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L’importance des perceptions et des émotions pour l’engagement étudiant

SYNTHÈSE DES DIFFÉRENCES SELON LE GENRE DES ÉTUDIANTS

1.3.3 L’importance des perceptions et des émotions pour l’engagement étudiant

Lison, Bédard, Boutin, Côté, Dalle et Lefebvre (2011) ont fait une étude sur les déterminants de l’engagement et la persévérance des étudiants de premier cycle à l’Université de Sherbrooke, dans des programmes universitaires scientifiques innovants. Ils ont recensé les principaux déterminants de l’engagement et la persévérance selon la littérature pour comparer leur importance dans trois programmes différents. Leurs résultats leur ont permis d’identifier les déterminants les plus importants, dont certains étaient communs et d’autres différaient pour les programmes de génie électrique, génie informatique et médecine. Les chercheurs ont mesuré les perceptions d’un échantillon de 480 étudiants volontaires du premier cycle de l’Université de Sherbrooke en lien avec sept prédicteurs de l’engagement et de la persévérance, regroupés en quatre catégories. Les analyses statistiques de régression linéaire qu’ils ont effectuées ont permis d’identifier, pour l’engagement, le prédicteur “support” (soutien) comme déterminant principal commun aux trois programmes : il explique à lui seul 48% de l’engagement en génie électrique. 57% de la variance totale pour l’engagement est expliquée par le modèle à quatre variables (R2 = 0,56;

F(4, 103) = 33,85; p < 0,00). En génie informatique, 60% de la variance pour l’engagement est expliquée par le prédicteur « soutien ». Pour ce programme, 69% de la variance totale est expliquée par trois variables (R2 = 0,69; F(3, 80) = 60,26; p < 0,00) . En médecine, le facteur « soutien » explique 59% de la variance quant à l’engagement. Le modèle à six variables, quant à lui, explique 66% de la variance totale (R2 = 0,66; F(6, 281) = 91,20; p < 0,00). Ce prédicteur « soutien » regroupe les variables sur les perceptions des étudiants par rapport aux éléments qui les aident à s’engager et persévérer (par exemple, le rôle supportant du professeur, le développement de stratégies efficaces, la collaboration avec les pairs). Le sentiment d’efficacité n’est un déterminant que pour l’engagement dans le programme de médecine, et encore, seulement au dernier rang sur les six variables.

Parmi les autres déterminants de l’engagement que Lison et al. (2011) identifient comme étant communs aux trois programmes innovants, on retrouve la contextualisation de l’enseignement et de l’apprentissage, soit l’acquisition des connaissances dans un contexte se rapprochant de celui où elles seront utilisées ultérieurement (b = 0,17 pour Génie électrique, b = 0,19 pour Génie électrique et b = 0,14 pour Médecine). La réflexion sur l’action constitue aussi un déterminant de l’engagement commun aux trois programmes (b = 0,17 pour Génie électrique, b = 0,24 pour Génie électrique et b = 0,14 pour Médecine). Une mesure de l’engagement et de la persévérance des étudiants tout au long des cursus a été effectuée (sur 4 ans pour les deux programmes de génie, sur 3 ans pour médecine). À part une baisse significative de l’engagement en troisième année pour le programme de génie informatique, l’engagement et la persévérance restent relativement constants dans le temps pour les trois programmes. On peut déduire des résultats de l’analyse de Lison et al. (2011) que les déterminants de l’engagement sont liés au contexte d’apprentissage (puisqu’ils varient selon le programme) et que les mesures pédagogiques et institutionnelles qui augmentent la perception de support des étudiants auront vraisemblablement un impact positif sur leur engagement.

Les résultats de Pascarella et al. (2008) présentés à la section 1.3.1 pointent aussi l’importance de la façon dont les étudiants perçoivent leurs enseignants pour la persévérance et la réussite. Un enseignant perçu comme étant expressif, bien préparé et organisé dans ses cours, donnant des instructions claires et de fréquentes rétroactions sur le niveau de maitrise de l’étudiant par rapport aux connaissances requises sera plus à même de stimuler l’engagement étudiant et la poursuite de ses études. Selon leur analyse, l’effet des instructions claires sur la persévérance serait indirect, médié en fait par le niveau de satisfaction de l’étudiant lors de la première année d’étude selon ses perceptions. La figure 6 illustre la façon dont les perceptions moduleraient l’effet du style pédagogique de l’enseignant sur l’engagement et la persévérance de l’étudiant, un peu à la manière d’un filtre.

Situation Perception Effet

(cause) (médiateur)

Figure 6. Médiation de l’effet de l’enseignement par les perceptions de

l’étudiant. Un étudiant percevant son enseignant comme étant clair et structuré éprouvera plus de satisfaction à apprendre et sera plus à même de s’engager et persévérer dans ses études.

