien que fondées sur des relations clients-fournisseurs, seront utiles à la gestion d’alliances.

H4a : plus l’entreprise est impliquée dans la sous-traitance comme donneur d’ordres, plus elle aura tendance à avoir des entreprises alliées.

H4b : plus l’entreprise a une activité de sous-traitant, plus elle aura tendance à avoir des entreprises alliées.

Divisionalisation

Une entreprise fortement divisionalisée possède des divisions qui peuvent fonctionner de façon quasi- autonomes. La direction générale doit gérer ce portefeuille d’activités de façon cohérente et arbitrer l’allocation des ressources rares entre les divisions. Chaque division doit coopérer pour certaines ressources ou activités avec d’autres ou la direction générale. Elle possède ainsi des capacités organisationnelles semblables à celles nécessaires pour la gestion de relations avec une entreprise partenaire.

H5 : plus l’entreprise est divisionalisée, plus elle aura tendance à avoir des entreprises alliées. Tableau 10 : Sous hypothèses émises par Arrègle et al. (1998).

Ces hypothèses vont être testées sur un échantillon de PMI françaises de la base de données qualitatives de la Banque de France sur les stratégies des PMI.

Ainsi l’hypothèse de base comme quoi des capacités organisationnelles ont un impact sur le nombre de partenaires alliés a été vérifiée : « le partage de ressources, la décentralisation, et la divisionalisation ont un impact positif sur le nombre de partenaires alliés à l’entreprise. Ces trois dimensions sont des capacités organisationnelles pertinentes pour la création et la gestion des alliances ». Ceci équivaut donc à dire que l’entreprise développe en interne des capacités qui joueront un rôle important dans son aptitude à développer des alliances. Les auteurs notent néanmoins que deux sous hypothèses ne sont pas vérifiées : la communication latérale et la sous-traitance. Elles ont donc un impact faible dans l’aptitude d’une entreprise à développer des capacités organisationnelles pertinentes pour la gestion d’une alliance et le nombre d’alliés.

Pour Arrègle et al. (1998), la validation de leur hypothèse centrale met en exergue 4 paramètres :

 Le phénomène de path dependency qui joue non seulement sur le contenu du partenariat mais aussi sur ses processus de gestion : une entreprise qui souhaite développer des alliances doit voir si en interne elle maîtrise les capacités organisationnelles divisionalisation, délégation, partage de ressources. Si elle ne les maîtrise pas ou pas bien, elle devrait les développer. La maîtrise de ces capacités facilitera la création d’un réseau de partenaires ;

 L’utilité de prendre les dimensions stratégiques et organisationnelles pour comprendre le réseau d’alliés d’une entreprise. Ce résultat renvoie au débat stratégie et structure, il fait le pont entre les approches environnementalistes (économie industrielle, théorie des jeux) et les approches s’appuyant sur la dimension interne des organisations comme l’approche basée sur les ressources ;

 Les difficultés que certaines entreprises ont pour renouveler leurs actifs stratégiques lors d’importantes ruptures dans l’environnement : les entreprises n’ayant pas les capacités organisationnelles favorisant le développement d’alliances doivent se tourner vers les fusions acquisitions ou des coopérations basées sur la confiance ;  Les variables à prendre en compte pour comprendre la dynamique de développement

d’un réseau : pour comprendre le développement des alliances, il faut prendre en compte la confiance mais aussi les capacités organisationnelles. Ainsi « Une entreprise qui dispose des capacités organisationnelles pertinentes pourra développer des alliances avec un plus grand nombre de partenaires ce qui peut lui permettre de jouer un rôle central dans un réseau. Au contraire, toutes choses égales par ailleurs, une entreprise sans ces capacités développera des alliances avec moins de partenaires

et se situera donc plutôt à la périphérie du réseau ne pouvant retirer tous les avantages de son appartenance à ce réseau ».

Les capacités organisationnelles jouent ainsi un rôle important dans le nombre d’alliés. Une entreprise qui ne maîtrise pas les capacités adéquates pourra s’allier avec beaucoup moins d’entreprises.

Comme nous venons de le voir, la notion de capacité organisationnelle est jugée plus « réaliste » et plus « actionnable » que celle de ressource. Elle commence à drainer autour d’elle tout un corpus de connaissances se voulant plus proche des préoccupations des managers des organisations.

En outre, comme le note Marchesnay (2002) en reprenant une note de recherche de Rouse et Daellenbach (1999) paru dans le SMJ, il est important de résoudre un problème majeur : celui des vérifications empiriques nécessitant de larges échantillons de firmes avec tout l’attirail statistique des économistes industriels.

En résumé, il s’agit ici de sortir de l’optique économiste pour une approche plus managériale (management stratégique), de sortir d’une logique d’étude « des entreprises » performantes à l’étude de « l’entreprise » performante. Il s’agirait dans une telle démarche de repérer une industrie, d’identifier les firmes intéressantes à haute et basse performance et de procéder à des entretiens en profondeur (Marchesnay 2002). Une telle démarche est d’autant plus pertinente qu’il se développe depuis plusieurs années dans les entreprises toute une armada d’outils sensés optimiser, piloter ou gérer la boîte noire organisationnelle.

Chapitre 3 : L’entreprise : un ensemble d’outils de gestion dédiés aux