Les émotions des étudiants en lien avec les apprentissages et la réussite

Plusieurs recherches sur l’engagement des étudiants et leur motivation à apprendre soulignent le rôle des émotions de l’étudiant en lien avec ses apprentissages. En effet, elles influenceraient non seulement la motivation ou la volonté de s’engager et de persévérer, mais joueraient un rôle important pour la rétention des connaissances (mémorisation) et autres processus cognitifs, selon Afraimovich, Young, Muezzinoglu et Rabinovich (2011). Dans leur recherche sur la dynamique émotion-cognition, ces auteurs indiquent que nous pouvons «prendre avantage des […] interactions émotion-

Clair Structuré

Engagé Persévérant

cognition pour fournir une méthode robuste permettant de comprendre la relation entre l’activation cérébrale et les comportements humains complexes» (traduction libre, p. 266). Dans son mémoire, Bélanger (2011) rapporte des résultats qui démontrent un lien entre les émotions vécues en classe et les capacités de mémorisation des étudiants dans un cours de biologie au cégep. « Il faut […] considérer l’apprentissage comme un processus non seulement cognitif, mais également émotionnel » (page 39). Il conclut sa recherche en mentionnant que les enseignants du niveau collégial, souvent axés sur des contenus à transmettre dans leur enseignement, auraient tout à gagner de prendre aussi en compte les émotions de leurs étudiants pour leur planification pédagogique. Il est possible de choisir des activités d’apprentissage ayant un effet positif sur les émotions des étudiants pour stimuler leur motivation et favoriser leur engagement et leur persévérance.

Dans une publication de l’OCDE intitulée Comment apprend-on?, Boekaeris (2010) consacre tout un chapitre sur la motivation et les émotions, en les identifiant comme les deux piliers de l’apprentissage en classe. Elle identifie huit principes favorisant l’engagement des étudiants dans une tâche d’apprentissage. Ces principes visent à conscientiser les enseignants sur l’importance de favoriser les émotions positives de leurs étudiants et par le fait même d’optimiser leur motivation à apprendre, leur engagement et leur persévérance. Sans les énoncer tous, mentionnons que les étudiants doivent se sentir capables de faire ce qu’on attend d’eux, qu’il sont plus motivés lorsqu’ils éprouvent des émotions positives associées à l’apprentissage, lorsqu’ils perçoivent un lien stable entre leurs actions et les résultats obtenus, lorsqu’ils apprécient la matière et lorsqu’ils ont une vision claire de l’objectif de la tâche d’apprentissage. Les étudiants peuvent libérer davantage de ressources cognitives pour l’apprentissage lorsqu’ils se sentent capables d’agir sur l’intensité, la durée et l’expression de leurs émotions. Cela implique qu’en laissant un certain espace pour l’expression des émotions des étudiants dans sa dynamique de classe, un enseignant pourrait créer un environnement plus propice aux apprentissages.

Dans sa thèse de doctorat sur un modèle motivationnel axé sur la persévérance au cégep, Simon (2008) fait une recension des écrits où certains auteurs postulent que les principales raisons qui poussent un étudiant à abandonner ses études collégiales durant sa première année d’études relèveraient davantage du domaine émotif que du domaine académique. Les dispositions émotives seraient aussi importantes que les dispositions intellectuelles pour le succès des études collégiales. Toutefois, « very few studies to date have focused on the emotional experiences of students and how these experiences relate to student success and pursuit of future careers » (Ibid., p. 40). En fait, selon Pekrun, Elliot, et Maier (2006), les émotions ont été largement négligées par les chercheurs en éducation. Simon (2008) fait la revue des études sur le sujet et a démontré que les variations du succès académique des étudiants ne pouvaient être entièrement expliquées par les variables démographiques et académiques. Toujours selon cette auteure, les pratiques d’enseignement et le comportement de l’enseignant (teacher behavior) sont étroitement liés aux émotions des étudiants, et la « santé émotive » des étudiants est significativement liée à la fois à la performance académique et à la persévérance. Les sentiments positifs des étudiants sont corrélés aux enseignants perçus comme supportant l’autonomie des étudiants, de même qu’une corrélation positive lie les comportements contrôlants d’un enseignant non seulement aux sentiments négatifs des étudiants envers cet enseignant, mais également envers la matière (instructional content). Les perceptions étudiantes sur l’environnement d’apprentissage en classe ont également un impact sur la motivation : « the perceived classroom environment has a direct impact on students' goals, which in turn impact their achievement and motivation » (Simon, 2008, p. 27). Plus spécifiquement, lorsque les étudiants se sentent engagés, intéressés en classe et impliqués dans leurs apprentissages, ils ont tendance à adopter des buts de maitrise qui, en retour, prédisent la motivation intrinsèque et la performance académique. Ces résultats confirment que « Les expériences en classe et les caractéristiques étudiantes interagissent, influençant la performance et 1'affect, et par-delà leurs décisions » (Ibid.). Les conclusions de cette recherche sont qu’un enseignant de science au cégep doit encourager et soutenir l’autonomie de ses étudiants en leur offrant des occasions d’exercer des choix et de

s’impliquer activement dans leurs apprentissages. « Indeed, the learning environment needs to be a central focus for promoting persistence because the classroom is the main arena within which teachers can influence their students » (Ibid., p. 130).

Différences d’émotions et de perceptions entre les étudiantes et les étudiants

Selon Simon (2008), les hommes et les femmes n’affichent pas nécessairement les mêmes relations entre leurs dispositions émotives et leur engagement ou leur persévérance dans leurs études. Pour les hommes, les émotions modulent la relation entre l’autonomie et la persévérance, ce qui implique que les hommes ont besoin de se sentir autonomes en classe pour développer des sentiments positifs qui le pousseront à persévérer. Les femmes, d’un autre côté, semblent moins appuyer leurs sentiments (affective experience) sur des pratiques enseignantes en contexte de classe que sur des caractéristiques internes telles que leur sentiment de compétence et leurs buts personnels de maitrise. Les résultats de Simon (2008) sont en concordance avec ceux de Roy et al. (2012) présentés à la section 1.2.3, sur les valeurs distinctives et profils d’apprentissages différents selon le genre. Simon appuie ses interprétations sur de nombreuses analyses statistiques rigoureuses, avec un échantillon assez large : 1309 étudiants provenant des quatre cégeps anglophones de Montréal, dont 978 étaient inscrits à un programme de formation scientifique. À partir de ces résultats d’analyse il avance aussi l’hypothèse que, pour ces femmes qui ont un fort sentiment de compétence personnelle au départ, les émotions peuvent être influencées surtout par leur perception du support de leur autonomie en classe (tout comme les hommes), mais que pour celles qui ont un faible sentiment de compétence personnelle, l’influence de l’environnement d’apprentissage serait occultée par des sentiments négatifs liés à leurs perceptions de compétence (Ibid., p. 131).

Les différences de perception entre les étudiantes et les étudiants pourraient aussi expliquer leur différence de persévérance malgré des résultats académiques semblables pour les deux genres. Les résultats de Rosenfield et al. (2005) attribuent les abandons plus nombreux des filles (à performances égales) aux perceptions d’un

environnement d’apprentissage axé plus sur la transmission des savoirs que sur le soutien aux changements conceptuels. De plus, ces étudiantes rapportent systématiquement des perceptions de compétence personnelle sous le niveau de leurs collègues masculins malgré leurs performances similaires. L’équipe de Rosenfield et al. recommande que les enseignants de science soient bien informés des impacts de leur style d’enseignement sur les perceptions des étudiants : « Tous les enseignants doivent comprendre la nature du lien entre la perception des élèves d’un environnement offrant du soutien et la réussite comme la persévérance subséquentes de ces mêmes élèves » (Ibid., p. 3).

Cette différence de perceptions entre étudiantes et étudiants en science de niveau postsecondaire se confirme dans un rapport de recherche de Dedic, Rosenfield et Jungert (2010). Pour cette recherche plus récente, ils ont comparé les perceptions à propos de l’environnement d’apprentissage d’étudiantes et étudiants inscrits dans quatre cégeps publics anglophones de Montréal à la rentrée scolaire de 2007 et celles des étudiantes et étudiants suédois inscrits en 12e année dans des écoles secondaires de Linköping et Stockholm pour l'année scolaire 2007-2008 (N = 2184 pour les deux populations). Ce sont surtout les perceptions en lien avec la motivation, l’engagement et la persévérance qui étaient étudiées (émotions académiques, compétence, autonomie, appartenance, actes pédagogiques - « teacher actions », succès scolaire, style cognitif, environnement académique, etc.). Les analyses statistiques ont permis d’identifier que la persévérance dépend plus de la réussite que tous les autres facteurs étudiés et ce, pour les deux populations. Selon les données obtenues, les étudiants suédois persévèrent davantage que les étudiants du Québec. Des deux côtés de l’Atlantique, les femmes persévèrent moins que les garçons, bien que leur taux de réussite ne soit pas significativement différent. Les étudiantes ont également un plus haut degré d'émotions négatives (anxiété et ennui), une perception de moindre efficacité personnelle et un style cognitif de systématisation moins élevé que les étudiants; toutes ces conditions sont associées à une plus faible persévérance. Le rôle perçu du soutien parental pour l’acculturation aux sciences était minime, par contre, le soutien enseignant était perçu

comme jouant un certain rôle à ce niveau, surtout pour les étudiants suédois. Ce soutien enseignant « influe sur la motivation intrinsèque de l'étudiante ou de l'étudiant et sa perception d’efficacité personnelle, qui en retour influent sur la persévérance » (Dedic et al., 2010, p. 6). La motivation à persévérer peut donc être favorisée lorsque l’enseignant crée des situations d’apprentissage permettant à l’étudiant de développer sa perception d’efficacité personnelle.